CAA de BORDEAUX, 6ème chambre (formation à 3), 22/06/2015, 13BX02260, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire enregistrée le 11 juin 2013 par télécopie et régularisée par courrier le lendemain, sous le n°13BX01577, présentée pour M. D...C..., demeurant..., par MeB... ;

M. C...demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°1002556, 1002662 du 10 avril 2013 du magistrat désigné par le tribunal administratif de Poitiers qui a rejeté ses demandes tendant d'une part, à l'annulation de la décision implicite du président du conseil général du département des Deux-Sèvres rejetant sa demande de protection fonctionnelle présentée le 26 mai 2010 et, d'autre part, à la condamnation de ce département à lui verser la somme de 47 686 euros à titre de dommages et intérêts ;

2°) d'annuler cette décision implicite de rejet ;

3°) d'enjoindre au département des Deux-Sèvres de réexaminer sa demande de protection fonctionnelle dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de condamner le département des Deux-Sèvres à lui verser une somme de 47 686 euros ;

5°) de mettre à la charge du département des Deux-Sèvres la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu l'ordonnance du président de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 2 août 2013 renvoyant au Conseil d'Etat le dossier de la requête n°13BX01577 en tant qu'elle concerne le rejet par le jugement attaqué de la demande de M.C..., enregistrée au tribunal administratif de Poitiers sous le n° 1002556, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite rejetant sa demande de protection fonctionnelle et ordonnant que le surplus de la requête n° 13BX01577, qui concerne le rejet par le jugement attaqué de la demande de M. C..., enregistrée au tribunal administratif sous le n°1002662, tendant à l'octroi d'une indemnité de 47 686 euros, soit enregistrée sous le n°13BX02260 ;


Vu le mémoire ampliatif enregistré le 9 septembre 2013 sous le n° 13BX02260, présenté pour M.C..., qui demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1002556, 1002662 du 10 avril 2013 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département des Deux-Sèvres à lui verser la somme de 47 686 euros à titre de dommages et intérêts ;

2°) de condamner le département des Deux-Sèvres à lui verser cette somme ;

3°) de mettre à la charge du département des Deux-Sèvres la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 11 juillet 1983 modifiée ;


Vu le code de justice administrative ;


Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 mai 2015 :

- le rapport de M. Philippe Delvolvé, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Pierre Bentolila, rapporteur public ;
- les observations de MeB..., représentant M.C... et de MeA..., représentant le département des Deux-Sèvres, qui indique avoir eu connaissance du mémoire du 19 mai 2015 qui lui a été communiqué dès le lendemain et auquel il n'a pas souhaité répondre ;


Vu, enregistrée le 27 mai 2015, la note en délibéré présentée pour M.C... ;



1. Considérant que M.C..., assistant socio-éducatif au sein du département des Deux-Sèvres, a exercé ses fonctions du 1er mars 1991 au 2 juin 2008 dans le service d'action sociale territoriale de Parthenay ; que, le 2 avril 2007, le supérieur hiérarchique de l'intéressé s'est suicidé à son domicile ; que, le 16 juin 2008, le requérant a été placé en garde à vue ; que, par jugement du 9 juin 2009, le tribunal correctionnel de Bressuire l'a condamné à six mois de prison avec sursis pour harcèlement moral à l'encontre de feu son supérieur hiérarchique ; que, par courrier du 26 mai 2010 reçu le 28 mai suivant, l'intéressé a sollicité auprès de son administration le bénéfice de la protection fonctionnelle ; qu'il a présenté les 27 mai 2010 et 21 août 2012, à la suite du rejet de sa demande né du silence gardé par l'administration, des réclamations tendant à l'indemnisation des préjudices résultant du refus d'octroi de la protection fonctionnelle ; que M. C...a fait appel, par une requête enregistrée sous le n° 13BX01577, du jugement du 10 avril 2013 du tribunal administratif de Poitiers rejetant sa requête n° 1002556 tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite rejetant sa demande de protection fonctionnelle et sa requête n°1002662 tendant à l'octroi d'une indemnité de 47 686 euros ; que par une ordonnance du 2 août 2013, le président de la cour administrative d'appel de Bordeaux a ordonné que soit transmise au Conseil d'Etat la requête n° 13BX01577 en tant qu'elle concerne le rejet par le jugement attaqué de la demande de M.C..., enregistrée au tribunal administratif de Poitiers sous le n° 1002556, tendant à l'annulation de la décision implicite rejetant sa demande de protection fonctionnelle et que soit enregistré, sous le n° 13BX02260, le surplus de la requête n° 13BX01577 relatif au rejet par le jugement n° 1002662 attaqué de sa demande de condamnation du département des Deux-Sèvres à lui verser une indemnité de 47 686 euros ;


Sur les fins de non-recevoir opposées par le département des Deux-Sèvres :

2. Considérant que le département des Deux-Sèvres fait valoir que la requête est irrecevable en ce qu'elle ne comporterait pas de moyen juridique lié à la chose à juger et que le mémoire ampliatif serait fondé sur deux nouvelles causes juridiques constitutives de demandes nouvelles ; que toutefois, il résulte de la requête et du mémoire ampliatif de M. C...que celui-ci recherche la responsabilité du département en raison de l'illégalité fautive du refus d'octroi de la protection fonctionnelle qui lui a été opposé ; que si l'intéressé invoque de nouveaux moyens pour établir l'illégalité de ce refus, ces derniers ne sont pas de nature à modifier le fondement juridique de sa demande, laquelle n'est fondée que sur la faute résultant de cette illégalité ; qu'il y a lieu, par suite, d'écarter les fins de non-recevoir opposées par le département ;


Sur la responsabilité :

3. Considérant qu'aux termes de l'alinéa 4 de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " La collectivité publique est tenue d'accorder sa protection au fonctionnaire ou à l'ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle. (...) " ; qu'une faute d'un agent de l'Etat qui, eu égard à sa nature, aux conditions dans lesquelles elle a été commise, aux objectifs poursuivis par son auteur et aux fonctions exercées par celui-ci est d'une particulière gravité doit être regardée comme une faute personnelle justifiant que la protection fonctionnelle soit refusée à l'agent, alors même que, commise à l'occasion de l'exercice des fonctions, elle n'est pas dépourvue de tout lien avec le service et qu'un tiers qui estime qu'elle lui a causé un préjudice peut poursuivre aussi bien la responsabilité de l'Etat devant la juridiction administrative que celle de son auteur devant la juridiction judiciaire et obtenir ainsi, dans la limite du préjudice subi, réparation ;


4. Considérant que la légalité d'une décision doit être appréciée à la date à laquelle elle a été prise, en tenant compte, le cas échéant, d'éléments objectifs postérieurs ; qu'après avoir été mis en examen pour harcèlement moral, dégradation des conditions de travail pouvant porter atteinte aux droits, à la dignité, à la santé ou à l'avenir professionnel d'autrui, M. C...a été définitivement relaxé, par un arrêt de la cour d'appel d'Angers du 11 octobre 2012 ; qu'il ressort de cet arrêt que le juge pénal n'a tenu pour établis que les faits d'avoir envoyé, par inadvertance, un mail obscène à son supérieur hiérarchique, d'être venu travailler en bermuda au cours de l'été et d'avoir chanté ou sifflé le chant de l'Internationale au cours d'une réunion à laquelle il n'est pas établi que M. E...participait ; que si ces faits, qui n'ont pas été reconnus comme constitutifs des infractions pénales reprochées à M.C..., constituaient des fautes personnelles, qui ont au demeurant entraîné l'exclusion du service de l'intéressé pendant trois jours, ils n'avaient pas la gravité suffisante pour justifier le refus d'accorder à M. C...le bénéfice de la protection fonctionnelle au regard des graves infractions qui lui étaient reprochées ; que le département des Deux-Sèvres a donc commis une faute en refusant une telle protection à l'intéressé ;


Sur les préjudices :

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. C...a dû supporter des frais d'avocat à hauteur de 3 596,84 euros en 2009, 2 750,80 euros et 5 980 euros en 2010 et 4 186 euros en 2011, soit un total de 16 513,64 euros ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que de tels frais soient excessifs au regard du nombre de recours exercés tant par l'intéressé que par le ministère public et qui ont conduit à la relaxe totale de M.C... ; qu'il y a lieu de condamner le département des Deux-Sèvres à lui payer cette somme ;


6. Considérant que M. C...sollicite également la condamnation du département des Deux-Sèvres à l'indemniser de la prise en charge thérapeutique qu'il a dû suivre depuis avril 2007 et qu'il impute notamment à l'absence de protection fonctionnelle tout au long de la procédure judiciaire ; que cependant, il ne résulte pas de l'instruction que cette prise en charge thérapeutique présente un lien de causalité directe avec les poursuites pénales engagées à son encontre à partir du 16 juin 2008, date de son placement en garde à vue, et le refus de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;


7. Considérant que M. C...demande l'indemnisation de frais de transport lesquels ne sont cependant ni justifiés ni chiffrés et ne peuvent donc ouvrir droit à indemnisation ;


8. Considérant que M. C...sollicite l'indemnisation des troubles dans les conditions de l'existence qu'il a subis en raison du refus de protection fonctionnelle ; qu'il résulte de l'instruction que le refus de protection fonctionnelle initialement motivé par le souhait d'attendre l'issue de la procédure pénale, a généré des troubles dans les conditions de l'existence de M. C... ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces troubles en lui allouant la somme de 2 000 euros à ce titre ;


9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. C...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande ; qu'il y a lieu de condamner le département des Deux-Sèvres à payer la somme totale de 18 513,64 euros à l'intéressé en réparation des préjudices qu'il a subis ;


10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M.C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande le département des Deux-Sèvres au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département des Deux-Sèvres la somme de 1 500 euros sur ce même fondement ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 10 avril 2013 du tribunal administratif de Poitiers est annulé en tant qu'il rejette la requête n° 1002662 de M.C....
Article 2 : Le département des Deux-Sèvres est condamné à payer la somme de 18 513,64 euros à M. C...en réparation de ses préjudices.
Article 3 : Le département des Deux-Sèvres versera la somme de 1 500 euros à M. C...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
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