Conseil d'État, 6ème - 1ère SSR, 03/02/2016, 380344, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Top et M. A...B...ont demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'État à leur verser la somme de 4 356 656,33 euros, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation. Par un jugement n° 0900980 du 21 février 2012, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 12DA00626 du 6 mars 2014, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé contre ce jugement par la société Top et M.B....

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 15 mai et 18 août 2014 et le 9 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Top et M. B...demandent au Conseil d'État :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Top et autre ;




1. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué et des pièces du dossier soumis à l'appréciation de la cour administrative d'appel de Douai que l'entrepôt de stockage de produits phytosanitaires à usage agricole exploité par la société Top sur le territoire de la commune de Villers-Bretonneux a fait l'objet d'une perquisition le 26 novembre 2002 et que son représentant légal, M. A...B..., a été placé en garde à vue dans le cadre d'une enquête judiciaire relative à un trafic de produits toxiques non autorisés ; qu'à la suite du rapport et du procès-verbal d'infractions établis le 28 novembre 2002 après la visite du site par l'inspecteur des installations classées, le préfet de la Somme a pris plusieurs arrêtés par lesquels il a notamment mis en demeure la société Top de déposer un dossier de demande d'autorisation au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, suspendu son activité et lui a imposé des prescriptions tendant à l'évacuation de produits dangereux stockés sur le site ; que les représentants de la préfecture de la Somme ont fait plusieurs déclarations à la presse sur la situation du site exploité par la société Top ; que la société Top et M. B...ont été mis en examen pour plusieurs chefs d'infraction pénale à la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement ; que, par un arrêt du 4 mai 2005 la cour d'appel d'Amiens a prononcé la relaxe de la société Top et de M. B... ; que la société Top et M. B...ont formé un contentieux indemnitaire tendant à la réparation des préjudices qu'ils estimaient avoir subis du fait de l'illégalité de ces arrêtés et du fait des déclarations faites par l'administration à la presse ;

2. Considérant, en premier lieu, que l'autorité de la chose jugée qui appartient aux décisions des juges répressifs ne s'attache qu'aux constatations de fait contenues dans leur jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif de ce jugement ; qu'elle ne s'étend à l'appréciation et à la qualification des faits retenues par le juge répressif que lorsque la légalité d'une décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale ;

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 514-2 du code de l'environnement, dans sa rédaction alors en vigueur : " Lorsqu'une installation classée est exploitée sans avoir fait l'objet de la déclaration ou de l'autorisation requise par le présent titre, le préfet met l'exploitant en demeure de régulariser sa situation dans un délai déterminé en déposant, suivant le cas, une déclaration ou une demande d'autorisation. Il peut, par arrêté motivé, suspendre l'exploitation de l'installation jusqu'au dépôt de la déclaration ou jusqu'à la décision relative à la demande d'autorisation. / Si l'exploitant ne défère pas à la mise en demeure de régulariser sa situation ou si sa demande d'autorisation est rejetée, le préfet peut, en cas de nécessité, ordonner la fermeture ou la suppression de l'installation. Si l'exploitant n'a pas obtempéré dans le délai fixé, le préfet peut faire application des procédures prévues aux 1° et 2° du I de l'article L. 514-1. / Le préfet peut faire procéder par un agent de la force publique à l'apposition des scellés sur une installation qui est maintenue en fonctionnement soit en infraction à une mesure de suppression, de fermeture ou de suspension prise en application de l'article L. 514-1, de l'article L. 514-7, ou des deux premiers alinéas du présent article, soit en dépit d'un arrêté de refus d'autorisation. " ;

4. Considérant, d'autre part, que les articles L. 514-9 et suivants du code de l'environnement instituent différentes infractions susceptibles de sanctions pénales à raison de l'exploitation sans titre d'une installation classée pour la protection de l'environnement ou de la méconnaissance des décisions de l'autorité préfectorale destinées à faire cesser une telle situation ;

5. Considérant que le préfet peut, en application des dispositions de l'article L. 514-2 du code de l'environnement citées au point 3, prendre les mesures prévues en cas d'exploitation sans titre d'une installation classée pour la protection de l'environnement, indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées en raison des infractions pénales susceptibles de résulter des mêmes faits ; que la légalité des décisions préfectorales prises sur ce fondement n'est pas subordonnée à la condition que les faits sur lesquels elles sont fondées soient constitutifs de l'une des infractions pénales visées au point 4 ; que, par suite, en jugeant que la légalité des arrêtés litigieux pris par le préfet de la Somme en application des pouvoirs qu'il tient de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement n'était pas subordonnée à la condition que les faits qui leur servent de fondement soient constitutifs d'une infraction pénale, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;

6. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, comme l'a relevé la cour, que les déclarations faites à la presse par les représentants des services préfectoraux sur la situation du site exploité par la société Top tendaient à informer et à rassurer la population locale au sein de laquelle s'exprimait une forte inquiétude liée à l'existence de révélations portant sur l'existence d'un réseau de distribution illégale de produits phytosanitaires faisant l'objet d'une enquête pénale, et dont la presse nationale et locale s'était fait largement l'écho ; que la cour a également relevé qu'aucun des propos tenus par ces représentants ne pouvait être regardé comme ayant présenté un caractère excessif ou comme résultant de la violation d'un secret protégé par la loi ou encore comme ayant préjugé de l'issue de la procédure pénale ; que si certaines de ces déclarations ont pu comporter des éléments qui se sont révélés postérieurement erronés ou imprécis, ces erreurs ou imprécisions ne suffisaient pas en l'espèce à caractériser une atteinte à l'image de la société ou de ses dirigeants, qui faisaient à l'époque l'objet de poursuites judiciaires, et que les représentants de la société avaient pu bénéficier d'un droit de réponse dans la presse ; qu'en déduisant de l'ensemble de ces constatations que les représentants de l'administration préfectorale, par leurs déclarations aux médias, n'avaient pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'État, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Top et M. B... ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ; que leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;




D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Top et de M. B...est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Top, premier requérant dénommé, et à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. L'autre requérant sera informé de la présente décision par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, qui le représente devant le Conseil d'État.

ECLI:FR:CESSR:2016:380344.20160203
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