CAA de MARSEILLE, 7ème chambre - formation à 3, 21/08/2015, 14MA02413, Inédit au recueil Lebon
CAA de MARSEILLE, 7ème chambre - formation à 3, 21/08/2015, 14MA02413, Inédit au recueil Lebon
CAA de MARSEILLE - 7ème chambre - formation à 3
- N° 14MA02413
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
vendredi
21 août 2015
- Président
- M. BEDIER
- Rapporteur
- Mme Karine JORDA-LECROQ
- Avocat(s)
- A.A.R.P.I. DE PARDIEU BROCAS MAFFEI
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Sud Travaux a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision en date du 30 mars 2012 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité territoriale du Gard de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Languedoc-Roussillon lui a enjoint de modifier son projet de règlement intérieur concernant le dispositif de contrôle aléatoire effectué sur les lieux de travail par le recours à des tests salivaires de dépistage de la consommation de produits stupéfiants mis en place par celui-ci.
Par un jugement n° 1201512 du 27 mars 2014, le tribunal administratif de Nîmes a fait droit à cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par un recours enregistré le 4 juin 2014, le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 27 mars 2014 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la SAS Sud Travaux devant le tribunal.
Il soutient que :
- le recours aux tests salivaires de dépistage de consommation de drogues n'est pas pertinent au regard de l'obligation d'assurer la sécurité au travail qui s'impose à l'employeur, dès lors que lesdits tests, qui se bornent à détecter la présence de substances psycho-actives sans considération de la quantité absorbée et de ses conséquences sur l'aptitude du salarié à occuper son poste, ne permettent pas d'apprécier le moment de la consommation, et disposent de taux de sensibilité et d'exactitude très variables selon les dispositifs, ne présentent pas un degré de fiabilité suffisant pour pouvoir constituer une mesure appropriée à cette fin, certains médicaments étant notamment susceptibles de positiver les résultats, ces résultats devant être confirmés par des prélèvements et dosages biologiques prescrits et interprétés par un professionnel médical, la notice technique d'emploi précisant elle-même que le test ne fournit qu'un résultat analytique devant être confirmé à l'aide d'une seconde méthode analytique ;
- le fait de prévoir qu'un employeur pratique seul des tests salivaires dont le résultat positif pourrait aboutir à une sanction disciplinaire constitue une atteinte disproportionnée aux libertés des salariés eu égard à l'absence de fiabilité du procédé et à sa nature intrusive.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jorda-Lecroq,
- et les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public.
1. Considérant que la société Sud Travaux, qui avait pour activité la construction dans le domaine du bâtiment et, employant plus de vingt salariés, était assujettie à la mise en place d'un règlement intérieur conformément à ce que prévoient les dispositions de l'article L. 1311-2 du code du travail, avait mis en place, dans le projet de règlement intérieur, un dispositif de contrôle aléatoire effectué sur les lieux de travail par le recours, pour les salariés affectés à des postes hypersensibles, à des tests salivaires de dépistage de la consommation de produits stupéfiants pratiqués par un supérieur hiérarchique ayant reçu une information appropriée sur la manière d'administrer les tests concernés et d'en lire les résultats, avec l'accord de la personne contrôlée et en présence d'un témoin minimum, le projet précisant également que, dans l'hypothèse d'un contrôle positif, le salarié pourrait faire l'objet d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement ; que le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social relève appel du jugement du 27 mars 2014 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a annulé, à la demande de la SAS Sud Travaux, la décision en date du 30 mars 2012 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité territoriale du Gard de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Languedoc-Roussillon lui a enjoint de modifier son projet de règlement intérieur en retirant ce dispositif de contrôle aléatoire effectué sur les lieux de travail par le recours à des tests salivaires de dépistage de la consommation de produits stupéfiants ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 6211-1 du code de la santé publique dans sa rédaction alors applicable : " Un examen de biologie médicale est un acte médical qui concourt à la prévention, au dépistage, au diagnostic ou à l'évaluation du risque de survenue d'états pathologiques, à la décision et à la prise en charge thérapeutiques, à la détermination ou au suivi de l'état physiologique ou physiopathologique de l'être humain " ; qu'aux termes de l'article L. 6211-2 du même code : " Un examen de biologie médicale se déroule en trois phases : 1° La phase pré-analytique, qui comprend le prélèvement d'un échantillon biologique sur un être humain, le recueil des éléments cliniques pertinents, la préparation, le transport et la conservation de l'échantillon biologique jusqu'à l'endroit où il est analysé ; 2° La phase analytique, qui est le processus technique permettant l'obtention d'un résultat d'analyse biologique ; 3° La phase post-analytique, qui comprend la validation, l'interprétation contextuelle du résultat ainsi que la communication appropriée du résultat au prescripteur et, dans les conditions fixées à l'article L. 1111-2, au patient, dans un délai compatible avec l'état de l'art " ; qu'aux termes de l'article L. 6211-3 de ce code : " Ne constituent pas un examen de biologie médicale un test, un recueil et un traitement de signaux biologiques, à visée de dépistage, d'orientation diagnostique ou d'adaptation thérapeutique immédiate. Un arrêté du ministre chargé de la santé établit la liste de ces tests, recueils et traitements de signaux biologiques, après avis de la commission mentionnée à l'article L. 6213-12 et du directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Cet arrêté détermine les catégories de personnes pouvant réaliser ces tests, recueils et traitements de signaux biologiques, ainsi que, le cas échéant, leurs conditions de réalisation " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 1121-1 du code du travail : " Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché " ; qu'aux termes de l'article L. 1321-1 du même code : " Le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement : 1° Les mesures d'application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement, notamment les instructions prévues à l'article L. 4122-1 ; 2° Les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l'employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu'elles apparaîtraient compromises ; 3° Les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur " ; qu'aux termes de l'article L. 1321-3 de ce code : " Le règlement intérieur ne peut contenir : 1° Des dispositions contraires aux lois et règlements ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l'entreprise ou l'établissement ; 2° Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; 3° Des dispositions discriminant les salariés dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle égale, en raison de leur origine, de leur sexe, de leurs moeurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leur situation de famille ou de leur grossesse, de leurs caractéristiques génétiques, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales ou mutualistes, de leurs convictions religieuses, de leur apparence physique, de leur nom de famille ou en raison de leur état de santé ou de leur handicap " ; qu'aux termes de l'article L. 4121-1 dudit code : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ; 2° Des actions d'information et de formation ; 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes " ;
4. Considérant que, pour enjoindre à la SAS Sud Travaux de retirer de son projet de règlement intérieur, pour ce qui relève du dépistage des drogues illicites, d'une part, la phrase : " les tests devront être pratiqués par un supérieur hiérarchique qui aura reçu une information appropriée sur la manière d'administrer les tests concernés et d'en lire les résultats " et, d'autre part, la phrase : " Dans l'hypothèse d'un résultat positif, le salarié pourra faire l'objet d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement ", l'inspectrice du travail a retenu, en particulier, que les tests salivaires devaient être assimilés à un examen biologique au sens des articles L. 6211-1 et 2 du code de la santé publique, qu'ainsi les résultats du dépistage étaient soumis au secret médical et que seul un médecin pouvait les pratiquer et demander, si nécessaire, des examens complémentaires, et, par ailleurs, que la clause relative aux sanctions disciplinaires en cas de résultat positif au test de consommation de drogues illicites était incompatible avec le respect du secret médical, cette clause supposant que l'employeur ait eu connaissance du résultat du test biologique, et qu'une telle clause portait une atteinte excessive aux droits des personnes et aux libertés individuelles en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1321-1 du code du travail ;
5. Considérant que la mise en place d'un dispositif de détection de la consommation de produits stupéfiants permettant de contrôler l'aptitude d'un salarié à occuper son poste de travail et d'assurer la sécurité des travailleurs peut figurer dans le règlement intérieur de l'entreprise sans méconnaître les dispositions précitées des articles L. 1321-1, L. 1321-3 et L. 4121-1 du code du travail ; que, toutefois, en vertu de l'article L. 1121-1 du même code, les modalités d'un tel contrôle ne peuvent apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, si les tests salivaires de dépistage de la consommation de produits stupéfiants, qui ne répondent pas aux critères définis par les dispositions précitées des articles L. 6211-1 et suivants du code de la santé publique, ne constituent pas en eux-mêmes un examen de biologie médicale au sens desdites dispositions, ils consistent toutefois, à la différence notamment des contrôles d'alcoolémie par éthylotest, en un prélèvement d'échantillons biologiques contenant des données biologiques et cliniques soumises au secret médical, ce qui exclut qu'ils puissent être pratiqués et leurs résultats interprétés par un supérieur hiérarchique ainsi que le prévoyait le projet de règlement intérieur de la SAS Sud Travaux ; qu'en outre, si de tels tests peuvent éventuellement indiquer une consommation de drogue, ils ne permettent pas, à la différence encore des contrôles d'alcoolémie par éthylotest, de déterminer un seuil à partir duquel le salarié devrait être regardé comme étant dans l'incapacité de tenir son poste de travail, étant en particulier précisé que la fenêtre de détection peut, dans certains cas, s'étendre jusqu'à 24 heures après usage, ainsi que cela ressort notamment de la notice d'utilisation d'un test salivaire produite ; qu'au surplus, si le résultat positif de tels tests salivaires permet de détecter la présence de substances psycho-actives, il n'indique pas avec certitude une consommation de drogue, dès lors notamment que ces tests peuvent aboutir à de faux résultats positifs ou de faux résultats négatifs dans une proportion non négligeable et que, par ailleurs, la prise de certains médicaments, qui relève du secret médical, peut être susceptible de rendre positif un résultat, certaines des substances détectées étant utilisées dans le traitement médicamenteux de pathologies ou d'affections ; que, dans ces conditions, le recours à des tests salivaires de dépistage de la consommation de produits stupéfiants tel qu'il était mis en place par le projet de règlement intérieur de la SAS Sud Travaux, c'est-à-dire en faisant pratiquer ces tests par un supérieur hiérarchique et en prévoyant la possibilité d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement dans l'hypothèse d'un résultat positif, porte, eu égard à l'absence de respect du secret médical et, au surplus, de fiabilité suffisante, en l'état des tests salivaires existant à ce jour, d'un résultat positif, une atteinte disproportionnée aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives par rapport au but recherché, en méconnaissance des dispositions précitées des articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du code du travail, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges ; que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 30 mars 2012 au motif que l'utilisation du test salivaire de dépistage de l'usage des produits stupéfiants ne portait pas atteinte aux droits et libertés des salariés ;
7. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SAS Sud Travaux devant le tribunal administratif de Nîmes ;
8. Considérant que la SAS Sud Travaux a soutenu devant le tribunal que la décision contestée faisait obstacle à la pleine mise en oeuvre de l'obligation générale de sécurité à laquelle elle était soumise en application des dispositions précitées de l'article L. 4121-1 du code du travail ; que, toutefois, ainsi que cela a été précédemment dit au point 6, le recours à des tests salivaires de dépistage de la consommation de produits stupéfiants tel qu'il était mis en place par le projet de règlement intérieur de la SAS Sud Travaux, c'est-à-dire en faisant pratiquer ces tests par un supérieur hiérarchique et en prévoyant la possibilité d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement dans l'hypothèse d'un résultat positif, porte, eu égard à l'absence de respect du secret médical et, au surplus, de fiabilité suffisante d'un résultat positif, une atteinte disproportionnée aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives par rapport au but recherché ; que, dès lors, la décision du 30 mars 2012 contestée ne porte pas atteinte au respect par l'employeur de son obligation de sécurité et à la préservation de la santé et de la sécurité des salariés ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision de l'inspectrice du travail en date du 30 mars 2012 et à demander l'annulation dudit jugement et le rejet de la demande présentée par la SAS Sud Travaux devant le tribunal administratif de Nîmes ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 27 mars 2014 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la SAS Sud Travaux devant le tribunal administratif de Nîmes est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et à la SAS Sud Travaux.
Délibéré après l'audience du 30 juin 2015, où siégeaient :
- M. Bédier, président de chambre,
- M. A...et Mme Jorda-Lecroq, assesseurs.
Lu en audience publique, le 21 août 2015.
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Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Sud Travaux a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision en date du 30 mars 2012 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité territoriale du Gard de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Languedoc-Roussillon lui a enjoint de modifier son projet de règlement intérieur concernant le dispositif de contrôle aléatoire effectué sur les lieux de travail par le recours à des tests salivaires de dépistage de la consommation de produits stupéfiants mis en place par celui-ci.
Par un jugement n° 1201512 du 27 mars 2014, le tribunal administratif de Nîmes a fait droit à cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par un recours enregistré le 4 juin 2014, le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 27 mars 2014 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la SAS Sud Travaux devant le tribunal.
Il soutient que :
- le recours aux tests salivaires de dépistage de consommation de drogues n'est pas pertinent au regard de l'obligation d'assurer la sécurité au travail qui s'impose à l'employeur, dès lors que lesdits tests, qui se bornent à détecter la présence de substances psycho-actives sans considération de la quantité absorbée et de ses conséquences sur l'aptitude du salarié à occuper son poste, ne permettent pas d'apprécier le moment de la consommation, et disposent de taux de sensibilité et d'exactitude très variables selon les dispositifs, ne présentent pas un degré de fiabilité suffisant pour pouvoir constituer une mesure appropriée à cette fin, certains médicaments étant notamment susceptibles de positiver les résultats, ces résultats devant être confirmés par des prélèvements et dosages biologiques prescrits et interprétés par un professionnel médical, la notice technique d'emploi précisant elle-même que le test ne fournit qu'un résultat analytique devant être confirmé à l'aide d'une seconde méthode analytique ;
- le fait de prévoir qu'un employeur pratique seul des tests salivaires dont le résultat positif pourrait aboutir à une sanction disciplinaire constitue une atteinte disproportionnée aux libertés des salariés eu égard à l'absence de fiabilité du procédé et à sa nature intrusive.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jorda-Lecroq,
- et les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public.
1. Considérant que la société Sud Travaux, qui avait pour activité la construction dans le domaine du bâtiment et, employant plus de vingt salariés, était assujettie à la mise en place d'un règlement intérieur conformément à ce que prévoient les dispositions de l'article L. 1311-2 du code du travail, avait mis en place, dans le projet de règlement intérieur, un dispositif de contrôle aléatoire effectué sur les lieux de travail par le recours, pour les salariés affectés à des postes hypersensibles, à des tests salivaires de dépistage de la consommation de produits stupéfiants pratiqués par un supérieur hiérarchique ayant reçu une information appropriée sur la manière d'administrer les tests concernés et d'en lire les résultats, avec l'accord de la personne contrôlée et en présence d'un témoin minimum, le projet précisant également que, dans l'hypothèse d'un contrôle positif, le salarié pourrait faire l'objet d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement ; que le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social relève appel du jugement du 27 mars 2014 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a annulé, à la demande de la SAS Sud Travaux, la décision en date du 30 mars 2012 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité territoriale du Gard de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Languedoc-Roussillon lui a enjoint de modifier son projet de règlement intérieur en retirant ce dispositif de contrôle aléatoire effectué sur les lieux de travail par le recours à des tests salivaires de dépistage de la consommation de produits stupéfiants ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 6211-1 du code de la santé publique dans sa rédaction alors applicable : " Un examen de biologie médicale est un acte médical qui concourt à la prévention, au dépistage, au diagnostic ou à l'évaluation du risque de survenue d'états pathologiques, à la décision et à la prise en charge thérapeutiques, à la détermination ou au suivi de l'état physiologique ou physiopathologique de l'être humain " ; qu'aux termes de l'article L. 6211-2 du même code : " Un examen de biologie médicale se déroule en trois phases : 1° La phase pré-analytique, qui comprend le prélèvement d'un échantillon biologique sur un être humain, le recueil des éléments cliniques pertinents, la préparation, le transport et la conservation de l'échantillon biologique jusqu'à l'endroit où il est analysé ; 2° La phase analytique, qui est le processus technique permettant l'obtention d'un résultat d'analyse biologique ; 3° La phase post-analytique, qui comprend la validation, l'interprétation contextuelle du résultat ainsi que la communication appropriée du résultat au prescripteur et, dans les conditions fixées à l'article L. 1111-2, au patient, dans un délai compatible avec l'état de l'art " ; qu'aux termes de l'article L. 6211-3 de ce code : " Ne constituent pas un examen de biologie médicale un test, un recueil et un traitement de signaux biologiques, à visée de dépistage, d'orientation diagnostique ou d'adaptation thérapeutique immédiate. Un arrêté du ministre chargé de la santé établit la liste de ces tests, recueils et traitements de signaux biologiques, après avis de la commission mentionnée à l'article L. 6213-12 et du directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Cet arrêté détermine les catégories de personnes pouvant réaliser ces tests, recueils et traitements de signaux biologiques, ainsi que, le cas échéant, leurs conditions de réalisation " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 1121-1 du code du travail : " Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché " ; qu'aux termes de l'article L. 1321-1 du même code : " Le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement : 1° Les mesures d'application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement, notamment les instructions prévues à l'article L. 4122-1 ; 2° Les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l'employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu'elles apparaîtraient compromises ; 3° Les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur " ; qu'aux termes de l'article L. 1321-3 de ce code : " Le règlement intérieur ne peut contenir : 1° Des dispositions contraires aux lois et règlements ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l'entreprise ou l'établissement ; 2° Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; 3° Des dispositions discriminant les salariés dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle égale, en raison de leur origine, de leur sexe, de leurs moeurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leur situation de famille ou de leur grossesse, de leurs caractéristiques génétiques, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales ou mutualistes, de leurs convictions religieuses, de leur apparence physique, de leur nom de famille ou en raison de leur état de santé ou de leur handicap " ; qu'aux termes de l'article L. 4121-1 dudit code : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ; 2° Des actions d'information et de formation ; 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes " ;
4. Considérant que, pour enjoindre à la SAS Sud Travaux de retirer de son projet de règlement intérieur, pour ce qui relève du dépistage des drogues illicites, d'une part, la phrase : " les tests devront être pratiqués par un supérieur hiérarchique qui aura reçu une information appropriée sur la manière d'administrer les tests concernés et d'en lire les résultats " et, d'autre part, la phrase : " Dans l'hypothèse d'un résultat positif, le salarié pourra faire l'objet d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement ", l'inspectrice du travail a retenu, en particulier, que les tests salivaires devaient être assimilés à un examen biologique au sens des articles L. 6211-1 et 2 du code de la santé publique, qu'ainsi les résultats du dépistage étaient soumis au secret médical et que seul un médecin pouvait les pratiquer et demander, si nécessaire, des examens complémentaires, et, par ailleurs, que la clause relative aux sanctions disciplinaires en cas de résultat positif au test de consommation de drogues illicites était incompatible avec le respect du secret médical, cette clause supposant que l'employeur ait eu connaissance du résultat du test biologique, et qu'une telle clause portait une atteinte excessive aux droits des personnes et aux libertés individuelles en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1321-1 du code du travail ;
5. Considérant que la mise en place d'un dispositif de détection de la consommation de produits stupéfiants permettant de contrôler l'aptitude d'un salarié à occuper son poste de travail et d'assurer la sécurité des travailleurs peut figurer dans le règlement intérieur de l'entreprise sans méconnaître les dispositions précitées des articles L. 1321-1, L. 1321-3 et L. 4121-1 du code du travail ; que, toutefois, en vertu de l'article L. 1121-1 du même code, les modalités d'un tel contrôle ne peuvent apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, si les tests salivaires de dépistage de la consommation de produits stupéfiants, qui ne répondent pas aux critères définis par les dispositions précitées des articles L. 6211-1 et suivants du code de la santé publique, ne constituent pas en eux-mêmes un examen de biologie médicale au sens desdites dispositions, ils consistent toutefois, à la différence notamment des contrôles d'alcoolémie par éthylotest, en un prélèvement d'échantillons biologiques contenant des données biologiques et cliniques soumises au secret médical, ce qui exclut qu'ils puissent être pratiqués et leurs résultats interprétés par un supérieur hiérarchique ainsi que le prévoyait le projet de règlement intérieur de la SAS Sud Travaux ; qu'en outre, si de tels tests peuvent éventuellement indiquer une consommation de drogue, ils ne permettent pas, à la différence encore des contrôles d'alcoolémie par éthylotest, de déterminer un seuil à partir duquel le salarié devrait être regardé comme étant dans l'incapacité de tenir son poste de travail, étant en particulier précisé que la fenêtre de détection peut, dans certains cas, s'étendre jusqu'à 24 heures après usage, ainsi que cela ressort notamment de la notice d'utilisation d'un test salivaire produite ; qu'au surplus, si le résultat positif de tels tests salivaires permet de détecter la présence de substances psycho-actives, il n'indique pas avec certitude une consommation de drogue, dès lors notamment que ces tests peuvent aboutir à de faux résultats positifs ou de faux résultats négatifs dans une proportion non négligeable et que, par ailleurs, la prise de certains médicaments, qui relève du secret médical, peut être susceptible de rendre positif un résultat, certaines des substances détectées étant utilisées dans le traitement médicamenteux de pathologies ou d'affections ; que, dans ces conditions, le recours à des tests salivaires de dépistage de la consommation de produits stupéfiants tel qu'il était mis en place par le projet de règlement intérieur de la SAS Sud Travaux, c'est-à-dire en faisant pratiquer ces tests par un supérieur hiérarchique et en prévoyant la possibilité d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement dans l'hypothèse d'un résultat positif, porte, eu égard à l'absence de respect du secret médical et, au surplus, de fiabilité suffisante, en l'état des tests salivaires existant à ce jour, d'un résultat positif, une atteinte disproportionnée aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives par rapport au but recherché, en méconnaissance des dispositions précitées des articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du code du travail, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges ; que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 30 mars 2012 au motif que l'utilisation du test salivaire de dépistage de l'usage des produits stupéfiants ne portait pas atteinte aux droits et libertés des salariés ;
7. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SAS Sud Travaux devant le tribunal administratif de Nîmes ;
8. Considérant que la SAS Sud Travaux a soutenu devant le tribunal que la décision contestée faisait obstacle à la pleine mise en oeuvre de l'obligation générale de sécurité à laquelle elle était soumise en application des dispositions précitées de l'article L. 4121-1 du code du travail ; que, toutefois, ainsi que cela a été précédemment dit au point 6, le recours à des tests salivaires de dépistage de la consommation de produits stupéfiants tel qu'il était mis en place par le projet de règlement intérieur de la SAS Sud Travaux, c'est-à-dire en faisant pratiquer ces tests par un supérieur hiérarchique et en prévoyant la possibilité d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement dans l'hypothèse d'un résultat positif, porte, eu égard à l'absence de respect du secret médical et, au surplus, de fiabilité suffisante d'un résultat positif, une atteinte disproportionnée aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives par rapport au but recherché ; que, dès lors, la décision du 30 mars 2012 contestée ne porte pas atteinte au respect par l'employeur de son obligation de sécurité et à la préservation de la santé et de la sécurité des salariés ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision de l'inspectrice du travail en date du 30 mars 2012 et à demander l'annulation dudit jugement et le rejet de la demande présentée par la SAS Sud Travaux devant le tribunal administratif de Nîmes ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 27 mars 2014 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la SAS Sud Travaux devant le tribunal administratif de Nîmes est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et à la SAS Sud Travaux.
Délibéré après l'audience du 30 juin 2015, où siégeaient :
- M. Bédier, président de chambre,
- M. A...et Mme Jorda-Lecroq, assesseurs.
Lu en audience publique, le 21 août 2015.
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N° 14MA02413
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