CAA de NANTES, 3ème chambre, 29/10/2015, 14NT01696, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 33 000 euros en réparation des préjudices résultant de la mise à sa charge de cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2001 à 2003 ainsi que de rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2003, et la somme de 3 200 euros en remboursement des sommes déjà réglées par lui au titre de ces impositions.

Par un jugement n° 1208292 du 12 mai 2014, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 24 juin 2014 et 17 mars 2015, M. A... B..., représenté par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 12 mai 2014 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes demandées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- il n'a pas été convoqué à l'audience du 10 avril 2014 ;
- en lui accordant un dégrèvement total, l'administration fiscale a reconnu son erreur et l'irrégularité des redressements opérés engage sa responsabilité ;
- il n'appartenait pas au tribunal administratif de statuer à nouveau sur le bien-fondé du contrôle alors qu'il était saisi d'une demande en indemnisation ; contrairement à ce que soutient l'administration, aucun vice de procédure n'avait pas été invoqué et les dégrèvements résultent des explications apportées par lui en cours de procédure ;
- le contrôle effectué, même seulement irrégulier sur la forme, engage la responsabilité de l'administration ;
- le redressement illégal lui a causé des préjudices importants ; il a été expulsé de son logement et son chiffre d'affaires a diminué de près de 80% ; son préjudice financier doit être évalué à 30 000 euros et son préjudice moral à 3 000 euros ;
- il a versé une somme de 3 200 euros en règlements des rappels d'imposition, mais cette somme n'a pas été reversée par l'administration lors du dégrèvement total accordé ; la demande de remboursement de cette somme a été effectuée auprès de l'administration et le paiement en est établi par les pièces produites ;
- à titre subsidiaire, les redressements n'étaient pas fondés car l'administration a commis de multiples erreurs dans l'identification des clients qui lui ont été attribués sans vérification à partir d'une liste fournie par les services de la police financière ; certaines des prestations retenues par l'administration étaient inexistantes et concernent des sociétés n'ayant jamais existé ; le coût des prestations retenues est irréaliste et la part des recettes encaissées en espèce, évaluée à 30%, est infondée car il avait établi un relevé des encaissements, qui a été produit à l'administration ; l'administration a d'ailleurs admis s'être trompée compte tenu des documents et explications fournies par lui, qui ont conduit à une réduction des montants redressés ;
- en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée, compte tenu des éléments comptables produits, son activité ne dépassait pas le seuil d'imposition du régime de la micro entreprise ; les rappels n'étaient donc pas fondés.

Par des mémoires et des pièces complémentaires enregistrés les 8 décembre 2014, 14 avril 2015 et 10 septembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :
- la demande de M. B...tendant au versement de la somme de 3 200 euros n'est pas recevable à défaut d'avoir été précédée d'une demande préalable auprès de l'administration ; de plus une telle demande ne saurait être présentée sur le fondement de la responsabilité des services fiscaux ; le conseil de M. B...n'a pas donné suite au message électronique du 7 juin 2011 l'invitant à apporter des précisions sur les dates et les montants des versements effectués ;
- les autres moyens soulevés par M. B...ne sont pas fondés.

M. B...a été admis à l'aide juridictionnelle partielle au taux de 85% par une décision du 4 août 2014.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Specht,
- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
- et les observations de M.B....


1. Considérant que M.B..., qui exerçait durant les années 2001, 2002 et 2003 en litige une activité libérale de conseil en gestion et comptabilité et qui n'a souscrit dans le délai légal aucune des déclarations de revenus qu'il était tenu de déposer au titre de ces années, a fait l'objet, du 9 décembre 2004 au 4 mars 2005, d'une vérification de comptabilité en matière d'impôt sur le revenu et de taxe sur la valeur ajoutée portant sur ces années ; que le service vérificateur, après avoir constaté l'absence de comptabilité probante, a procédé à la reconstitution des chiffres d'affaires se rapportant aux années en litige pour déterminer les résultats imposables ; que, par des propositions de rectification des 17 décembre 2004 et 12 juillet 2005, des rappels de cotisations d'impôt sur le revenu et des rappels de droits de TVA ont été mis à la charge de M. B...selon la procédure de taxation d'office prévue à l'article L.66 du livre des procédures fiscales et ont été assortis des intérêts de retard et de la majoration de 80% pour activité occulte ; que M.B..., après avoir obtenu, par une décision du 23 mars 2007, un dégrèvement partiel en matière d'impôt sur le revenu et de taxe sur la valeur ajoutée, a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la décharge des impositions restant à sa charge ; que, par un jugement du 7 janvier 2010, le tribunal a rejeté sa demande ; qu'au cours de l'instance d'appel ouverte par M. B..., l'administration a prononcé le dégrèvement total des impositions litigieuses par des décisions des 7 septembre 2010 et 4 mars 2011 ; que M. B...a alors saisi le tribunal administratif de Nantes d'un recours tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 33 000 euros en réparation des préjudices résultant de la mise à sa charge injustifiée de cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2001 à 2003 ainsi que de rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2003, et la somme de 3 200 euros en remboursement des sommes déjà réglées par lui au titre de ces impositions ; qu'il relève appel du jugement du 12 mai 2014 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;

Sur la recevabilité des conclusions tendant à la restitution de la somme de 3 200 euros :

2. Considérant que les conclusions présentées par M. B...tendant à ce que l'administration fiscale lui rembourse la somme de 3 200 euros qu'il soutient avoir versée en règlement partiel des rappels de TVA et des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu qui ont fait l'objet d'un dégrèvement postérieur ne constituent pas une demande de dommages et intérêts mais une demande de restitution au sens de l'alinéa 3 de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, qui devait être précédée d'une réclamation préalable auprès de l'administration fiscale ; que le ministre des finances et des comptes publics indique ne pas avoir reçu une telle réclamation et n'est pas utilement contredit par M B... ; que, par suite, de telles conclusions sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur la régularité du jugement :

3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 431-1 du code de justice administrative : " Lorsqu'une partie est représentée devant le tribunal administratif par un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2, les actes de procédure, à l'exception de la notification de la décision prévue aux articles R. 751-3 et suivants, ne sont accomplis qu'à l'égard de ce mandataire " ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier de première instance que, conformément aux dispositions précitées de l'article R. 431-1 du code de justice administrative, la convocation à l'audience a été adressée au conseil de M.B... ; que, par suite, M. B...n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité à défaut d'avoir été personnellement convoqué à l'audience qui s'est tenue le 10 avril 2014 au tribunal administratif de Nantes ;
Sur les conclusions tendant à la condamnation de l'Etat :

5. Considérant qu'une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice ; qu'un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie ; que le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition ; qu'enfin l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité ;

6. Considérant que si M. B...soutient que les décisions de dégrèvement total prises par l'administration fiscale les 7 septembre 2010 et 4 mars 2011, qui faisaient suite à des dégrèvements partiels accordés antérieurement, révèlent une faute des services fiscaux de nature à engager la responsabilité de l'Etat, il résulte toutefois de l'instruction que les dégrèvements totaux prononcés en appel par l'administration fiscale étaient exclusivement motivés par le vice de procédure tiré de l'incompétence territoriale du service de vérification ayant mené le contrôle ; qu'une telle irrégularité n'est susceptible d'engager la responsabilité de l'administration que si celle-ci n'est pas en mesure d'établir qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales : " Sont taxés d'office : 1° à l'impôt sur le revenu, les contribuables qui n'ont pas déposé dans le délai légal la déclaration d'ensemble de leurs revenus (...) 3° aux taxes sur le chiffre d'affaires, les personnes qui n'ont pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'elles sont tenues de souscrire en leur qualité de redevables des taxes " ; qu'aux termes de l'article L.193 du même livre : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office, la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition " ;

8. Considérant que les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu réclamées à M. B... au titre des années 2001 à 2003 ainsi que les rappels de taxe sur la valeur ajoutés mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2003 ont été établis selon la procédure de taxation d'office en l'absence de déclaration des revenus et de la taxe sur la valeur ajoutée dans les délais prescrits et de réponse aux mises en demeure adressées par l'administration fiscale les 26 juillet 2002, 12 juillet 2003 et 6 juillet 2004 ; qu'il incombe, dès lors, à M. B..., en application des dispositions précitées de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales, d'apporter la preuve de l'exagération des bases d'imposition retenues par le service ;

9. Considérant, par ailleurs, qu'en l'absence de toute comptabilité probante pour l'ensemble de la période litigieuse, le vérificateur était en droit de reconstituer le chiffre d'affaires réalisé par le contribuable au cours des années concernées ;

10. Considérant que, pour reconstituer le chiffre d'affaires réalisé par M. B... au titre de l'année 2001, le vérificateur a totalisé les encaissements figurant sur les relevés bancaires de l'intéressé et les opérations en espèces figurant sur le relevé des encaissements établi par le contribuable, en a retranché les paiements effectués pour le compte des clients, ou débours, ainsi que les sommes encaissées par le contribuable à titre de salaires, imposables dans la catégorie des traitements et salaires, a ajouté le montant de certains des débours acquittés, et a évalué les recettes encaissées en espèces à 30 % du montant global des recettes ; qu'en réponse à la réclamation préalable du 12 mai 2006 présentée par M. B..., l'administration a finalement retenu un pourcentage de perte de chiffre d'affaires de 20 pour cent et un pourcentage de charges de 90 pour cent ; que, d'autre part, pour reconstituer les chiffres d'affaires réalisés au titre des années 2002 et 2003 par M. B..., lequel avait reconnu avoir encaissé au minimum 35 000 euros de recettes et de salaires pour l'année 2002 et 23 000 euros pour l'année 2003, le vérificateur a établi une liste de clients en recoupant les informations obtenues auprès du procureur de la République dans le cadre de l'instance pénale engagée à l'encontre de l'intéressé, avec les noms de clients figurant sur les relevés d'opérations bancaires, a différencié les prestations à caractère comptable, fiscal et social de celles relatives à la constitution de sociétés, et a fixé le tarif des premières à 450 euros et celui des secondes à 1 000 euros, après examen des factures obtenues dans le cadre du droit de communication ; qu'en réponse à la réclamation préalable présentée par le requérant, l'administration n'a finalement retenu que certaines prestations, conformément aux observations du contribuable, et a admis la déduction de charges représentant des frais de carburant, de téléphone et de véhicule à hauteur de 30 % des frais répertoriés ; que M. B..., qui ne propose aucune autre méthode de reconstitution, n'apporte, en se bornant à faire valoir que les recettes de l'année 2001 ont été surévaluées au motif que l'administration s'est fondée sur une liste de clients dont l'exactitude n'a pas été vérifiée et qu'au titre des années 2002 et 2003 l'identification de certains client est erronée, le service ayant englobé à tort des fournisseurs ou des clients de ses clients, aucun élément de nature à établir que la méthode employée par l'administration serait radicalement viciée ou excessivement sommaire, et ne démontre pas davantage le caractère exagéré des impositions mises à sa charge ;
11. Considérant, par ailleurs, qu'en ce qui concerne les rappels de taxe sur la valeur ajoutée, les montants hors taxes de recettes retenus par l'administration pour les années en litige, soit respectivement 35 418,55 euros, 41 123 euros et 34 131 euros, excédent le seuil de la franchise en base de 27 000 euros prévu par les dispositions du 1. b) du I de l'article 293 B du code général des impôts pour les activités de prestations de service ; que, par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'il était en droit de bénéficier, au titre des années litigieuses, d'une dispense de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'administration doit être regardée comme établissant qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait appliqué une procédure régulière ; que, par suite, le préjudice invoqué par M. B... ne trouve pas sa cause directe et certaine dans l'irrégularité dont était entachée la procédure de vérification de comptabilité du fait de l'incompétence territoriale du vérificateur qui a procédé au contrôle ; que cette irrégularité ne peut lui ouvrir droit à réparation ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;


DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B...et au ministre des finances et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 8 octobre 2015, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Specht, premier conseiller,


Lu en audience publique, le 29 octobre 2015.


Le rapporteur,
F. SPECHTLe président,
I. PERROT
Le greffier,
A. MAUGENDRE


La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


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