CAA de VERSAILLES, 3ème chambre, 31/03/2015, 13VE02435, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 15 juillet 2013, présentée pour la SA ORANGE, dont le siège est 78 rue Olivier de Serres à Paris Cedex 15 (75505), par Mes A... et Lefèvre, avocats ; la SA ORANGE demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n° 1104538 du 23 mai 2013 du Tribunal administratif de Montreuil en tant que, par ce jugement, le tribunal a, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande à hauteur de la somme de 934 402 euros, dégrevée en cours d'instance, rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2005 pour un montant de 1 690 047 euros ;

2° de la décharger des impositions et pénalités correspondantes, restant en litige ;

3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux dépens ;

Elle soutient que :

- s'agissant de l'opération de cession des titres de la société France Telecom Câble, les honoraires afférents, versés au cabinet Gide Loyrette Nouel et au cabinet Toulouse et associés devenu Quadrature puis Cabinet Leonardo, ont été grevés d'une taxe sur la valeur ajoutée d'un montant total de 638 049 euros qui doit être reconnue déductible dès lors que ces honoraires étaient afférents à l'ensemble de l'opération de cession de l'activité câble, la cession des titres ne représentant qu'une part très marginale du produit total de ces cessions ; la cession de ces actifs ayant été pour l'essentiel assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, la jurisprudence du Conseil d'Etat du 23 décembre 2010 Michel Thierry, n° 324181 et Pfizer, n° 307698, relative aux conditions de déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux cessions de titres n'est donc pas pertinente ; subsidiairement, il y a lieu de réduire, par application d'un pourcentage de 5,41 %, le rappel à la taxe afférente à la seule part des honoraires devant être regardés comme concernant la cession des titres ;
- s'agissant de l'opération de cession des titres de la société ST Microelectronics, réalisée par l'intermédiaire d'une filiale, les honoraires afférents, versés au cabinet Gide Loyrette Nouel, ont donné lieu à une taxe sur la valeur ajoutée de 12 832 euros qui doit être reconnue déductible dès lors que la cession de ces titres, dont les modalités, encadrées par deux pactes d'actionnaires, lui ont permis de récupérer l'équivalent du prix de cession, s'inscrit dans une stratégie globale de recentrage de ses activités sur son coeur de métier en se libérant de ses activités annexes et de désendettement ; ces honoraires, qui sont d'ailleurs d'un montant de 78 302 euros, très modeste au regard du prix de cession des titres, soit 472 millions d'euros, et de la plus-value dégagée à cette occasion, soit 242 millions d'euros, ont ainsi été exposés pour la réalisation d'une opération de cession de titres - dont la détention ne revêtait pas de caractère stratégique - engagée dans l'intérêt de l'exploitation et, par suite, nécessaire à l'exploitation au sens de l'article 230 de l'annexe II au code général des impôts ; dés lors, la taxe sur la valeur ajoutée afférente est déductible comme afférente à des frais généraux en lien direct et immédiat avec l'activité de la société ; le Conseil d'Etat a jugé, dans une décision n° 350588 du 24 juin 2013, Société L'Air Liquide, que la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses exposées en vue de l'acquisition de titres par une filiale n'est pas exclue de tout droit à déduction au seul motif que l'acquisition de ces titres a été réalisée par la filiale et non directement par la société holding ;
- s'agissant de l'opération de cession des titres de la société Pages Jaunes, les honoraires afférents, versés au cabinet Shearman et Sterling, ont donné lieu à une taxe sur la valeur ajoutée de 12 832 euros qui doit être reconnue déductible dès lors que, conformément au principe général selon lequel les frais de cession sont supportés par le cédant, les frais de cession de ces titres, cotés sur un marché règlementé, n'ont pu être inclus dans leur prix de cession qui a été déterminé exclusivement en fonction du cours de bourse et de la demande des investisseurs, dans le cadre de la procédure dite de " construction d'un livre d'ordres " mise en place à cette occasion, par un syndicat de banques rémunérées par des commissions ; aucun contrat de cession n'a été établi entre la SA ORANGE et les cessionnaires ; les banques ont nécessairement déterminé un prix de cession ne prenant pas en compte des honoraires dont elles n'avaient pas connaissance, la facture d'honoraires ayant d'ailleurs été établie plus d'un mois après les opérations de cession ; ces honoraires d'un montant de 42 219 euros HT sont au demeurant d'un montant sans rapport avec le prix total de cession des titres, soit 440,4 millions d'euros ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 mars 2015 :
- le rapport de M. Bergeret, président assesseur,
- les conclusions de M. Coudert, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., pour la SA ORANGE ;


1. Considérant qu'à la suite d'une vérification de la comptabilité de la SA France Telecom portant sur la période courant du 1er janvier au 31 décembre 2005, l'administration fiscale, par une proposition de rectification en date du 23 décembre 2008, a notamment remis en cause la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses d'honoraires versés par l'intéressée à différents cabinets de conseil à l'occasion d'opérations de cession de titres de participation détenus dans plusieurs de ses filiales ; qu'à l'issue de la procédure de redressement, au cours de laquelle, au vu des justificatifs produits par le contribuable, la majorité des rappels ont été abandonnés, une somme de 1 477 314 euros, outre des intérêts de retard de 212 733 euros, a été réclamée à la SA France Telecom, par avis de mise en recouvrement en date du 22 décembre 2010, en raison du rejet de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux honoraires versés à l'occasion des opérations de cessions des titres de participation des sociétés Intertel, ST Microelectronics NV, Pages Jaunes Groupe et France Télécom Câble ; que, par un jugement en date du 23 mai 2013, le Tribunal administratif de Montreuil, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande à hauteur d'une somme de 934 402 euros, correspondant notamment au rappel de la taxe sur la valeur ajoutée déduite à l'occasion de la cession des titres de la société Intertel, a rejeté le surplus des conclusions aux fins de décharge présentées par la SA France Telecom ; que cette dernière, devenue la SA ORANGE, relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas intégralement fait droit à sa demande ;

Sur les conclusions aux fins de décharge des impositions en litige :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions, interprétées à la lumière des paragraphes 1 et 2, 3 et 5 de l'article 17 de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977, que l'existence d'un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction est, en principe, nécessaire pour qu'un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée en amont soit reconnu à l'assujetti et pour déterminer l'étendue d'un tel droit ; que le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée grevant l'acquisition de biens ou de services en amont suppose que les dépenses effectuées pour acquérir ceux-ci fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction ; qu'en l'absence d'un tel lien, un assujetti est toutefois fondé à déduire l'intégralité de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé des biens et services en amont, lorsque les dépenses liées à l'acquisition de ces biens et services font partie de ses frais généraux et sont, en tant que telles, des éléments constitutifs du prix des biens produits ou des services fournis par cet assujetti ;

3. Considérant que, lorsqu'une société holding, qui se livre à une activité économique à raison de laquelle elle est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, envisage de céder tout ou partie des titres de la participation qu'elle détient dans une filiale et expose à cette fin des dépenses en vue de préparer cette cession, elle est en droit, sous réserve de produire des pièces justificatives, de déduire la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ces dépenses, qui sont réputées faire partie de ses frais généraux et se rattacher aux éléments constitutifs du prix des opérations relevant de cette activité économique ; qu'il en va ainsi lorsque l'opération de cession des titres ne se réalise pas ; que, lorsque cette cession est intervenue, que cette opération soit en dehors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée ou dans le champ mais exonérée, l'administration est toutefois fondée à remettre en cause la déductibilité de la taxe ayant grevé de telles dépenses quand, compte tenu des éléments portés à sa connaissance et au vu des pièces qu'il appartient le cas échéant à la société qui les détient de produire, elle établit que cette opération a revêtu un caractère patrimonial dès lors que le produit de cette cession a été distribué, quelles que soient les modalités de cette distribution, ou que, en l'absence d'éléments contraires produits par la société, ces dépenses ont été incorporées dans le prix de cession des titres ;

4. Considérant que si la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses inhérentes à la transaction elle-même n'est en principe pas déductible dès lors qu'elles présentent un lien direct et immédiat avec l'opération de cession des titres, cette société est néanmoins en droit de déduire cette taxe si, compte tenu de la nature des titres cédés ou par tous éléments probants tels que sa comptabilité analytique, elle établit que ces dépenses n'ont pas été incorporées dans leur prix de cession et que, par suite, elles doivent être regardées comme faisant partie de ses frais généraux et se rattachant ainsi aux éléments constitutifs du prix des opérations relevant des activités économiques qu'elle exerce comme assujettie ; que les mêmes règles s'appliquent dans le cas où les dépenses ont été payées à un même intermédiaire, chargé à la fois de préparer cette cession et de réaliser la transaction, dès lors que ces deux catégories de prestations n'ont pas donné lieu à une rémunération distincte et qu'elles doivent alors être regardées comme un tout indissociable se rattachant à la transaction ;

En ce qui concerne la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les frais exposés à l'occasion de la cession des titres de la société France Telecom Câble :

5. Considérant que, pour soutenir que c'est à tort que l'administration a remis en cause la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux honoraires versés au cabinet Gide Loyrette Nouel, d'une part, et au cabinet Toulouse et associés, d'autre part, pour un total de 3 893 406 euros TTC, la SA ORANGE fait valoir que ces honoraires rémunéraient des missions relatives à l'opération de cession de l'ensemble de l'activité " câble " de France Telecom, laquelle a porté sur tous les actifs qu'elle possédait pour exercer cette activité et, notamment mais pour une part très marginale, les titres de la société France Telecom Câble ;

S'agissant des honoraires versés au cabinet Gide Loyrette Nouel :

6. Considérant, en premier lieu, qu'en se bornant à produire les deux factures d'honoraires du cabinet Gide Loyrette Nouel, en date des 21 avril et 12 juillet 2005, qui se réfèrent à des prestations, non déterminées, afférentes à un " projet Calypso " dont la nature n'est avérée par aucune pièce, la SA ORANGE n'établit pas que ces honoraires étaient afférents, même pour partie, à la cession de divers actifs de l'activité " câble " autres que les titres de la société France Telecom Câble ;

7. Considérant, en second lieu, que, s'agissant des prestations qu'aurait rendues le cabinet Gide Loyrette Nouel pour la cession des titres de participation, la SA ORANGE, qui se borne à se prévaloir de l'absence de stipulation au contrat de cession mettant les honoraires en litige à la charge de l'acquéreur, ne produit aucun élément pour démontrer, ainsi qu'il le lui incombe en vertu des principes rappelés au point 4. ci-dessus, que ces honoraires n'auraient pas été intégrés au prix de cession de ces titres ; que la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée afférente, pour les montants de 131 650,33 et 14 386,20 euros, a donc été rejetée à bon droit par l'administration ;

S'agissant des honoraires versés au cabinet Toulouse et associés :

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction et, notamment, des termes de la lettre en date du 25 février 2004 définissant la mission confiée au cabinet Toulouse et associés que cette mission portait non pas seulement sur la cession des titres de la société France Telecom Câble, mais également et pour l'essentiel, sur l'étude et la détermination des modalités de la cession de l'ensemble de l'activité " câble " de la SA France Telecom, qui s'exerçait au moyen d'actifs dont elle était propriétaire et qui étaient exploités, d'une part, par la société France Telecom Câble et, d'autre part, par la société Numéricâble ; qu'il suit de là que, quelles qu'aient été les modalités de détermination de la " commission de succès " versée au cabinet Toulouse et associés, le ministre chargé du budget n'est pas fondé à soutenir que les dépenses réglées à ce cabinet n'auraient été exposées qu'à raison de l'opération de cession des titres de la société France Telecom Câble ; qu'il en résulte que les règles gouvernant la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée grevant les dépenses afférentes à des opérations de cession de titres ne sauraient être appliquées qu'à la partie des honoraires versés au cabinet Toulouse et associés à raison des prestations afférentes à la cession des titres de la société France Telecom Câble ;

9. Considérant que, s'agissant de cette partie des dépenses d'honoraires, engagées en vue de la préparation et de la réalisation de l'opération de cession des titres, la SA ORANGE, qui se borne, à nouveau, à se prévaloir de l'absence de stipulation au contrat de cession mettant les honoraires en litige à la charge de l'acquéreur, ne démontre pas qu'elle n'aurait pas été incorporée au prix de cession des titres ; que, par suite, en application des principes rappelés au point 4. ci-dessus, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a remis en la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ces dépenses ;

10. Considérant que, s'agissant du surplus des honoraires versés au cabinet Toulouse et associés, la SA ORANGE est fondée à faire valoir que la taxe ayant grevé cette dépense était déductible dès lors que ladite dépense était en lien direct avec les opérations imposables constituées par ces cessions d'actifs autres que les titres de participation, à l'exception cependant des cessions des éléments d'actifs constitués par des biens immobiliers, opérations non soumises à la taxe ; qu'il résulte de l'instruction que, alors que le prix global de l'ensemble des cessions d'actifs afférents à l'activité " câble " s'est élevé à 306,8 millions d'euros, les produits de cession portant sur ces éléments d'actifs immobiliers ont été de 5,3 millions d'euros, soit 1,74 % du produit total des cessions, tandis que le prix de cession des titres de la société France Telecom Câble a été de 11,6 millions d'euros, soit 3,78 % de ce produit global ; qu'il suit de là que la SA ORANGE est fondée à soutenir que la taxe sur la valeur ajoutée facturée par le Cabinet Toulouse et Associés, dont elle établit qu'elle s'est élevée à 492 613 euros nonobstant les erreurs matérielles entachant certaines factures, a été exposée, à concurrence de 94,48 % de ce montant, en vue d'opérations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée et qu'elle est ainsi à due concurrence, soit pour 465 421 euros, déductible en application des dispositions précitées de l'article 271 du code général des impôts ; que sa demande doit donc être accueillie dans cette mesure ;

En ce qui concerne la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les frais exposés à l'occasion de la cession des titres de la société Pages Jaunes Groupe :

11. Considérant que, pour réaliser cette opération de cession de titres, la SA France Telecom a recouru à la procédure dite de " l'accelerated book building " ou " construction d'un livre d'ordres ", dans laquelle, après appel d'offres, plusieurs banques, sélectionnées par le vendeur, s'engagent à céder des lots de titres à des investisseurs potentiels, pour un prix minimum garanti, qui était en l'espèce égal à 19,73 euros par action en vertu du contrat passé le 10 février 2005 entre la société et six banques sélectionnées ; qu'elle a exposé à cette occasion, outre les commissions rémunérant les banques participant à l'opération, des honoraires d'un montant de 49 219 euros HT facturés par le cabinet Shearman et Sterling, ayant donné lieu à une taxe sur la valeur ajoutée de 9 647 euros, dont la déduction a été refusée par l'administration ; que la SA ORANGE ne conteste pas que, comme le tribunal administratif l'a relevé, ces dépenses ont été exposées pour la préparation et pour la réalisation de cette opération de cession de titres ;

12. Considérant que la SA ORANGE soutient que, compte tenu de la mise en oeuvre de la procédure précitée de " construction d'un livre d'ordres ", le prix de vente des titres concernés aurait été uniquement déterminé par les offres faites par les banques au vu du cours du jour et compte tenu des intentions d'achat communiquées par des investisseurs potentiels, et qu'ainsi, les dépenses exposées par la SA France Telecom pour la réalisation de la cession de titres dont il s'agit, hormis les commissions rémunérant les banques, contractuellement fixées avec elle, n'étaient pas susceptibles d'être prises en compte dans le prix de cession ; que, toutefois, l'administration relève à juste titre, d'une part, que la procédure de " construction d'un livre d'ordres " permet au vendeur d'optimiser le prix de cession en demandant notamment aux banques de garantir un prix minimum, de sorte que la fixation du prix est nécessairement déconnectée du cours de bourse, et, d'autre part, que l'article 1.1. du contrat de cession du
10 février 2005 précise que le prix définitif sera supérieur ou égal au prix de sureté ; qu'il résulte également des mentions de cet article que le prix définitif est déterminé conjointement par France Télécom et les banques ; que, dans ces conditions, sans qu'importe la circonstance que le prix de cession a été inférieur de 0,70 % au cours de bourse du titre constaté le 9 février 2005, la SA ORANGE ne peut être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, que les dépenses d'honoraires en litige, dont il n'est pas établi qu'elles ne pouvaient être estimées alors même qu'elles n'étaient pas encore facturées, n'ont pas été incorporées au prix de vente ; qu'elle n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a remis en cause la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée grevant ces dépenses ;

En ce qui concerne la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les frais exposés à l'occasion de la cession des titres de la société ST Microelectronics NV :

13. Considérant qu'il résulte de l'instruction que les titres de la société ST Microelectronics NV vendus au Crédit Suisse First Boston en vertu d'un contrat du
3 décembre 2004 étaient détenus par la société ST Microelectronics Holding II BV, filiale de la SA France Telecom, et que cette vente a donné lieu à des dépenses d'honoraires d'un montant de 78 302 euros TTC, comprenant une taxe sur la valeur ajoutée de 12 833 euros, que le cabinet Gide Loyrette Nouel a facturées le 2 février 2005 à la SA France Telecom ; qu'il résulte également de l'instruction et n'est pas contesté par l'administration que le produit de cette cession, laquelle a été réalisée à la demande de la SA France Telecom, a finalement été acquis à celle-ci lorsque la société FT1CI lui a racheté les actions qu'elle détenait dans cette dernière par un contrat du 21 décembre 2004 ;

14. Considérant, en premier lieu, que pour remettre en cause la déduction de la taxe ayant grevé les honoraires facturés par le cabinet Gide Loyrette Nouel à la SA France Telecom, l'administration s'est fondée sur ce que ces frais avaient été exposés à l'occasion d'une cession de titres réalisée non par la SA France Telecom elle-même mais par l'une de ses filiales, et que, par suite, dès lors que ces dépenses n'avaient pas été exposées dans le cadre de son exploitation propre, la SA France Telecom ne pouvait déduire la taxe sur la valeur ajoutée y afférente, en vertu des dispositions, alors applicables, de l'article 230 de l'annexe II au code général des impôts aux termes desquelles : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les biens et services que les assujettis à cette taxe acquièrent ou qu'ils se livrent à eux-mêmes n'est déductible que si ces biens et services sont nécessaires à l'exploitation." ;


15. Considérant cependant que, ainsi qu'il a été dit au point 2., en l'absence d'un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction, un assujetti est toutefois fondé à déduire l'intégralité de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé des biens et services en amont, lorsque les dépenses liées à l'acquisition de ces biens et services font partie de ses frais généraux et sont, en tant que telles, des éléments constitutifs du prix des biens produits ou des services fournis par cet assujetti ; que de tels coûts entretiennent, en effet, un lien direct et immédiat avec l'ensemble de son activité économique ; qu'il y a lieu d'examiner, dans ce cas, si les dépenses effectuées pour acquérir des biens ou des services en amont font partie des frais généraux liés à l'ensemble de l'activité économique de l'assujetti ; que, par ailleurs, si la cession de participations financières dans d'autres entreprises ne constitue pas, en elle-même, une activité économique au sens de la sixième directive précitée, il en va différemment lorsque, notamment, elle permet à la société concernée de réorganiser ses activités entrant dans le champ de la taxe ou de dégager des recettes financières destinées à ces dernières ; qu'enfin, la taxe grevant les dépenses qu'elle a exposées en vue de cette cession n'est pas exclue de tout droit à déduction au seul motif que, la cession des titres ayant été réalisée par une filiale et non directement par la société holding, ces dépenses ne pourraient être regardées comme ayant été exposées par la société holding dans le cadre de sa propre exploitation et pour les besoins de son activité ; qu'en effet, dès lors que la société holding établit que cette opération lui a permis de réorganiser ses activités entrant dans le champ de la taxe sur la valeur ajoutée, elle est en droit de déduire la taxe ayant grevé ces dépenses, qui doivent être regardées comme faisant partie de ses frais généraux et entretiennent un lien direct et immédiat avec l'ensemble de son activité économique ;

16. Considérant qu'en l'espèce, la SA ORANGE fait valoir que la cession en litige, faite à la demande de la SA France Télécom ainsi qu'il résulte du contrat d'achat et de vente d'actions conclu le 3 décembre 2004 avec le Crédit Suisse First Boston, et conformément aux termes de pactes d'actionnaires qui la liaient aux autres détenteurs de la société holding ST Microelectronics Holding II BV, s'est inscrite dans une opération plus globale - dont la SA France Télécom a été le bénéficiaire final - qui lui a permis de céder sa participation indirecte dans la société ST Microelectronics NV, et que cette opération s'inscrivait dans la stratégie de recentrage de ses activités et de désendettement qu'elle avait arrêtée à la fin de l'année 2002 ; qu'il résulte effectivement des pièces qu'elle verse au dossier qu'afin de pérenniser son activité et son développement, la SA France Télécom a engagé une réorganisation en profondeur consistant à se recentrer sur ses activités téléphonie fixe et réseaux d'entreprise et à se désengager de certaines activités et de ses participations minoritaires, tout en se désendettant ; que, s'agissant plus particulièrement de la cession des titres de la société ST Microelectronics NV, il résulte notamment du procès-verbal du conseil d'administration du
3 décembre 2004 de la SA France Télécom, que l'opération de cession de ces titres non stratégiques s'inscrivait dans cette stratégie de recentrage de l'activité de la société sur son coeur de métier en se libérant des activités annexes ; que, dans ces conditions, la SA ORANGE est fondée à soutenir que, dès lors que cette cession lui a permis de réorganiser ses activités entrant dans le champ de la taxe, elle était en droit de déduire la taxe ayant grevé les dépenses exposées à cette occasion, qui doivent être regardées comme faisant partie de ses frais généraux et entretiennent un lien direct et immédiat avec l'ensemble de son activité économique ;

17. Considérant, en deuxième lieu, que l'administration soutient également que la SA ORANGE ne démontre pas que les honoraires litigieux n'auraient pas été intégrés au prix de cession des titres dont il s'agit ; que, cependant, la requérante se prévaut, d'une part, des termes de l'article 5 du contrat d'achat et de vente d'actions conclu le 3 décembre 2004 avec le Crédit Suisse First Boston pour la cession des titres de la société ST Microelectronics NV qui stipule que " le vendeur et l'acheteur supportent leurs propres frais de justice (...) ainsi que l'ensemble de leurs autres débours " et produit, d'autre part, le contrat de vente signé le 21 décembre 2004 entre la SA France Télécom et la société FT1CI, dont il résulte que les honoraires en litige n'ont pas été inclus dans le prix de cession des actions de la société FT1CI ; qu'il suit de là que l'administration n'est pas fondée à remettre en cause la déductibilité de la taxe ayant grevé ces honoraires, motif pris qu'ils auraient été incorporés dans le prix de cession des titres ;

18. Considérant, enfin, que l'administration soutient que la SA France Telecom a procédé, en 2006 et 2007, à des distributions de dividendes importantes qui devraient être regardées, en l'absence de preuve contraire, comme portant au moins en partie sur les produits, réalisés en 2005, des opérations litigieuses de cessions de titres de participation et, notamment, de l'opération de cession des titres de la société ST Microelectronics NV, de sorte que cette opération aurait revêtu un caractère patrimonial qui s'opposerait, en vertu des principes exposés ci-dessus, à la déductibilité de la TVA afférente aux dépenses exposées pour sa réalisation ;

19. Considérant, toutefois, que la SA ORANGE fait valoir que des dividendes de l'ordre de 2,6 milliards d'euros ont été distribués en 2006, alors que le bénéfice distribuable de l'exercice 2005 était de 9,8 milliards d'euros, compte tenu notamment d'un bénéfice de 5,5 milliards d'euros constaté au titre de cet exercice 2005 et d'un report à nouveau créditeur de 4,6 milliards d'euros, et que les produits de cession afférents aux trois opérations objet du présent litige n'atteignaient que 924 millions d'euros, environ, sur cette même année 2005,
dont 472 millions d'euros pour l'opération de cession des titres de la société
ST Microelectronics NV ; que, de même, le bénéfice distribuable de l'exercice 2006 était de
10,5 milliards d'euros, compte tenu notamment d'un bénéfice de 4,4 milliards d'euros constaté au titre de cet exercice et d'un report à nouveau créditeur de 7,2 milliards d'euros ; que, dans ces conditions, en l'absence de production de tout élément en ce sens, l'administration n'établit pas que le produit de la cession des titres de la société ST Microelectronics NV a été distribué et que cette opération a ainsi revêtu un caractère patrimonial ;

20. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SA ORANGE est fondée à soutenir que la taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 12 832 euros ayant grevé les honoraires litigieux est déductible comme afférente à des frais généraux ;

21. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SA ORANGE est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande en tant qu'elle tendait à la réduction des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période courant du 1er janvier au
31 décembre 2005 à hauteur des montants de 465 421 euros et de 12 832 euros, soit 478 253 euros, outre les intérêts de retard correspondants ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 et
R. 761-1 du code de justice administrative :

22. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la SA ORANGE et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, aucun dépens n'ayant été exposé dans la présente instance, les conclusions de la SA ORANGE tendant à l'application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La SA ORANGE est déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de l'année 2005 à hauteur de la somme de 478 253 euros, outre les intérêts de retard correspondants.
Article 2 : Le jugement n° 1104538 du Tribunal administratif de Montreuil en date du
23 mai 2013 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la SA ORANGE en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SA ORANGE est rejeté.
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N° 13VE02435 8



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