CAA de VERSAILLES, 6ème chambre, 22/01/2015, 14VE02440, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 5 août 2014, présentée pour M. A...B...demeurant..., par Me Afifa Tekari, avocat ; M. B... demande à la Cour :

1 d'annuler le jugement n° 1402247 du 7 juillet 2014 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 23 janvier 2014 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;

2 d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;

3 de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :
- sa demande enregistrée au greffe du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 5 mars 2014 n'est pas tardive ;
- si l'affaire au fond est évoquée, il est demandé de se référer aux éléments de faits et de droit contenus dans la requête initiale présentée devant le tribunal ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 janvier 2015 :
- le rapport de M. Malagies, président assesseur,
- les conclusions de M. Delage, rapporteur public,
- et les observations de Me Bacha, avocate, pour M.B... ;


1. Considérant que M.B..., ressortissant serbe, a bénéficié le 8 septembre 2009 d'une carte de séjour en qualité de conjoint de français, sur le fondement de l'article L. 313-11 4° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, renouvelée par décisions du préfet de police de Paris jusqu'au 7 septembre 2012 ; qu'il en a demandé le renouvellement fin 2012 à la préfecture des Hauts-de-Seine ; que, par un arrêté en date du 23 janvier 2014, le préfet des Hauts-de-Seine lui a refusé la délivrance du titre sollicité, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai d'un mois et a fixé le pays de renvoi ; que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté pour tardiveté son recours tendant à l'annulation de cet arrêté après avoir soulevé d'office l'irrecevabilité de la requête ; que M. B...relève appel de ce jugement ;


Sur la recevabilité de la demande :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction issue de l'article 48 de la loi n° 2011-72 du 16 juin 2011 : " I. - L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français et qui dispose du délai de départ volontaire mentionné au premier alinéa du II de l'article L. 511-1 peut, dans le délai de trente jours suivant sa notification, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision mentionnant le pays de destination (...) qui l'accompagnent le cas échéant. (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 776-1 du code de justice administrative : " Sont présentées, instruites et jugées selon les dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles du présent code, sous réserve des dispositions du présent chapitre, les requêtes dirigées contre : 1°/Les décisions portant obligation de quitter le territoire français prévues au I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les décisions relatives au séjour notifiées avec les décisions portant obligation de quitter le territoire français, (...) / 4° Les décisions fixant le pays de renvoi prévues à l'article L. 513-3 du même code " ; qu'aux termes de l'article R. 776-2 du même code : " Conformément aux dispositions du I de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification d'une obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire fait courir un délai de trente jours pour contester cette obligation ainsi que les décisions relatives au séjour, au délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour notifiées simultanément.(...) " ; qu'il ressort de l'ensemble de ces dispositions que l'arrêté du préfet comportant tout ou partie de ces décisions doit être déféré à la censure du tribunal dans le délai de trente jours à compter de la notification de cet arrêté ; que ce délai ne se confond pas avec un délai d'un mois ; qu'à l'instar de tout délai de procédure et en l'absence de disposition contraire, il a le caractère d'un délai franc ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier de première instance que la décision du préfet en date du 23 janvier 2014, refusant un titre de séjour à M. B...l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination a été notifiée régulièrement à celui-ci le 3 février 2014 ; que le délai franc de trente jours dont disposait l'intéressé pour saisir le tribunal commençait donc à courir le 4 février 2014, et non le 3 février 2014 ainsi que le tribunal l'a jugé à tort ; que le mois de février de l'année 2014 ne comportant que 28 jours, le trentième jour du délai était le lundi 5 mars 2014 ; que la demande ayant été enregistrée à cette date au greffe du tribunal, elle était par suite recevable ; que c'est donc à tort que par le jugement attaqué le Tribunal administratif de Cergy Pontoise l'a rejetée au motif qu'elle était tardive ; que ce jugement doit dès lors être annulé ;

4. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. B...devant le tribunal administratif ;


Sur la légalité de la décision du préfet :

5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) " ; qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.B..., entré régulièrement en France en 2009, est employé depuis le 15 juin 2010, dans un hôtel en qualité de bagagiste puis de réceptionniste de nuit ; que sa pratique de plusieurs langues étrangères et ses compétences l'ont fait apprécier de son employeur qui souhaite le garder à son service et a produit en sa faveur une lettre de recommandation ; que, parallèlement, l'intéressé, qui a eu une communauté de vie avec son épouse française dont il s'est maintenant séparé, a suivi des cours de civilisation française à la Sorbonne et a obtenu en mai 2012 le certificat de langue française du niveau supérieur ; qu'il est corédacteur en chef et membre du comité de rédaction de deux revues et publie régulièrement depuis 2009 dans des organes de presse français, anglais et slaves des articles sur la culture, l'économie et la politique française, participant ainsi au rayonnement intellectuel de la France ; qu'il poursuit ses études et prépare une thèse en sociologie politique à l'Institut d'études politiques de Paris, sous la direction du professeur Rupnik, portant sur " l'éclatement de la Yougoslavie vu par les courants politiques et l'intelligentsia en France (1990-1999) " ; qu'il s'ensuit que M.B..., parfaitement intégré dans la vie et la société françaises, témoigne de liens personnels nombreux et intenses avec ce pays tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée une atteinte disproportionnée ; que le préfet des Hauts-de-Seine a, par suite, méconnu, en lui refusant un titre de séjour, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions précitées de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande, M. B...est fondé à demander l'annulation de la décision du préfet lui refusant un titre de séjour et, par voie de conséquences, de la décision l'obligeant à quitter le territoire français et celle fixant le pays de renvoi ;


Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

8. Considérant que le présent arrêt qui annule l'arrêté du préfet des Hauts-de-Seine implique nécessairement d'enjoindre audit préfet de délivrer à M. B...une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;


Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

10. Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat, le versement à M. B...de la somme de 1 200 euros qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;




DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1402247 du 7 juillet 2014 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 2 : L'arrêté en date du 23 janvier 2014 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine a refusé à M. B...la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Hauts-de-Seine de délivrer à M.B..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, une carte temporaire de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Article 4 : L'Etat versera sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la somme de 1 200 euros que M. B...demande au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la demande de M. B...est rejeté.
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