CAA de NANTES, 3ème chambre, 16/07/2015, 14NT00863, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...D...a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Angers à lui verser, ainsi qu'à son épouse et à leurs trois enfants, la somme globale de 667 329 euros en réparation des préjudices résultant des interventions qu'il a subies les 22 juin et 7 juillet 2006.

Dans le cadre de cette instance, la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire a sollicité la condamnation du CHU d'Angers à lui rembourser la somme de 61 137,07 euros au titre de ses débours et à lui verser celle de 997 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n°1004825 du 29 janvier 2014, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. D...mais a condamné le CHU d'Angers à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire la somme de 16 789 euros en remboursement de ses débours ainsi que celle de 997 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.




Procédure devant la cour :

Par une requête, un mémoire ampliatif et un mémoire en réplique enregistrés respectivement les 2 avril et 13 juin 2014 et le 28 avril 2015, le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Angers, représenté par MeE..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 29 janvier 2014 en tant qu'il l'a condamné à indemniser la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire ;

2°) de rejeter les conclusions présentées devant le tribunal administratif de Nantes et devant la cour par la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire et par M.D....

Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- l'irrecevabilité de la demande de M.D..., qui se borne à produire en appel une lettre non datée dont il ne justifie ni l'envoi, ni la réception et qui ne peut dans ces conditions lier le contentieux, entraînait l'irrecevabilité des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie ;
- le patient avait donné son consentement à la réalisation de l'intervention du 22 juin 2006 selon la technique de Tirone David et, en cas d'impossibilité de conserver sa valve aortique native, à la mise en place d'une valve biologique ;
- l'article L. 1111-4 du code de la santé publique n'exige aucun consentement écrit ;
- la réalisation de l'intervention selon la technique de Tirone David n'a fait perdre à M. D... aucune chance d'échapper à un infarctus postopératoire ;
- la survenance de l'infarctus postopératoire n'est pas la seule cause du maintien en hospitalisation de M. D...au-delà du 1er juillet 2006 dès lors que la nécessité de remplacer l'aorte et la valve aortique native sans complication nécessitait une hospitalisation au moins jusqu'au 10 juillet ;
- il n'est pas établi de lien de causalité direct et certain entre la perte de chance d'échapper à un infarctus du myocarde postopératoire et le versement d'une pension d'invalidité compte tenu de la pathologie de M.D....

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 février 2015, la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire, représentée par Me Meunier, conclut au rejet de la requête, par la voie de l'appel incident à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a limité à 16 789 euros la somme que le CHU d'Angers a été condamné à lui verser, de porter cette somme à 61 137,07 euros et celle accordée au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion à 1 037 euros et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge du CHU d'Angers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- le CHU ne produit aucun document signé de M. D...manifestant une volonté clairement exprimée et non équivoque de subir une intervention de Tirone David ;
- il existe un lien direct entre la technique opératoire choisie unilatéralement par le professeur Baufreton et l'infarctus du myocarde qui a affecté le patient et qui a nécessité une nouvelle intervention ;
- cette complication est à l'origine du versement par elle d'arrérages dont elle est en droit de solliciter le remboursement ;
- selon le rapport d'expertise, l'ITT strictement imputable aux complications subies par M. D...est d'un mois ;
- le pourcentage de perte de chance fixé par le tribunal administratif devra être réévalué à un montant inférieur.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mars 2015, M.D..., représenté par MeA..., conclut au rejet de la requête, par la voie de l'appel incident à la réformation du jugement en tant qu'il a rejeté sa demande indemnitaire, à la condamnation du CHU d'Angers à lui verser la somme globale de 43 000 euros en réparation de ses préjudices ainsi que celle de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- le changement de technique opératoire a eu pour effet un allongement considérable du temps opératoire et le maintien d'une circulation extra corporelle à basse température rendant exponentiel le risque d'arrêt cardiaque ;
- il a présenté une réclamation préalable auprès du CHU d'Angers de nature à lier le contentieux ;
- à aucun moment le chirurgien ne lui a expliqué la technique médicale de Tirone David, ni les risques de cette technique ;
- le pourcentage de perte de chance doit être porté à 80 % compte tenu de la durée de l'intervention qu'il a subie.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public.
- et les observations de MeF..., substituant Me Meunier, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire ;


1. Considérant qu'à l'occasion d'une échographie cardiaque réalisée le 31 janvier 2006 un anévrisme de l'aorte thoracique ascendante a été diagnostiqué chez M.D..., alors âgé de 57 ans ; que l'intéressé a été vu le 3 février suivant en consultation au centre hospitalier universitaire (CHU) d'Angers par le professeur Baufreton qui a confirmé la pathologie et posé le principe d'une intervention chirurgicale ; que M. D...a été opéré le 22 juin 2006 au CHU d'Angers ; qu'en raison de l'apparition d'un infarctus latéral postopératoire une seconde intervention a dû être réalisée le 7 juillet 2006 ; que le patient a été hospitalisé au CHU d'Angers jusqu'au 25 juillet 2006, puis transféré à la clinique Saint-Léonard pour rééducation, laquelle n'a cependant pas été menée à son terme en raison du souhait du patient de regagner son domicile ; que, par un avis rendu le 24 mars 2010, et après avoir ordonné une expertise médicale confiée aux docteurs Labbé et Pavie, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) des Pays de la Loire, saisie par M.D..., s'est déclarée incompétente pour statuer sur sa demande eu égard au taux d'incapacité permanente partielle dont il reste atteint et à la durée de l'incapacité temporaire de travail subie par lui ; que l'intéressé a alors saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la condamnation du CHU d'Angers à lui verser, ainsi qu'à son épouse et à leurs trois enfants, la somme globale de 667 329 euros en réparation des préjudices résultant des deux interventions subies par lui ; que la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire a sollicité la condamnation du CHU d'Angers à lui rembourser la somme de 61 137,07 euros au titre de ses débours ainsi que celle de 997 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ; que, par un jugement du 29 janvier 2014, le tribunal administratif de Nantes a déclaré irrecevable la demande de M. D..., qui n'avait pas présenté de réclamation préalable auprès du CHU d'Angers, mais a condamné cet établissement à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire la somme de 16 789 euros en remboursement de ses débours ainsi que celle de 997 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ; que le CHU d'Angers relève appel de ce jugement en tant qu'il a mis à sa charge les deux sommes précitées ; que, par la voie de l'appel incident, la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire sollicite la réformation du même jugement en tant qu'il a limité à 16 789 euros la somme que le CHU d'Angers a été condamné à lui verser, et demande à la cour de porter cette somme à 61 137,07 euros et celle accordée au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion à 1 037 euros ; que M. D...conclut, par la voie de l'appel incident, à la réformation de ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande indemnitaire et à la condamnation du CHU d'Angers à lui verser la somme globale de 43 000 euros en réparation de ses préjudices ;
Sur la recevabilité des conclusions de M.D... :

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) " ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. D...n'a adressé au CHU d'Angers aucune demande préalable avant que les premiers juges ne statuent sur sa demande indemnitaire ; qu'ainsi les conclusions indemnitaires présentées par lui devant le tribunal administratif de Nantes, et dont l'irrecevabilité pour défaut de liaison du contentieux avait été soulevée par l'établissement hospitalier à titre principal, n'étaient pas recevables et ne pouvaient qu'être rejetées ; que, pour le même motif, les conclusions d'appel incident présentées par l'intéressé, alors même que celui-ci produit devant la cour une lettre non datée adressée au directeur du CHU d'Angers, indiquant comme objet " réclamation contentieuse préalable " mais faisant mention expresse du jugement attaqué et de la requête présentée devant la cour par le CHU, ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées ;
Sur la responsabilité du CHU d'Angers :

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions présentées devant le tribunal administratif de Nantes par la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique : " Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. / Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix. (...) Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. / Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté (...) " ; que la preuve du consentement du patient peut être apportée par tout moyen ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise rédigé le 8 juin 2009 par le docteur Labbé, spécialiste des maladies cardiaques et des affections vasculaires, et le professeur Pavie, chef du service de chirurgie cardiovasculaire au CHU de la Pitié Salpêtrière, désignés en qualité d'experts par la CRCI des Pays de la Loire, que, lors de la consultation qui s'est déroulée le 3 février 2006 avec le professeur Baufreton au CHU d'Angers, M. D...a été informé qu'il devait subir une intervention cardiaque à défaut de quoi il risquait de décéder dans l'année ; que les détails et les risques de cette intervention, ainsi que les méthodes chirurgicales envisageables, ont été précisées à cette occasion, au point que l'intéressé a fait savoir qu'il souhaitait éviter de prendre à vie un traitement anticoagulant et préférait, le cas échéant, un remplacement valvulaire aortique de nature biologique plutôt que mécanique ; que, lors de l'intervention réalisée le 22 juin 2006, le professeur Baufreton a pratiqué la technique de Tirone David en première intention afin de conserver la valve aortique native du patient et éviter tout traitement anticoagulant ainsi que ce dernier le souhaitait ; que ce n'est qu'au vu de l'échographie de contrôle réalisée en fin de procédure à thorax ouvert que les praticiens ont, en raison de la persistance d'une fuite aortique mettant en danger la survie du patient à moyen terme, décidé de remplacer la valve aortique native de M. D... et de lui poser une bioprothèse ; que l'ensemble de ces éléments met en évidence non seulement que le consentement du patient a été correctement requis mais encore que ses options ont été respectées dans la mesure des contraintes chirurgicales rencontrées ; que c'est, par suite, à tort que les juges de première instance ont estimé que la responsabilité du centre hospitalier était engagée et l'ont condamné à indemniser la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire au motif que les dispositions de l'article L. 1111-4 précité du code la santé publique avaient été méconnues ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le CHU d'Angers est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué le tribunal administratif de Nantes l'a condamné à verser les sommes de 16 789 euros et 997 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Maine et Loire ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du CHU d'Angers, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire et à M. D...de la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1004825 du tribunal administratif de Nantes du 29 janvier 2014 est annulé en tant qu'il a condamné le CHU d'Angers à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire la somme de 16 789 euros en remboursement de ses débours ainsi que celle de 997 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Article 2 : Les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire devant le tribunal administratif de Nantes, les conclusions présentées par celle-ci en appel ainsi que les conclusions présentées par M. D...devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à au CHU d'Angers, à la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire et à M. C... D....


Délibéré après l'audience du 25 juin 2015, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- Mme Gélard, premier conseiller,
- M. Lemoine, premier conseiller,


Lu en audience publique, le 16 juillet 2015.
Le rapporteur,
V. GÉLARDLe président,
I. PERROT
Le greffier,
M. B...

La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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