Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 04/05/2016, 387466

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Le Blevennec et associés a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période correspondant aux années 2007 à 2009. Par un jugement n° 1213621 du 5 juin 2013, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 13PA02638,13PA03125 du 26 novembre 2014, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Le Blevennec et associés contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 janvier et 27 avril 2015 et le 14 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Le Blevennec et associés demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la société Le Blevennec et associés ;




1. Considérant que la société Le Blevennec et associés, qui exerce l'activité d'avocat, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a remis en cause l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée dont cette société prétendait bénéficier, pour la période correspondant aux années 2007 à 2009, à raison de prestations de services, facturées à des clients établis aux Bermudes ; qu'elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 26 novembre 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande en décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis, à ce titre, à sa charge ;

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 13-0 A du livre des procédures fiscales : " Les agents de l'administration des impôts peuvent demander toutes informations relatives au montant, à la date et à la forme des versements afférents aux recettes de toute nature perçues par les personnes dépositaires du secret professionnel en vertu des dispositions de l'article 226-13 du code pénal. Ils ne peuvent demander de renseignements sur la nature des prestations fournies par ces personnes " ; qu'il résulte de ces dispositions, éclairées par les débats parlementaires à l'issue desquels elles ont été adoptées, que le législateur a entendu délimiter strictement le champ des informations que l'administration fiscale est susceptible de demander à ces professionnels ; que ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'administration prenne connaissance, pendant les opérations de contrôle, de factures établies par un avocat pour des prestations destinées à des clients nommément désignés, dès lors que ces documents ne comportent aucune indication, même sommaire, sur la nature des prestations fournies à ces clients ; que, si elles font, en revanche, obstacle à ce que le vérificateur procède à des demandes complémentaires relatives à l'identité des clients concernés ou cherche à obtenir des renseignements sur la nature des prestations fournies, ces dispositions ne sauraient être regardées comme interdisant à l'administration, dans l'hypothèse où des discordances entre les mentions figurant sur les pièces comptables dont elle a pu régulièrement prendre connaissance quant à l'identité des personnes ayant payé des prestations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée et l'identité des bénéficiaires mentionnés sur les factures de ces prestations font douter du caractère probant de ces dernières quant à la domiciliation des bénéficiaires effectifs des prestations, de demander à l'avocat qui a effectué ces prestations qu'il fournisse les éléments de nature à établir la domiciliation des payeurs lorsqu'elle est nécessaire à la détermination des règles de territorialité applicables en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;

3. Considérant qu'il suit de là qu'en jugeant que le secret professionnel ne s'oppose pas à ce que l'administration fiscale demande à la société requérante de produire tout élément permettant d'identifier les preneurs des prestations litigieuses, alors que seuls des éléments relatifs à la domiciliation des entités ayant payé les prestations pouvaient, compte tenu des différences constatées avec les mentions figurant sur les factures, lui être demandés, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit au regard des dispositions précitées du livre des procédures fiscales ; que, dès lors, la société requérante est fondée à en demander l'annulation, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Le Blevennec et associés au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 26 novembre 2014 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : L'Etat versera à la société Le Blevennec et associés une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Le Blevennec et associés et au ministre des finances et des comptes publics.

ECLI:FR:CECHR:2016:387466.20160504
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