Conseil d'État, 8ème - 3ème SSR, 15/02/2016, 381911

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Cum Paritalie a demandé au tribunal administratif de Melun de prononcer la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 à 2010 dans les rôles de la commune du Kremlin-Bicêtre. Par un jugement n° 1109817 du 24 avril 2014, le tribunal administratif a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer à concurrence des dégrèvements prononcés en cours d'instance au titre des années 2006 et 2007, a prononcé la réduction de la base d'imposition au titre de l'année 2008 et déchargé la société de l'imposition correspondant à cette réduction et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 juin et 30 septembre 2014 et le 10 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Cum Paritalie demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 4 de ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Etienne de Lageneste, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la SNC Cum Paritalie ;




1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Cum Paritalie est propriétaire d'un ensemble immobilier situé sur la commune du Kremlin-Bicêtre ; qu'après avoir vainement demandé la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 à 2010, la société a saisi le tribunal administratif de Melun, qui, par un jugement du 24 avril 2014, a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer à concurrence des dégrèvements prononcés en cours d'instance au titre des années 2006 et 2007, a prononcé la réduction de la base d'imposition au titre de l'année 2008, a déchargé la société de l'imposition correspondant à cette réduction et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'un coefficient de pondération de 1 a été appliqué par l'administration aux locaux à usage principal et qu'un coefficient de 0,33 a été appliqué aux annexes ; que la société faisait notamment valoir devant les juges du fond qu'elle demandait l'application d'un coefficient de 0,33 pour les zones d'accueil, les réserves, les archives, les dégagements, les locaux sociaux et les stockages et l'application d'un coefficient de 0,2 aux locaux techniques et au parking ; qu'en réponse au mémoire en défense de l'administration, la société s'est bornée à soutenir que les coefficients qu'elle proposait étaient ceux qui sont retenus habituellement et à contester l'application du coefficient de 1 ; que, compte tenu de l'argumentation dont il était saisi, le tribunal administratif a suffisamment motivé son jugement en estimant que les coefficients d'usage proposés par la société avaient un caractère indicatif et en rejetant la demande tendant à la réduction du coefficient appliqué aux locaux techniques et au parking de 0,33 à 0,2 ;

Sur le bien-fondé du jugement en ce qui concerne l'évaluation des locaux au titre de l'année 2008 :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 1415 du code général des impôts : " La taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties et la taxe d'habitation sont établies pour l'année entière d'après les faits existants au 1er janvier de l'année de l'imposition " ; qu'aux termes de l'article 1498 du même code : " La valeur locative de tous les biens autres que les locaux visés au I de l'article 1496 et que les établissements industriels visés à l'article 1499 est déterminée au moyen de l'une des méthodes indiquées ci-après : / (...) 2° a. Pour les biens loués à des conditions de prix anormales ou occupés par leur propriétaire, occupés par un tiers à un autre titre que la location, vacants ou concédés à titre gratuit, la valeur locative est déterminée par comparaison. / Les termes de comparaison sont choisis dans la commune. Ils peuvent être choisis hors de la commune pour procéder à l'évaluation des immeubles d'un caractère particulier ou exceptionnel ; / b. La valeur locative des termes de comparaison est arrêtée : / Soit en partant du bail en cours à la date de référence de la révision lorsque l'immeuble type était loué normalement à cette date, / Soit, dans le cas contraire, par comparaison avec des immeubles similaires situés dans la commune ou dans une localité présentant, du point de vue économique, une situation analogue à celle de la commune en cause et qui faisaient l'objet à cette date de locations consenties à des conditions de prix normales (...) " ; qu'aux termes de l'article 1504 du code: " Les locaux-types à retenir pour l'évaluation par comparaison des biens visés à l'article 1498 sont choisis par le représentant de l'administration et par la commission communale des impôts directs " ; qu'aux termes de l'article 324 Z de l'annexe III au code : " I. L'évaluation par comparaison consiste à attribuer à un immeuble ou à un local donné une valeur locative proportionnelle à celle qui a été adoptée pour d'autres biens de même nature pris comme types. / II. Les types dont il s'agit doivent correspondre aux catégories dans lesquelles peuvent être rangés les biens de la commune visés aux articles 324 Y à 324 AC, au regard de l'affectation, de la situation, de la nature de la construction, de son importance, de son état d'entretien et de son aménagement. / Ils sont inscrits au procès-verbal des opérations de la révision " ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour l'établissement de la taxe foncière, la valeur locative de l'ensemble immobilier a été évaluée par comparaison ; que, pour procéder à cette comparaison, l'administration a, jusqu'en 2006, retenu les locaux-types n° 36 ou n° 37 inscrits sur le procès-verbal des opérations de révision foncière de la commune ; que, pour les années 2006 et 2007, elle a retenu le local-type n° 17 inscrit sur le même procès-verbal ; qu'à partir de l'année 2008, elle a substitué le local-type n° 45 de ce procès-verbal au local-type n° 17 ; que le tribunal administratif a relevé que le local-type n° 45 n'avait été inscrit sur le procès-verbal des opérations de révision foncière de la commune du Kremlin-Bicêtre que le 11 février 2008 et qu'il ne pouvait de ce fait servir de terme de comparaison au titre de l'année 2008 ; que, dès lors, il lui appartenait de se prononcer sur le terme de comparaison qu'il estimait pertinent après en avoir vérifié la régularité ; qu'en jugeant qu'il y avait lieu de retenir la valeur locative du local-type n° 17, qui avait servi au calcul de l'imposition de l'année précédente, au motif qu'elle n'était pas contestée, alors qu'elle l'était, il s'est mépris sur la portée des écritures de la société requérante et a en conséquence commis une erreur de droit ;

Sur le bien-fondé du jugement en ce qui concerne le terme de comparaison au titre des années 2009 et 2010 :

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour l'évaluation des locaux à usage de bureaux, à l'exception des locaux occupés par la société AAI Pharma, la société Cum Paritalie contestait la pertinence du local-type n° 45 retenu par l'administration et demandait que lui soient substitués le local-type n° 36 ou n° 37 utilisé comme terme de comparaison jusqu'en 2006 ; que, pour justifier le changement de terme de comparaison auquel elle avait procédé, l'administration soutenait que les loyers des locaux-types n° 36 et n° 37 étaient faibles à la date de la révision de 1970 ; qu'en jugeant, pour écarter les locaux-types n° 36 et n° 37, que la société ne contestait pas les conditions de prix auxquelles les baux avaient été conclus, le tribunal administratif n'a ni méconnu son office, ni commis d'erreur de droit ;

Sur le bien-fondé du jugement en ce qui concerne l'évaluation des parkings au titre des années 2006 à 2010 :

6. Considérant qu'aux termes de l'article 1494 du code général des impôts : " La valeur locative des biens passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties, de la taxe d'habitation ou d'une taxe annexe établie sur les mêmes bases est déterminée, conformément aux règles définies par les articles 1495 à 1508, pour chaque propriété ou fraction de propriété normalement destinée à une utilisation distincte " ; qu'aux termes de l'article 324 A de l'annexe III au même code: " Pour l'application de l'article 1494 du code général des impôts on entend : / 2° Par fraction de propriété normalement destinée à une utilisation distincte lorsqu'ils sont situés dans un immeuble collectif ou un ensemble immobilier : a. Le local normalement destiné à raison de son agencement à être utilisé par un même occupant ; (...) / Est également considéré comme une fraction de propriété l'ensemble des sols terrains bâtiments et parties de bâtiment réservés à l'usage commun des occupants. L'immeuble collectif s'entend de toute propriété bâtie normalement aménagée pour recevoir au moins deux occupants " ;

7. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, hors le cas des immeubles de grande hauteur, les parties d'un ensemble immobilier constituent des " fractions de propriété normalement destinées à une utilisation distincte " au sens de l'article 1494 du code général des impôts lorsqu'elles sont susceptibles de faire l'objet chacune d'une utilisation distincte par un même occupant ; que les aires de stationnement et les parkings d'un immeuble de bureaux doivent être regardés comme des fractions de propriété destinées à une utilisation distincte des bureaux ; qu'à cet égard, est sans incidence la circonstance qu'ils fassent ou non l'objet d'une exploitation commerciale autonome ; qu'ainsi, en jugeant que les parkings de l'ensemble immobilier de la société Cum Paritalie, qui ne faisaient l'objet d'aucune exploitation distincte, ne pouvaient être regardés comme une fraction de propriété destinée à une utilisation autonome de l'activité de bureaux, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ;

Sur le bien-fondé du jugement en ce qui concerne la détermination de la surface pondérée :

8. Considérant qu'aux termes de l'article 324 AA de l'annexe III au code général des impôts : " La valeur locative cadastrale des biens (...) est obtenue en appliquant aux données relatives à leur consistance - telles que superficie réelle, nombre d'éléments - les valeurs unitaires arrêtées pour le type de la catégorie correspondante. Cette valeur est ensuite ajustée pour tenir compte des différences qui peuvent exister entre le type considéré et l'immeuble à évaluer, notamment du point de vue de la situation, de la nature de la construction, de son état d'entretien, de son aménagement, ainsi que de l'importance plus ou moins grande de ses dépendances bâties et non bâties si ces éléments n'ont pas été pris en considération lors de l'appréciation de la consistance " ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le local-type n° 45 ne comprend pas de salle de cours ou de formation ; que le tribunal administratif a jugé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les locaux occupés par l'école d'ingénieurs au sein de l'ensemble immobilier de la société Cum Paritalie étaient principalement constitués de bureaux et que les salles de cours ne différaient pas des salles de réunion dans un immeuble de bureaux ; que, dès lors, le tribunal administratif n'a ni commis d'erreur de droit, ni dénaturé les pièces du dossier en rejetant la demande de la société requérante tendant à ce que soit appliqué un coefficient de pondération de 0,5 au lieu de 1 pour les surfaces affectées aux salles de cours et de formation au motif qu'elles relèvent de l'usage principal du local à évaluer et du local pris comme terme de comparaison ;

Sur le bien-fondé du jugement en ce qui concerne le changement de consistance et d'affectation :

9. Considérant qu'aux termes de l'article 1517 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " I. 1. Il est procédé, annuellement, à la constatation des constructions nouvelles et des changements de consistance ou d'affectation des propriétés bâties et non bâties. Il en va de même pour les changements de caractéristiques physiques ou d'environnement quand ils entraînent une modification de plus d'un dixième de la valeur locative " ; que le changement de consistance s'entend de la transformation apportée à la composition d'un local préexistant afin d'en modifier le volume ou la surface de manière substantielle, notamment par l'addition de constructions, la démolition totale ou partielle de la construction ou sa restructuration par division ou réunion de locaux préexistants ; que la modification dans la répartition des surfaces louées, lorsque la surface de l'ensemble du bien donné en location demeure inchangée, ne peut être qualifiée de changement de consistance ; que, pour un local commercial, le changement d'affectation s'entend de la modification de sa destination ayant pour effet de lui faire perdre sa qualité de local commercial ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les modifications de répartition des surfaces au sein de l'ensemble immobilier de la société Cum Paritalie n'ont pas conduit à modifier la nature commerciale de cet immeuble ; qu'ainsi, en jugeant que les modifications de répartition des surfaces n'avaient pas constitué un changement dans la consistance ou dans l'affectation de l'immeuble ou dans ses caractéristiques physiques et d'environnement, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'article 4 du jugement du tribunal administratif doit être annulé en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à la demande de la société Cum Paritalie tendant à la réduction des impositions auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2008 et en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à évaluer distinctement les parkings de l'ensemble immobilier au titre des années 2006 et 2010 ;

11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Cum Paritalie, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;




D E C I D E :
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Article 1er : L'article 4 du jugement du tribunal administratif de Melun du 24 avril 2014 est annulé en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à la demande de la société Cum Paritalie tendant à la réduction des impositions dues au titre de l'année 2008 et en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à évaluer distinctement les parkings de l'ensemble immobilier au titre des années 2006 et 2010.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, au tribunal administratif de Melun.

Article 3 : L'Etat versera à la société Cum Paritalie la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Cum Paritalie et au ministre des finances et des comptes publics.

ECLI:FR:XX:2016:381911.20160215
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