CAA de NANTES, 3ème chambre, 18/02/2016, 14NT01505, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mmes G...et E...D...et MM. B...et F...D...ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner la commune de Chisseaux à leur verser la somme de 313 917,08 euros en réparation du préjudice résultant pour eux du décès accidentel de M. I... D..., leur époux et père.

Par un jugement n° 1302810 du 17 avril 2014, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 5 juin, 20 août, 19 novembre 2014 et 15 janvier 2016, Mme G...D..., et ses trois enfants, Elodie, B...et PhilippeD..., représentés par MeJ..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 avril 2014 du tribunal administratif d'Orléans ;

2°) de condamner la commune de Chisseaux à verser à Mme G... D...la somme de 213 615,88 euros, à Mme E...D...la somme de 25 000 euros, à M. B...D...la somme de 35 762,65 euros et à M. F...D...la somme de 39 539,45 euros en réparation de leurs préjudices économique et d'affection résultant de la noyade accidentelle de leur époux et père, M. I...D..., ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 12 avril 2013, date de leur demande préalable ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Chisseaux la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- M. I...D..., qui s'est noyé en portant secours à M. C...dont le canoë-kayak s'était renversé dans l'écluse de Chisseaux, avait la qualité de collaborateur occasionnel du service public ; en effet, il incombait au maire de cette commune d'assurer la sécurité et le sauvetage des personnes naviguant en canoë-kayak sur la portion du Cher qui traverse sa commune ; M. I...D...a ainsi participé à cette mission de sécurité, qui relève de l'intérêt général, en intervenant d'urgence et cette intervention était impérieusement requise ;
- ils sont fondés à obtenir l'indemnisation de leurs préjudices sur le fondement de la responsabilité sans faute de la commune de Chisseaux.

Par des mémoires enregistrés les 27 octobre 2014 et 28 décembre 2015, le syndicat intercommunal pour l'entretien et l'exploitation du Cher canalisé conclut au rejet de la requête, au rejet des conclusions d'appel en garantie formées à son encontre par la commune de Chisseaux, et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge des consorts D...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :
- la demande enregistrée devant le tribunal administratif d'Orléans le 20 novembre 2013 était tardive puisqu'elle a été enregistrée plus de deux mois après l'envoi de la réclamation préalable datée du 12 avril 2013 ;
- la responsabilité sans faute de la commune de Chisseaux ne saurait être recherchée dès lors que l'accident n'a pas eu lieu sur son territoire mais sur celui de la commune de Francueil ; de plus, cette partie du Cher et le barrage de Chisseaux font partie du domaine public fluvial de l'État, la baignade et l'approche du barrage étant par ailleurs interdites ;
- l'action de M. I...D...n'était pas justifiée par l'intérêt général qui s'attache au sauvetage d'une personne mais par la récupération du canoë-kayak coincé dans les remous du déversoir ; il n'y avait pas d'urgence à récupérer un canoë-kayak vide ; ainsi, la condition d'engagement de la responsabilité sans faute n'est pas remplie ;
- l'appel en garantie formé contre lui par le commune de Chisseaux ne peut qu'être rejeté dès lors qu'il n'a commis aucune faute ;
- à titre subsidiaire, la faute de la victime est de nature à exonérer totalement la responsabilité des personnes publiques puisque la signalisation interdisait clairement l'approche du barrage et du déversoir ;
- à titre infiniment subsidiaire, les sommes demandées doivent être limitées au montant de la demande indemnitaire préalable ; les sommes versées par la caisse primaire d'assurance maladie doivent être déduites ; ces sommes doivent être ramenées à de plus justes proportions.

Par des mémoires en défense enregistrés les 31 octobre 2014 et 22 juillet 2015, la commune de Chisseaux conclut au rejet de la requête, à être garantie des condamnations éventuellement prononcées à son encontre par le syndicat intercommunal pour l'entretien et l'exploitation du Cher canalisé par l'État, et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge des consorts D...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :
- la requête est mal dirigée ; à cet égard, les consorts D...ont parallèlement saisi la commune de Francueil, le syndicat intercommunal pour l'entretien et l'exploitation du Cher canalisé et le préfet d'Indre-et-Loire des mêmes demandes indemnitaires ;
- le sauvetage du canoë-kayak de M. C...ne relevait pas d'une mission d'intérêt général, de sorte que l'intervention de M. I...D...n'était ni nécessaire ni urgente ;
- la responsabilité sans faute de la commune de Chisseaux ne saurait être recherchée dès lors que l'accident n'a pas eu lieu sur son territoire ; en effet, si le barrage se situe bien sur son territoire, le déversoir où a eu lieu la noyade est positionné sur le territoire de la commune de Francueil ; la délimitation du territoire des deux communes est constituée par le milieu de la rivière ;
- de même, le barrage appartenant au domaine public fluvial de l'État, sa responsabilité ne saurait être recherchée ; la police de la circulation et de la navigation sur le Cher relève du préfet d'Indre-et-Loire ; l'entretien et l'exploitation du Cher en Indre-et-Loire relève de la compétence du syndicat intercommunal pour l'entretien et l'exploitation du Cher canalisé ;
- la faute de la victime, qui était avertie de l'interdiction d'approcher du déversoir, est de nature à exonérer totalement la responsabilité des personnes publiques ;
- elle est en droit d'être garantie des condamnations éventuellement prononcées contre elle par le syndicat intercommunal pour l'entretien et l'exploitation du Cher canalisé, qui organise les activités de plaisance sur le Cher ainsi que l'entretien de l'ouvrage public que constitue l'écluse en cause, et par l'État, à qui revient la sécurité de la navigation sur le Cher ;
- les sommes demandées doivent être limitées au montant de la demande indemnitaire préalable ; les préjudices des consorts D...ont déjà été indemnisés par l'employeur et l'assureur de M. I...D... ; les sommes doivent être ramenées à de plus justes proportions ; le couple n'avait d'ailleurs plus d'enfants à charge ; ces sommes devront être réduites des condamnations que la commune, subrogée dans les droits de M. I...D..., pourrait obtenir, au civil, de la personne qu'il a tenté de secourir ;
- aucune des pièces produites en dernier lieu par les consorts D...n'est de nature à établir que M. I...D...remplissait les conditions pour être regardé comme collaborateur occasionnel du service public.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- l'arrêté du préfet d'Indre-et-Loire du 30 mars 1994 portant règlement particulier de police de la navigation entre la limite avec le département du Loir-et-Cher en amont et le barrage de Bléré en aval, sur le Cher canalisé ;
- l'arrêté du préfet d'Indre-et-Loire du 21 juin 2010 réglementant la circulation des bateaux à passages et des bateaux de plaisance sur les rivières la Loire, le Cher et la Creuse dans le département d'Indre-et-Loire ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lemoine,
- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
- et les observations de Me Dalibard, avocat de la commune de Chisseaux.


1. Considérant que MM. I...D...et H...C..., accompagnés d'un groupe d'amis, ont effectué, le 5 juin 2010, une sortie sur le Cher en canoë-kayak au départ du yachting club de Montrichard en direction du château de Chenonceau ; que, le passage de l'écluse de Chisseaux située sur ce parcours étant interdit à la navigation, son franchissement devait se faire impérativement à pied et par la berge ; que, toutefois, M. C...a entrepris de franchir le barrage de Chisseaux dans son embarcation en empruntant le déversoir situé sur la gauche au mépris de la signalisation indiquant le danger et des consignes données par le loueur de canoës-kayaks du Yatching Club de Montrichard ; qu'après avoir chaviré, M.C..., qui avait échappé aux remous et avait rejoint la rive, est retourné dans le déversoir à bord d'un autre canoë, accompagné de M. D...et de M.A..., dans le but de récupérer sa propre embarcation ; qu'après avoir chaviré M. C...et M. D..., pris dans les remous, se sont noyés ; que les consorts D...ont saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande tendant l'indemnisation des préjudices résultant pour eux du décès de leur époux et père, M. I...D..., sur le fondement de la responsabilité sans faute de la commune de Chisseaux du fait de la qualité de collaborateur occasionnel du service public de la victime ; qu'ils relèvent appel du jugement du 17 avril 2014 par lequel ce tribunal a rejeté leur demande ;

2. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des procès-verbaux d'audition de la gendarmerie établis à l'occasion de l'enquête conduite après les morts par noyade, que M. I... D...et M.C..., accompagnés de M.A..., ont décidé de s'embarquer sur un canoë dans le but de récupérer l'embarcation, vide, dont M. C...avait dessalé en tentant de franchir le déversoir de l'écluse de Chisseaux pourtant interdite à la navigation, et que M. I...D...et M. C...se sont alors noyés après avoir chaviré dans les remous du déversoir ; que l'intervention de M. D...et de M. C...n'était pas motivée par l'urgente nécessité de porter secours à une personne en détresse, M. C...ayant pu rejoindre seul la rive après un premier dessalement, mais par leur intérêt propre tenant à la récupération de l'embarcation qu'ils avaient louée ; que la circonstance que M. I...D...s'est vu décerner, à titre posthume, une médaille pour acte de courage n'est pas de nature à remettre en cause l'ensemble des constatations effectuées par les gendarmes, lesquelles font foi jusqu'à preuve du contraire, et les témoignages qu'ils ont recueillis, établissant les conditions dans lesquelles l'accident mortel s'est produit et qui ont été rappelées ci-dessus ; qu'il suit de là que M. I...D...ne peut être regardé comme ayant eu la qualité de collaborateur occasionnel d'un service public à l'égard duquel la responsabilité de la commune pourrait être engagée en dehors de toute faute ; qu'au surplus, en s'engageant sur une partie de la rivière interdite à la navigation sans nécessité de prévenir un danger ou de porter secours, M. I...D...et ses amis ont commis une imprudence de nature, en tout état de cause, à exonérer totalement la collectivité territoriale dont les requérants ont choisi de rechercher la responsabilité ;
3. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande de première instance, que les consorts D...ne sont pas fondés à soutenir c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande ; que, par voie de conséquence, et en l'absence de condamnation prononcée à son encontre, les conclusions d'appel en garantie dirigées par la commune de Chisseaux à l'encontre du syndicat intercommunal pour l'entretien et l'exploitation du Cher canalisé et de l'État, qui sont dépourvues d'objet, doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
4. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Chisseaux, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par les consorts D...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des consorts D...les sommes demandées par la commune de Chisseaux et par le syndicat intercommunal pour l'entretien et l'exploitation du Cher canalisé, au même titre ;


DÉCIDE :


Article 1er : La requête de Mme G...D..., de Mme E...D..., de M. B...D...et de M. F...D...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel en garantie présentées par la commune de Chisseaux sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Chisseaux et par le syndicat intercommunal pour l'entretien et l'exploitation du Cher canalisé tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G...D..., à M. B... D..., à M. F... D..., à Mme E...D..., à la commune de Chisseaux, au syndicat intercommunal pour l'entretien et l'exploitation du Cher canalisé et au ministre de l'intérieur.


Délibéré après l'audience du 28 janvier 2016 à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Lemoine, premier conseiller.

Lu en audience publique le 18 février 2016.


Le rapporteur,




F. Lemoine

Le président,




I. Perrot
Le greffier,




A. Maugendre

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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