Conseil d'État, 2ème / 7ème SSR, 27/02/2015, 380249

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 mai et 8 août 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ; la ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 12PA02993 du 3 mars 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son recours tendant à l'annulation du jugement n° 1015103/7-1 du 10 mai 2012 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 7 mai 2010 infligeant à la société Ryanair une amende de 30 000 euros pour manquement au droit à indemnisation de quatre passagers, à la suite de l'annulation du vol FR 25 Beauvais-Dublin du 16 août 2008 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 ;

Vu le code de l'aviation civile ;

Vu l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 22 décembre 2008, dans l'affaire C 549/07 ;

Vu l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 12 mai 2011, dans l'affaire C 294/10 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Paul Bernard, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Xavier Domino, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Carbonnier, avocat de la société Ryanair ;





1. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 5 et 7 du règlement du 11 février 2004 du Parlement européen et du Conseil établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol qu'en cas d'annulation d'un vol, les passagers concernés ont notamment droit au versement par le transporteur aérien d'une indemnité forfaitaire d'un montant compris entre 250 et 600 euros selon les caractéristiques de ce vol ; que, toutefois, le paragraphe 3 de l'article 5 du règlement prévoit que : " un transporteur aérien effectif n'est pas tenu de verser l'indemnisation (...) s'il est en mesure de prouver que l'annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n'auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises " ; que l'article 16 du règlement charge les États membres de mettre en place des dispositifs permettant de veiller à l'application des dispositions du règlement et, le cas échéant, de sanctionner la violation des obligations qu'il impose aux transporteurs aériens ; que pour l'application de ces dispositions, les articles R. 330-20 et 330-22 du code de l'aviation civile ont prévu qu'en cas de manquement, le ministre chargé des transports peut infliger une amende dont le montant maximal, pour une personne morale, est de 7 500 euros par manquement, montant doublé en cas de récidive dans un délai inférieur à un an ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 16 août 2008 à 17h30, la société Ryanair a décidé d'annuler le vol FR 25 Beauvais-Dublin dont le décollage était prévu à 18h50, en raison de l'immobilisation de l'appareil qui devait assurer ce vol, lequel avait subi à 13h30 le même jour, lors d'une rotation antérieure, un impact de foudre ; que saisie par quatre passagers d'une demande d'indemnisation, sur le fondement des dispositions de l'article 5 du règlement du 11 février 2004, la compagnie Ryanair a rejeté leur demande au motif que l'annulation du vol était justifiée par des circonstances extraordinaires ; que le ministre chargé des transports, estimant que ce refus d'indemnisation méconnaissait les obligations prévues par ce règlement, a décidé le 7 mai 2010, après avis de la commission administrative de l'aviation civile, d'infliger à la compagnie quatre amendes de 7 500 euros, soit une amende totale de 30 000 euros ;

3. Considérant que, par un jugement du 10 mai 2012, le tribunal administratif de Paris, saisi par la société Ryanair, a annulé la décision du ministre ; que la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ayant relevé appel du jugement, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté cet appel par un arrêt du 3 mars 2014 ; que la ministre se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;

4. Considérant que l'article 5 du règlement du 11 février 2004 du Parlement européen et du Conseil, tel qu'interprété par la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt du 22 décembre 2008 visé ci-dessus, pose le principe du droit à indemnisation des passagers en cas d'annulation d'un vol ; qu'ainsi que l'a dit pour droit la Cour de justice, le paragraphe 3 de cet article, qui détermine les conditions dans lesquelles le transporteur aérien n'est pas tenu de verser cette indemnisation, dérogeant à ce principe, doit être interprété strictement ; qu'un problème technique survenu à un aéronef qui entraîne l'annulation d'un vol ne relève pas de la notion de " circonstances extraordinaires qui n'auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises " au sens de ce paragraphe 3, sauf ci ce problème découle d'événements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l'exercice normal de l'activité de transporteur aérien et échappent à sa maîtrise effective ; qu'il incombe au transporteur qui entend se prévaloir de telles circonstances extraordinaires d'établir qu'elles n'auraient pas pu être évitées par des mesures adaptées à la situation, mettant en oeuvre tous les moyens en personnel ou en matériel et les moyens financiers dont il dispose, sauf à consentir des sacrifices insupportables au regard des capacités de l'entreprise au moment pertinent ;

5. Considérant que, pour juger que les circonstances invoquées par la compagnie Ryanair présentaient le caractère de circonstances extraordinaires au sens du règlement, la cour administrative d'appel s'est bornée à relever, d'une part, que l'impact de foudre s'était produit quelques heures seulement avant le vol et que les réparations indispensables conduisaient à l'immobilisation de l'appareil pendant plusieurs jours et, d'autre part, que ce même jour dix autres appareils de la compagnie Ryanair avaient été immobilisés en raison de problèmes techniques ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, même en mettant en oeuvre tous les moyens en personnel ou en matériel et les moyens financiers dont elle disposait, la compagnie Ryanair n'aurait manifestement pas pu, sauf à consentir des sacrifices insupportables au regard des capacités de son entreprise au moment pertinent, éviter que les circonstances auxquelles elle était confrontée ne conduisent à l'annulation du vol, la cour administrative d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ; que, dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé ;

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

7. Considérant, ainsi qu'il a été dit, qu'en vertu des dispositions du paragraphe 3 de l'article 5 du règlement du 11 février 2004, le transporteur aérien n'est pas tenu de verser aux passagers dont le vol a été annulé l'indemnisation prévue à l'article 7 s'il est en mesure de prouver que l'annulation de ce vol est due à des circonstances extraordinaires qui n'auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises ; qu'il appartient au transporteur qui entend se prévaloir de ces dispositions pour s'exonérer de l'obligation d'indemnisation mise à sa charge d'établir que les circonstances qu'il invoque pour justifier l'annulation du vol concerné remplissaient, pour ce vol, les conditions posées par le texte ; que, par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a estimé que le ministre chargé des transports avait commis une erreur de droit en écartant les circonstances invoquées par la compagnie Ryanair au motif que les faits n'avaient pas été constatés sur le vol concerné ;

8. Considérant toutefois qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens invoqués par la société Ryanair devant le tribunal administratif ;

Sur la régularité de la procédure de sanction :

9. Considérant qu'il ressort des termes mêmes de la lettre adressée le 17 novembre 2009 par le représentant de la compagnie Ryanair au président de la commission administrative de l'aviation civile que le rapport détaillant les faits qui étaient reprochés à la compagnie lui avait été adressé en pièce jointe à la lettre de convocation en vue de son audition ; qu'ainsi la société a été, contrairement à ce qu'elle soutient, mise à même de connaître la nature et le nombre des manquements qui lui étaient reprochés ;

10. Considérant qu'aucune disposition du code de l'aviation civile ni d'aucun autre texte n'imposent de joindre l'avis de la commission administrative de l'aviation civile aux décisions de sanction prises par le ministre sur le fondement des dispositions de l'article R. 330-20 du code de l'aviation civile ;

Sur le bien-fondé de la sanction :

11. Considérant que lorsqu'un vol est annulé à la suite de la mise hors service de l'appareil qui devait l'effectuer à l'origine, il appartient au transporteur aérien qui souhaite s'exonérer de l'obligation d'indemniser les passagers de ce vol d'établir qu'aucune mesure raisonnable ne lui aurait permis d'éviter la mise hors service de cet appareil ou de procéder à un réacheminement rapide des passagers par un vol de substitution, qu'il soit réalisé par la même compagnie ou par une autre ; qu'en l'espèce si la compagnie Ryanair établit la réalité d'un impact de foudre sur l'avion qui devait initialement effectuer le vol FR 25 Beauvais Dublin, elle n'a, à aucun moment de la procédure, apporté des précisions sur les mesures qu'elle aurait envisagées lorsque l'indisponibilité de l'appareil a été connue, soit à 14h30, c'est-à-dire quatre heures avant l'heure de départ initialement prévue, pour permettre un réacheminement rapide des passagers par un vol de substitution ; que ni la circonstance que dix appareils de la compagnie auraient été ce jour là également indisponibles, ni le fait qu'un couvre-feu interdit aux avions de se poser à l'aéroport de Beauvais à partir de 22 heures ne suffisent à établir que l'organisation d'un vol de substitution aurait été impossible ou aurait entraîné des conséquences financières insupportables pour la compagnie et démesurées par rapport à l'objectif de protection élevée des passagers aériens, la compagnie n'apportant, au demeurant, aucune précision chiffrée à cet égard ; que, par suite, le ministre chargé des transports a pu légalement estimer que les conditions posées par le paragraphe 3 de l'article 5 n'étant pas remplies, la compagnie Ryanair avait méconnu les dispositions du règlement en refusant d'indemniser les passagers ;

Sur le montant de la sanction :

12. Considérant qu'il résulte de l'article 16 du règlement du 11 février 2004 que les sanctions établies pour réprimer sa méconnaissance doivent être " efficaces, proportionnées et dissuasives " ; que, selon l'article R. 330-22 du code de l'aviation civile, le ministre chargé de l'aviation civile fixe le montant de l'amende prévue à l'article R. 330-20 de ce code en cas de méconnaissance des obligations à l'égard des passagers fixées par les dispositions de ce règlement " en tenant compte du type et de la gravité des manquements constatés et éventuellement des avantages qui en sont tirés. Ce montant ne peut excéder, par manquement constaté, 1 500 euros pour une personne physique et 7 500 euros pour une personne morale. Ces plafonds sont doublés en cas de nouveau manquement commis dans le délai d'un an à compter du précédent. " ;

13. Considérant qu'il résulte de l'instruction que quatre passagers du vol FR 25 du 16 août 2008 ont saisi les autorités compétentes irlandaises d'une plainte en raison du refus de la compagnie Ryanair de leur verser l'indemnité forfaitaire prévue par le règlement ; que ces autorités ont transmis la plainte aux autorités françaises ; que le refus d'indemnisation concernant quatre passagers est constitutif de quatre manquements au sens des dispositions précitées du code de l'aviation civile ; que la circonstance que la compagnie aurait rempli, à l'égard de ces passagers, d'autres obligations également prévues par l'article 5 du règlement précité en cas d'annulation d'un vol est sans incidence sur la réalité du manquement à l'obligation d'indemnisation ; que la compagnie s'était déjà vu infliger une amende pour des faits similaires ; que, par suite la compagnie Ryanair n'est pas fondée à soutenir que l'amende qui lui a été infligée serait d'un montant disproportionné ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la ministre est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 7 mai 2010 ;

15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 3 mars 2014 de la cour administrative d'appel de Paris et le jugement du 10 mai 2012 du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par la société Ryanair devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la société Ryanair présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et à la société Ryanair.




ECLI:FR:CESSR:2015:380249.20150227
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