CAA de LYON, 3ème chambre - formation à 3, 17/11/2015, 14LY00331, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...D...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 14 mars 2013 par laquelle le directeur général du centre hospitalier universitaire de Grenoble l'a révoqué de ses fonctions d'aide-soignant à compter du 9 février 2011.

Par un jugement n° 1301637 du 12 décembre 2013, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 6 février 2014, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Grenoble, représenté par la SELAS Citylex avocats, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 12 décembre 2013 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D...devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge de M.D..., en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés en première instance et d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés en appel.

Il soutient que :
- l'avis du conseil de discipline a été communiqué oralement à l'issue de ce conseil, tant dans sa teneur que dans sa motivation, à l'autorité disciplinaire, laquelle était, en outre, représentée au sein du conseil ;
- M. D...n'a produit devant le tribunal administratif de Grenoble aucun élément permettant d'établir que le directeur général du CHU ne disposait pas de l'avis émis par le conseil de discipline au moment où il a pris sa décision ;
- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a considéré que l'article 11 du décret du 7 novembre 1989, lequel impose seulement à l'autorité administrative de motiver la sanction retenue, a été méconnu et qu'il a estimé que des garanties procédurales de nature à entacher l'acte litigieux d'illégalité avaient été violées, dès lors que la phase contradictoire de la procédure disciplinaire était close et que cette procédure avait été régulièrement suivie ;
- pour le cas où la Cour, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, ne confirmerait pas le jugement attaqué, aucun des moyens soulevés par M. D...en première instance n'a vocation à prospérer ; en particulier, la procédure disciplinaire n'est pas tardive, dès lors qu'elle n'est intervenue que peu de temps après le jugement du 11 décembre 2012 et la matérialité des faits reprochés à M. D...est établie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 mars 2014, M.D..., représenté par MeA..., conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge du CHU de Grenoble sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir :
- à titre principal, que le jugement doit être confirmé, en ce que l'avis du conseil de discipline a été rédigé postérieurement à la décision de sanction et que la communication orale de l'avis de ce conseil, qui ne permet pas de s'assurer que ses arguments en défense ont été présentés objectivement et examinés par l'administration avant qu'elle prenne sa décision, le prive d'une garantie disciplinaire ;
- à titre subsidiaire, pour le cas où la Cour annulerait le jugement attaqué, que la procédure disciplinaire est tardive, au regard du délai qui s'est écoulé entre les faits qui lui sont reprochés et la sanction prononcée ; rien ne faisait obstacle à ce que l'administration retire sa décision et engage une nouvelle procédure dans un délai raisonnable ; qu'aucun témoignage ne permet de corroborer la réalité des faits qui lui sont reprochés, dont la date précise n'est pas même établie ; que l'enquête administrative comporte des contradictions, notamment quant à son refus allégué de travailler en binôme ; que la crédibilité du patient a été tenue pour acquise alors qu'il s'agissait d'un patient difficile ; que la plainte a été classée sans suite par le Parquet.

Par un mémoire, enregistré le 7 avril 2014, le CHU de Grenoble conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens.

Il ajoute que M. D...ne produit aucun élément de nature à établir qu'il n'aurait pas été en mesure de faire valoir ses arguments en défense au cours de la procédure disciplinaire.

Par un mémoire, enregistré le 13 juillet 2014, M. D...conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens, et demande, en outre, à la Cour d'annuler le jugement en tant qu'il a rejeté sa demande présentée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du CHU de Grenoble une somme de 1 000 euros au titre des frais qu'il a exposés en première instance.



Par un mémoire, enregistré le 4 septembre 2014, le CHU de Grenoble conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens, en portant à 4 500 euros la somme qu'il demande au titre de l'article L. 761-1 pour les frais exposés en appel.

M. D...a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 6 octobre 2015.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
- le décret n° 89-822 du 7 novembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Peuvrel ;
- les conclusions de M. Clément, rapporteur public ;
- et les observations de MeC..., pour le CHU de Grenoble, ainsi que celles de Me A..., pour M.D....



1. Considérant que M.D..., titularisé en qualité d'aide-soignant par le centre hospitalier universitaire (CHU) de Grenoble le 1er août 2003, a été affecté au sein de l'unité de néphrologie le 9 novembre 2009 ; que, dans le cadre d'une procédure disciplinaire pour faits de maltraitance, il a été suspendu de ses fonctions le 7 septembre 2010, puis révoqué à compter du 9 février 2011, par une décision du directeur général du CHU du 9 décembre 2010 ; que la commission administrative paritaire, réunie en formation disciplinaire les 9 novembre et 8 décembre 2010, a estimé à l'unanimité que M. D...devait être sanctionné mais n'a pas dégagé de majorité sur la nature de la sanction ; que le conseil supérieur de la fonction publique hospitalière, saisi par M. D...le 11 janvier 2011, a proposé le maintien de la sanction de révocation ; que cette dernière a été annulée pour vice de procédure par un jugement du tribunal administratif de Grenoble du 11 décembre 2012 ; que, tirant les conséquences de ce jugement, le CHU de Grenoble a réuni un nouveau conseil de discipline le 14 mars 2013 et a prononcé le même jour la révocation de M. D... à compter du 9 février 2011 ; que, par ordonnance du 12 avril 2013, le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l'exécution de cette décision jusqu'à ce qu'il soit statué sur la demande de M. D...tendant à son annulation ; que le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à cette demande par jugement du 12 décembre 2013 ; que le CHU de Grenoble relève appel de ce jugement ; que M. D...présente des conclusions incidentes tendant à la réformation de ce jugement en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et au versement d'une somme de 1 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés en première instance ;

Sur la légalité de la décision de révocation du 14 mars 2013 :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 9 du décret du 7 novembre 1989 susvisé : " Le conseil de discipline, compte tenu des observations écrites et des déclarations orales produites devant lui, ainsi que des résultats de l'enquête à laquelle il a pu être procédé, émet un avis motivé sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée. (...) Si aucune des propositions soumises au conseil de discipline n'obtient l'accord de la majorité des membres présents, son président en informe l'autorité ayant pouvoir disciplinaire. Si cette autorité prononce une sanction, elle doit informer le conseil des motifs qui l'ont conduite à prononcer celle-ci. " ; que selon l'article 11 de ce décret : " L'avis émis par le conseil de discipline est communiqué sans délai au fonctionnaire intéressé ainsi qu'à l'autorité qui exerce le pouvoir disciplinaire. Celle-ci statue par décision motivée. " ;

3. Considérant que ces dispositions n'impliquent nullement que le procès-verbal du conseil de discipline soit communiqué à l'autorité disciplinaire avant que celle-ci ne prononce la sanction, mais seulement que la teneur de l'avis émis soit communiqué aux deux parties ; qu'il ressort des pièces du dossier que le conseil de discipline a communiqué oralement, à l'issue de la séance, le sens de son avis à M. D...et au CHU de Grenoble ; que, dès lors, l'autorité disciplinaire a pu, sans commettre d'irrégularité, prononcer la révocation de M. D... le jour-même, sans attendre d'avoir reçu le procès-verbal de la séance du conseil ; qu'ainsi, c'est à tort que les premiers juges ont annulé la décision du 14 mars 2013 par laquelle le directeur général du CHU de Grenoble a révoqué M. D... de ses fonctions d'aide-soignant au motif que cette décision avait été prise en méconnaissance de l'article 11 du décret du 7 novembre 1989 ;

4. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. D...tant devant le tribunal administratif de Grenoble que devant la Cour ;

5. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que les faits reprochés à M. D...ont eu lieu au début du mois de septembre 2010 ; qu'une procédure disciplinaire a été aussitôt diligentée par le CHU de Grenoble, qui a abouti à une première décision de révocation ; que cette mesure ayant été annulée pour vice de procédure par jugement du tribunal administratif de Grenoble du 11 décembre 2012, une seconde décision de révocation a été prononcée le 14 mars 2013, après réunion du conseil de discipline le même jour ; que, dans ces conditions, et alors qu'aucun texte n'enferme dans un délai déterminé l'exercice de l'action disciplinaire, la procédure disciplinaire ne peut être regardée comme ayant été mise en oeuvre dans un délai déraisonnable ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que, ainsi qu'il a été dit au point 3, l'autorité disciplinaire a eu connaissance de l'avis du conseil de discipline avant de prononcer la sanction ; que, par suite, les dispositions de l'article 11 du décret du 7 novembre 1989 n'ont pas été méconnues ;

7. Considérant, en troisième lieu, que la circonstance que la plainte déposée par le patient contre M. D...ait été classée sans suite par décision du procureur de la République le 18 février 2011 est, par elle-même, sans incidence sur la légalité de la décision en litige ;

8. Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que, début septembre 2010, un patient a confié à une aide-soignante que, quelques jours auparavant, M. D..., qui possédait une prescription médicale à cette fin, avait tenté de lui poser un étui pénien ; que, devant le refus du patient, M. D...avait pratiqué cette pose sous contrainte en lui occasionnant des souffrances ; que cet acte s'est accompagné d'un comportement et de propos déplacés ; que le patient a par ailleurs déclaré que M. D...regardait la télévision lors des aides au déjeuner sans se soucier de la prise des repas, lui arrachant la télécommande des mains, et qu'il venait régulièrement regarder les courses hippiques ; que le patient a réitéré ce récit le lendemain, lors d'un entretien avec un cadre infirmier dont il a cosigné le rapport relatant ces faits à la hiérarchie, puis lors de son dépôt de plainte auprès des services de police ; que, si les faits ainsi reprochés à M. D... reposent exclusivement sur le témoignage du patient, il est constant que ce dernier les a relatés dans les mêmes termes à au moins trois reprises ; que cette réitération permet de tenir les faits reprochés à M. D...pour établis ; que, dans ces conditions, et alors que M. D..., qui avait fait, en 2008, l'objet d'une précédente sanction, également pour faits de maltraitance, insiste surtout sur l'absence de crédibilité du patient, qu'il décrit comme difficile et sur le fait qu'on lui confiait souvent les tâches les plus délicates, le directeur général du CHU de Grenoble a pu légalement estimer que les faits reprochés à l'agent constituaient des fautes de nature à justifier une sanction et prononcer à ce titre, eu égard à la nature de ces fautes, une sanction de révocation qui n'apparaît pas disproportionnée au regard de leur gravité ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le CHU de Grenoble est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a fait partiellement droit à la demande de M. D...devant le tribunal administratif ; que, par voie de conséquence, les conclusions de M. D...tendant à l'annulation de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les frais non compris dans les dépens :

10. Considérant, d'une part, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que M. D...demande sur leur fondement au titre de ses frais non compris dans les dépens soit mise à la charge du CHU de Grenoble qui n'est pas, dans la présente instance, partie perdante ;

11. Considérant, d'autre part, qu'il y a lieu, en application de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de M. D...une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le CHU de Grenoble tant en première instance qu'en appel ;



DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 12 décembre 2013 est annulé.
Article 2 : La demande de M. D...devant le tribunal administratif de Grenoble est rejetée.
Article 3 : M. D...versera au CHU de Grenoble une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Grenoble et à M. B... D....
Délibéré après l'audience du 13 octobre 2015, à laquelle siégeaient :
M. Boucher, président de chambre ;
M. Drouet, président-assesseur ;
Mme Peuvrel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 novembre 2015.
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