CAA de PARIS, 10ème chambre, 02/02/2016, 15PA01092, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...C...a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2003 et 2004.

Par un jugement n° 0906472/2 du 19 juillet 2011, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 11PA04584 du 20 février 2013, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par Mme C...contre ce jugement.

Par une décision n° 367894 du 27 février 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi de MmeC..., a annulé l'arrêt n° 11PA04584 du 20 février 2013 de la Cour administrative d'appel de Paris et renvoyé cette affaire devant la même Cour.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 octobre 2011 et 19 juin 2012, et après cassation par un nouveau mémoire enregistré le 25 juin 2015, Mme C...représentée par Me A... demande à la Cour :


1°) d'annuler le jugement n° 0906472/2 du 19 juillet 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquelles M. et Mme C...ont été assujettis au titre des années 2003 et 2004 ;

2°) de prononcer la décharge sollicitée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :
- elle n'avait pas avec son mari son domicile fiscal en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts ;
- elle et son mari ont conservé leur foyer fiscal au Royaume-Uni en dépit de leurs séjours en France en 2003 et 2004 qui n'ont été que la conséquence de son hospitalisation et de son état de santé nécessitant une rééducation dans sa langue maternelle ;
- sa présence en France et l'occupation du domicile parisien étaient dues à des circonstances exceptionnelles ;
- ils étaient résidents du Royaume-Uni au sens de la convention fiscale franco-britannique et ils y ont régulièrement payé leurs impôts depuis 1998 ;
- elle et son mari ont été assujettis au Royaume-Uni à une obligation fiscale illimitée en 2003 et 2004 dans la mesure où ils ont été imposés sur leurs revenus de source britannique mais également sur des revenus de source étrangère ;
- les sommes perçues en provenance des sociétés Smileyworld Ltd et Big UK Ltd sont des remboursements de comptes courants détenus par M. B... C...auprès de la société Smileyworld Ltd ;
- l'absence de prise en compte, sans motivation valable, des certificats qui émanent des commissaires aux comptes qui ont certifié les comptes de la société prive Mme C...de toute possibilité de se défendre dans le présent litige ;
- Mme C...n'ayant jamais eu d'activité professionnelle pour le compte de ces sociétés à titre de salariée ou de prestataire indépendant, elle ne saurait avoir perçu de ces sociétés des revenus relevant de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mai 2012, et un nouveau mémoire après cassation enregistré le 18 septembre 2015 le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Le ministre des finances et des comptes publics fait valoir que les moyens soulevés par Mme C...ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention fiscale franco-britannique du 22 mai 1968 modifiée alors en vigueur ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.



Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mielnik-Meddah,
- et les conclusions de M. Ouardes, rapporteur public.

1. Considérant qu'à la suite d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle portant sur les années 2003 et 2004, M. et Mme C...ont été taxés d'office à l'impôt sur le revenu, sur le fondement des articles L. 66 et L. 67 du livre des procédures fiscales, à raison de sommes figurant au crédit de deux comptes bancaires dont Mme C...était titulaire ; que Mme C... a contesté les impositions et pénalités en résultant devant le Tribunal administratif de Paris qui, par un jugement du 19 juillet 2011, a rejeté sa demande de décharge ; que Mme C...s'étant pourvue en cassation contre l'arrêt n° 11PA04584 du 20 février 2013 par lequel la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation de ce jugement, le Conseil d'Etat, par une décision n° 367894 du 27 février 2015, a considéré que la cour administrative d'appel avait commis une erreur de droit en jugeant que le foyer de M. et MmeC..., au sens des dispositions du a) du 1 de l'article 4 B du code général des impôts, se situait en France, sans rechercher si le séjour en France de M. et Mme C...au cours des années 2003 et 2004 ne résultait pas de circonstances exceptionnelles, alors que Mme C... soutenait que sa présence en France avait été rendue nécessaire par les soins médicaux qu'elle avait dû recevoir à la suite d'un accident vasculaire cérébral survenu à Paris en décembre 2002 ; que le Conseil d'Etat a en conséquence annulé l'arrêt n° 11PA04584 du 20 février 2013 et renvoyé cette affaire à la Cour administrative d'appel de Paris ;

Sur la domiciliation fiscale :

2. Considérant que, si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition ; que, par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification ; qu'il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer, en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office, si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale ; qu'il en est ainsi à l'égard de toute convention ayant cet objet, telle que la convention fiscale franco-britannique du 22 mai 1968 modifiée, alors même qu'elle définit directement les critères de la résidence fiscale à prendre en compte pour les besoins de son application ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 4 A du code général des impôts: " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus. Celles dont le domicile fiscal est situé hors de France sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source française " ; qu'aux termes de l'article 4 B du même code : " 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal (...) " ; que pour l'application de ces dispositions, le foyer s'entend du lieu où le contribuable habite normalement et a le centre de ses intérêts familiaux, sans qu'il soit tenu compte des séjours effectués temporairement ailleurs en raison des nécessités de la profession ou de circonstances exceptionnelles ;


4. Considérant que depuis la fin des années 1990, M. et Mme C...se sont installés au Royaume-Uni où les sociétés dont M. C... était le dirigeant avaient leurs sièges et que les intéressés disposaient d'un appartement à Londres ; que M. et Mme C...ont été imposés dans ce pays sur les revenus de source française qu'ils y ont déclarés pendant les années 2003 et 2004 en litige ; que l'administration fiscale n'a aucunement remis en cause la localisation du foyer des intéressés au Royaume-Uni pour les années antérieures et postérieures à celles en litige ; que M. et Mme C...étaient également locataires en 2003 et 2004 d'un appartement de 198 m² situé dans le seizième arrondissement de Paris pour lequel ont été enregistrées, au cours de cette période, d'importantes et régulières consommations d'électricité et de téléphone démontrant l'occupation de cet appartement ; que les comptes bancaires, ouverts exclusivement au nom de MmeC..., présentaient des dépenses régulières de vie courante effectuées en France, principalement dans cet arrondissement de Paris ; que Mme C...soutient toutefois qu'elle réside avec son mari habituellement dans leur appartement londonien et que les séjours effectués en France en 2003 et 2004 résultent de circonstances exceptionnelles liées à son état de santé ;

5. Considérant qu'il est également constant que Mme C...a été régulièrement présente en France durant les années 2003 et 2004 à la suite d'un accident vasculaire cérébral survenu à Paris en décembre 2002 qui a nécessité des soins de kinésithérapie et d'orthophonie dans sa langue maternelle et dont elle a gardé, ainsi que l'attestent les différents certificats médicaux produits au dossier, des séquelles se traduisant par un lourd handicap justifiant l'aide et la présence d'une tierce personne ; que, dans ces conditions, alors même que l'intéressée aurait occupé cet appartement pendant les années en litige comme tendent à le démontrer les factures d'EDF établies au nom de M. C..., lequel reconnaît avoir pu ponctuellement utiliser cet appartement à des fins professionnelles et pour des raisons tenant à l'hospitalisation de son épouse, le séjour ininterrompu en France de Mme C...au cours des années 2003 et 2004 doit être regardé comme résultant de circonstances exceptionnelles ; qu'ainsi, Mme C...doit être regardée comme ayant conservé au cours des années 2003 et 2004 son foyer, au sens des dispositions précitées du a de l'article 4 B du code général des impôts, au Royaume-Uni où il n'est pas sérieusement contesté qu'elle résidait habituellement avant les années en litige, ni que M. C... y dirigeait alors deux sociétés, Smileyworld et Big UK Ltd, ayant leurs sièges à Londres ; que, dès lors, la circonstance que Mme C...a eu le lieu de son séjour principal en France au cours desdites années et que son époux l'y a rejointe ponctuellement est sans incidence sur la détermination de leur domicile fiscal ; qu'en l'espèce demeure également sans incidence sur la détermination du domicile fiscal la circonstance que deux des enfants du couple, non rattachés au foyer fiscal, ainsi que des membres des familles respectives de M. et de Mme C... résident en France ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la convention fiscale franco-britannique susvisée, que Mme C...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles son époux et elle ont été assujettis au titre des années 2003 et 2004 ;

Sur les conclusions de Mme C...tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros dont Mme C...demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :


Article 1er : Le jugement n° 0906472/2 du 19 juillet 2011 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : M. et Mme C...sont déchargés des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2003 et 2004.

Article 3 : L'Etat versera à Mme C... une somme de 1 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...C...et au ministre des finances et des comptes publics. Copie en sera adressée à la direction nationale des vérifications de situations fiscales.
Délibéré après l'audience du 19 janvier 2016 à laquelle siégeaient :
M. Auvray, président de la formation de jugement,
Mme Mielnik-Meddah, premier conseiller,
M. Pagès, premier conseiller,
Lu en audience publique le 2 février 2016.


Le rapporteur,





A. MIELNIK-MEDDAH
Le président,





B. AUVRAY
Le greffier,




C. DABERT


La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice, à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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