CAA de BORDEAUX, 6ème chambre (formation à 3), 25/04/2016, 14BX00073, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société AB Services a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler le titre de recettes émis par la commune de Pau et rendu exécutoire à son encontre, le 24 novembre 2011, et de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme correspondante, d'un montant de 34 050,12 euros TTC.

Par un jugement n° 1200130 du 7 novembre 2013, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 6 janvier 2014, 13 février et 7 mai 2015, 8 janvier 2016 et 5 février 2016, la société AB Services, représentée par la société civile professionnelle Gaucher Dieudonné A...Schaefer, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 7 novembre 2013 ;

2°) de prendre acte de son opposition à exécution à l'encontre du titre de recette n° 002682 émis et rendu exécutoire par la ville de Pau le 24 novembre 2011 ;

3°) d'annuler ce titre de recette et de la décharger de l'obligation de payer la somme de 34 050,12 euros, ou à défaut, de réduire très nettement les pénalités de retard ;

4°) de mettre à la charge de la ville de Pau la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.


Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code civil, et notamment son article 1152 ;
- le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962, modifié ;
- le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de fournitures courantes et de services approuvé par le décret n° 77-699 du 27 mai 1977 modifié ;
- le code de justice administrative.


Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Philippe Delvolvé, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Pierre Bentolila, rapporteur public ;
- et les observations de MeA..., représentant la SA AB Services.




Considérant ce qui suit :

1. Par une décision notifiée le 9 janvier 2008, la commune de Pau a attribué à la société AB SERVICES le lot n° 9 d'un marché d'acquisition de véhicules portant sur l'achat d'un élévateur à nacelle. Ce marché, passé selon la procédure négociée, prévoyait la livraison de l'équipement dans un délai de cent-trente jours ouvrés à compter de la date de réception de sa notification d'attribution. En l'absence de mise à disposition du véhicule dans les délais prescrits, la commune de Pau a, par une délibération de son conseil municipal du 2 février 2009, décidé de procéder à la résiliation du marché aux torts de la société AB Services, en application des dispositions en vigueur du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG-FCS). La commune de Pau a émis un titre de recettes le 24 novembre 2011 à l'encontre de la société AB Services au titre des pénalités de retard pour un montant de 34 050,12 euros. La société relève appel du jugement en date du 7 novembre 2013 du tribunal administratif de Pau rejetant sa demande tendant à l'annulation de ce titre et à la décharge de l'obligation de payer ladite somme.


Sur la recevabilité des conclusions tendant à la décharge des pénalités de retard :

2. La commune de Pau fait valoir que la demande de la société AB Services tendant à la réduction des pénalités est irrecevable dès lors qu'elle relèverait d'une cause juridique non soulevée devant les juges de première instance et constituerait ainsi une demande nouvelle en appel. Cependant, il ressort des pièces du dossier que la société requérante a demandé aux premiers juges notamment de la décharger de l'obligation de payer procédant du titre de recettes contesté en contestant notamment le bienfondé de cette obligation. Dans ces conditions, en demandant de la décharger totalement ou partiellement de cette obligation, laquelle résulterait de l'application de pénalités de retard par la commune de Pau, la société AB Services n'a entendu présenter aucune demande nouvelle en appel et n'a, en développant de nouveaux moyens de nature à remettre en cause le bienfondé de l'obligation de payer, soulevé aucune cause juridique nouvelle. Ainsi, il y a lieu d'écarter la fin de non-recevoir opposée par la commune de Pau en défense.


Sur les conclusions tendant à l'annulation du titre de recettes du 24 novembre 2011 et à la décharge de l'obligation de payer :

En ce qui concerne la régularité formelle du titre de recettes :

3. Alors même qu'il est émis par une personne publique autre que l'Etat, pour lequel cette obligation était alors expressément prévue par l'article 81 du décret du 29 décembre 1962, un état exécutoire doit indiquer les bases de liquidation de la dette, soit dans le titre lui-même, soit par référence précise à un document joint à l'état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur les bases et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde pour mettre les sommes en cause à la charge de ce dernier.

4. En l'espèce, ainsi que l'ont jugé les premiers juges, le titre de recettes du 24 novembre 2011, qui portait comme objet " pénalités de retard - marché n° 2008-002 ", avait été précédé de la communication à la société AB Services, par lettre recommandée en date du 8 septembre 2009, notifiée le 17 septembre 2009, d'un document établi par les services de la commune de Pau explicitant les modalités, les éléments et les bases de calcul de ces pénalités au titre du décompte de liquidation du marché en litige suite à la résiliation dudit marché décidée par la délibération du conseil municipal de la commune de Pau en date du 2 février 2009. Cette lettre précisait, d'ailleurs, que le titre de recettes correspondant au montant ainsi arrêté, soit 34 050,12 euros, lui serait prochainement adressé. La circonstance que le montant des pénalités aurait été fixé à un montant inférieur que celle contractuellement prévu pour se limiter au montant du préjudice subi par la commune n'est pas, dès lors que la lettre du 8 septembre 2009 en explique le motif, de nature à créer un doute quant au fondement juridique du titre mis à la charge de la société requérante. Le moyen tiré du défaut de motivation manque donc en fait.

En ce qui concerne le bien fondé de la créance portée par le titre de recettes :

S'agissant du principe des pénalités :

5. Aux termes de l'article 28 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG-FCS), dans sa rédaction applicable au marché concerné : " 1. Le marché peut, selon les modalités prévues au 2 ci-dessous, être résilié aux torts du titulaire sans que celui-ci puisse prétendre à indemnité et, le cas échéant, avec exécution des prestations à ses frais et risques comme il est dit à l'article 32 : (...) - f) Lorsque le titulaire ne s'est pas acquitté de ses obligations dans les délais prévus (...) 2. La décision de résiliation, dans un des cas prévus au 1 ci-dessus, ne peut intervenir qu'après que le titulaire a été informé de la sanction envisagée et invité à présenter ses observations dans un délai de quinze jours. En outre, dans les cas prévus aux c, d, f, l et m dudit 1, une mise en demeure, assortie d'un délai d'exécution, doit avoir été préalablement notifiée au titulaire et être restée infructueuse. " Il résulte de l'instruction que par lettre du 11 décembre 2008 notifiée à la société requérante le 17 décembre suivant, la commune de Pau l'a mise en demeure d'exécuter le marché en litige avant le 9 janvier 2009, sous peine de sa résiliation à ses torts.

6. Aux termes de l'article 10 du CCAG - FCS : " (...) 2. Prolongation du délai d'exécution : Une prolongation du délai d'exécution peut être accordée par la personne responsable du marché au titulaire lorsqu'une cause n'engageant pas la responsabilité de ce dernier fait obstacle à l'exécution du marché dans le délai contractuel. Il en est notamment ainsi, si la cause qui met le titulaire dans l'impossibilité de respecter le délai contractuel (...) provient d'un événement ayant le caractère de force majeure. Le délai ainsi prolongé a, pour l'application du marché, les mêmes effets que le délai contractuel. / 3. Formalités à accomplir par le titulaire pour obtenir une prolongation du délai d'exécution : Pour pouvoir bénéficier des dispositions du 2 du présent article, le titulaire doit signaler, par lettre recommandée adressée à la personne responsable du marché ou à une autre personne désignée à cet effet dans le marché, les causes faisant obstacle à l'exécution du marché dans le délai contractuel qui, selon lui, échappent à sa responsabilité. Il dispose à cet effet d'un délai de dix jours à compter de la date à laquelle ces causes sont apparues. Il formule en même temps une demande de prolongation du délai d'exécution. (...) La personne responsable du marché notifie par écrit au titulaire sa décision. Aucune demande de prolongation du délai d'exécution ne peut être présentée pour des événements survenus après l'expiration du délai contractuel, éventuellement déjà prolongé. "

7. La société AB Services soutient qu'elle n'a pu livrer l'élévateur à nacelle au 16 juillet 2008, délai contractuellement prévu par l'article 3 de l'acte d'engagement, en raison d'un mouvement de grève qui aurait perturbé le fonctionnement de la chaîne de production de son fournisseur situé en Espagne et que cet événement constituerait un cas de force majeure auquel elle n'aurait pas pu se soustraire. Cependant, à supposer la réalité de cette grève établie, la requérante n'établit, en tout état de cause, ni sa durée ni l'impact qu'elle aurait eu sur l'exécution du présent marché. De plus, contrairement aux prévisions des stipulations précitées, la société AB Services ne justifie pas avoir demandé une prolongation du délai d'exécution dudit marché ni avoir informé la commune de Pau avant septembre 2008 des raisons de son retard à livrer le véhicule commandé. Ce n'est que par lettre du 9 septembre 2008, soit près de deux mois après le terme fixé au contrat, qu'elle a informé la commune du retard important dans la livraison. Malgré une mise en demeure d'exécuter le marché, la société attributaire, contrairement à ce qu'elle soutient, n'a jamais mis à disposition de la commune l'élévateur, en raison de son refus de se voir imposé de payer des pénalités de retard. Elle ne justifie donc pas avoir été dans l'impossibilité d'exécuter le marché avant la mesure de résiliation prise à son encontre. Si elle a proposé de mettre un véhicule de remplacement gratuitement à la disposition de la commune de Pau à compter de septembre 2008, une telle proposition, qui est intervenue deux mois après l'expiration du délai d'exécution contractuelle et que la commune de Pau n'était nullement tenue d'accepter, n'est pas de nature à exonérer la société requérante de sa responsabilité. Dans ces conditions, faute pour la société d'établir un quelconque fait exonératoire de sa responsabilité, la commune de Pau, qui justifie avoir respecté les procédures prévues au contrat, était fondée à lui appliquer les pénalités de retard.

S'agissant du montant des pénalités :

8. Aux termes de l'article 11 du CCAG-FCS : " 1. Lorsque le délai contractuel (...) est dépassé, le titulaire encourt, sans mise en demeure préalable, une pénalité (...)calculée par application de la formule suivante : P = V * R / 1000 , dans laquelle : P = le montant de la pénalité ; V = la valeur des prestations sur laquelle est calculée la pénalité, cette valeur étant égale à la valeur de règlement de la partie des prestations en retard ou de l'ensemble des prestations si le retard d'exécution d'une partie rend l'ensemble inutilisable ; R = le nombre de jours de retard. (...) 4. Dans le cas de résiliation du marché, les pénalités pour retard sont éventuellement appliquées jusqu'à la veille incluse du jour de la date d'effet de la résiliation. " Aux termes de l'article 12.1 du cahier des clauses administratives particulières applicable au marché en litige : " Par dérogation à l'article 11 du CCAG-FCS, lorsque le délai contractuel de livraison est dépassé, par le fait du titulaire, celui-ci encourt, par jour de retard et sans mise en demeure préalable, des pénalités fixées à 1/100ème du montant total HT du lot concerné par jour de retard constaté sur la date de livraison du matériel. " Ainsi que l'a retenu le tribunal administratif, il résulte de ces stipulations que, dans le cas de résiliation du marché, des pénalités de retard peuvent être appliquées sur la période maximale comprise entre la date d'expiration du délai contractuel et le jour précédant la date d'effet de la résiliation.

9. Il est loisible au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, de modérer ou d'augmenter les pénalités de retard résultant du contrat, par application des principes dont s'inspire l'article 1152 du code civil, si ces pénalités atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire eu égard au montant du marché. La société requérante soutient que le montant des pénalités de retard est manifestement excessif et qu'elles doivent être, sur ce fondement, limitées.

10. En l'espèce, la commune de Pau a appliqué les pénalités de retard pour la période comprise entre le 16 juillet 2008, date d'expiration du délai de livraison, et le 20 février 2009, date de notification à la société attributaire de la délibération prononçant la résiliation, soit 219 jours. Si la commune a décidé d'elle-même de limiter le montant des pénalités de retard au montant des frais de location du véhicule de remplacement, passant ainsi d'une pénalité journalière de 489,46 à 155,48 euros, le montant total des pénalités infligées, qui s'élèvent à la somme de 34 050,12 euros, représente 58% du montant total du marché, lequel n'ayant jamais été exécuté, n'a pu donner lieu au paiement d'aucun prix. De plus, il résulte de l'instruction que la société AB Services a proposé à la commune de Pau, le 9 septembre 2008, la mise à disposition gratuite d'un véhicule de substitution le temps pour le véhicule acheté d'être livré. La commune de Pau n'a cependant pas souhaité donner suite à cette proposition alors qu'elle avait pour mérite de réduire sensiblement les conséquences financières du retard de livraison. Cependant, il résulte également de l'instruction que la société requérante a refusé de livrer le véhicule neuf en octobre 2008, date à laquelle elle reconnaît l'avoir reçu de son fournisseur, conditionnant cette livraison au renoncement de la commune à lui infliger des pénalités de retard et obligeant cette dernière a résilié le marché pour inexécution. Dans ces conditions, et compte tenu tant du montant des pénalités, qui présente un caractère manifestement excessif, que de l'attitude de la commune et de la société AB Services, il y a lieu de moduler à la baisse le montant des pénalités en litige. Il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en les fixant à la somme de 17 000 euros.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société AB Services est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Il y a lieu, en conséquence, de décharger la société AB Services de l'obligation de payer procédant du titre de recettes contesté à hauteur de la somme de 17 050,12 euros, correspondant à la différence entre la somme mise à sa charge de la société requérante par la commune de Pau et le montant des pénalités finalement dues et de réformer le jugement attaqué dans cette mesure.


Sur l'appel incident de la commune de Pau :

12. Il résulte de l'instruction que la société AB Services s'est déjà acquittée de la somme de 34 050,12 euros. Il n'y a donc pas lieu de la condamner à payer cette somme à la commune de Pau. Il convient de relever que le présent arrêt implique que la commune de Pau reverse à la société AB la somme de 17 050,12 euros correspondant à la part des pénalités indûment perçues par la commune.


Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Pau le paiement de la somme demandée par la société AB Services au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. La société AB Services n'étant pas, dans la présente instance, la partie perdante, les conclusions présentées par la commune de Pau sur ce même fondement ne peuvent qu'être rejetées.


DECIDE :
Article 1 : La société AB Services est déchargée de l'obligation de payer procédant du titre de recettes du 24 novembre 2011 à hauteur de la somme de 17 050,12 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1200130 du 7 novembre 2013 du tribunal administratif de Pau est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
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N° 14BX00073



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