CAA de LYON, 1ère chambre - formation à 3, 30/09/2014, 13LY01835, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 12 juillet 2013, présentée pour la SCI des Barmettes, dont le siège est zone artisanale de l'Adroit à Val-d'Isère (73150), et M. N...F..., domicilié ...;


La SCI des Barmettes et M. F...demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1105185 du tribunal administratif de Grenoble
du 14 mai 2013 qui a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du
23 décembre 2010 par laquelle le maire de la commune de Val-d'Isère (Savoie) a tacitement délivré un permis de construire aux consorts P...et de la décision implicite de rejet de leur recours gracieux ;

2°) d'annuler ce permis de construire tacite et cette décision ;

3°) de condamner la commune de Val-d'Isère à leur verser une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


La SCI des Barmettes et M. F...soutiennent que :

- conformément à l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme, le terrain d'assiette du projet appartenant en indivision aux consortsP..., la demande de permis de construire aurait dû être déposée par M. P...agissant au nom de cette indivision ;

- contrairement à ce qu'impose l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme, la notice contenue dans la demande de permis de construire ne permet pas d'apprécier l'impact visuel du projet sur son environnement ;

- conformément à ce que prévoit l'article R. 424-3 du code de l'urbanisme, aucun permis de construire tacite n'a pu naître, dès lors en effet que l'avis favorable que l'architecte des bâtiments de France a rendu sur le projet a été assorti de prescriptions ;

- le projet n'est pas conforme à la destination de la zone UE dans laquelle se situe le terrain d'assiette, dès lors qu'il constitue en réalité un montage pour permettre la réalisation de quatre appartements dans cette zone, en l'absence de toute activité artisanale réelle ;

- l'article 8 de la convention qui doit être conclue avec la commune en application du plan d'occupation des sols est illégal, ce plan ne prévoyant pas la possibilité de modifier la destination des locaux moyennant le paiement d'une indemnité ;

- le projet est exposé aux risques naturels, dès lors que la voie d'accès et divers ouvrages doivent être implantés en zone rouge du plan des zones exposées aux avalanches ;

Vu le jugement et les décisions attaqués ;

En application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, par une ordonnance du 4 novembre 2013, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 décembre 2013 ;

Vu le mémoire, enregistré le 14 novembre 2013, présenté pour les consortsP..., qui demandent à la cour :

- de rejeter la requête ;

- de condamner solidairement la SCI des Barmettes et M. F...à leur verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Les consorts P...soutiennent que :

- dans l'hypothèse dans laquelle aucune permis de construire tacite n'existerait, le recours formé par la SCI des Barmettes et M.F..., dirigé contre une décision inexistante, serait alors irrecevable ;

- les moyens invoqués par les requérants ne sont pas fondés ;

Vu le mémoire, enregistré le 3 décembre 2013, présenté pour la commune de Val-d'Isère, représentée par son maire, qui demande à la cour :

- de rejeter la requête ;

- de condamner la SCI des Barmettes et M. F...à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La commune de Val-d'Isère soutient que :

- la requête, qui n'est pas suffisamment motivée, est par suite irrecevable ;

- le moyen tiré de l'illégalité de la convention du 18 novembre 2010 est irrecevable, dès lors qu'il n'est pas possible d'exciper de l'illégalité d'une décision non réglementaire devenue définitive ;

- les moyens invoqués par les requérants ne sont pas fondés ;

En application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, par une ordonnance du 4 décembre 2013, la clôture de l'instruction a été reportée au 9 janvier 2014 ;

Vu le mémoire, enregistré le 7 janvier 2014, présenté pour la SCI des Barmettes
et M.F..., tendant aux mêmes fins que précédemment, le montant de la somme réclamée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative étant réduit à 3 000 euros ;

Les requérants soutiennent, en outre, que leur requête est suffisamment motivée ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 septembre 2014 :
- le rapport de M. Chenevey, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;

- les observations de MeH..., représentant la SCP Denarie-Buttin-Bern, avocat de la SCI des Barmettes et de M.F..., celles de MeO..., représentant la SELARL Adamas affaires publiques, avocat de la commune de Val d'Isère, et celles de MeA..., représentant le CDMF Avocats affaires publiques, avocat des consortsP... ;

1. Considérant que, par un jugement du 14 mai 2013, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de la SCI des Barmettes et de M. F...tendant à l'annulation de la décision du 23 décembre 2010 par laquelle le maire de la commune de Val-d'Isère a tacitement délivré un permis de construire aux consorts P...et de la décision implicite de rejet du recours gracieux dirigé contre ce permis tacite ; que la SCI des Barmettes et
M. F...relèvent appel de ce jugement ;

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 424-1 du code de l'urbanisme : " A défaut de notification d'une décision expresse dans le délai d'instruction (...), le silence gardé par l'autorité compétente vaut, selon les cas : / (...) b) Permis de construire (...). " ; qu'aux termes des dispositions alors applicables de l'article R. 424-3 du même code : " Par exception au b de l'article R. 424-1, le défaut de notification d'une décision expresse dans le délai d'instruction vaut décision implicite de rejet lorsque la décision est soumise à l'accord de l'architecte des Bâtiments de France et que celui-ci a notifié, dans le délai mentionné à l'article R. 423-67, un avis défavorable ou un avis favorable assorti de prescriptions. " ; qu'aux termes des dispositions alors applicables de l'article
R. 423-67 du même code : " Par exception aux dispositions de l'article R. 423-59, le délai à l'issue duquel l'architecte des Bâtiments de France est réputé avoir émis un avis favorable est de : / (...) d) Quatre mois lorsque la demande de permis de construire ou d'aménager porte sur un projet situé dans le périmètre de protection des immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques, dans un secteur sauvegardé dont le plan de sauvegarde et de mise en valeur n'est pas approuvé. " ;

3. Considérant qu'il est constant que le projet litigieux, qui est situé dans le périmètre de protection de deux monuments historiques, devait être soumis pour avis à l'architecte des Bâtiments de France ; que, par suite, conformément aux dispositions précitées du d) de l'article R. 423-67 du code de l'urbanisme, le délai à l'issue duquel l'architecte des Bâtiments de France est réputé avoir émis un avis favorable est de quatre mois, la circonstance, invoquée en défense par la commune de Val-d'Isère, selon laquelle aucune partie de son territoire n'est couverte par un secteur sauvegardé étant sans aucune incidence, ces dispositions imposant un tel délai dès lors que le projet est implanté dans le périmètre de protection d'un monument historique, même si ce dernier n'est pas situé dans un secteur sauvegardé ; qu'en conséquence, le dossier de la demande de permis de construire ayant été reçu le 11 mai 2010 par l'architecte des Bâtiments de France, celui-ci doit être regardé comme ayant émis un avis favorable le 11 septembre 2010 ; que la circonstance que,
le 16 septembre 2010, l'architecte des Bâtiments de France a rendu un avis explicite favorable assorti de prescriptions est sans aucune incidence, dès lors que cet avis n'a pas été notifié dans le délai prescrit ; qu'ainsi, dès lors qu'il est constant qu'à la suite des compléments apportés au dossier de la demande de permis, le délai d'instruction, fixé en l'espèce à six mois, a commencé à courir à compter du 23 juin 2010, un permis de construire tacite est né
le 23 décembre 2010 ; que les requérants ne sont donc pas fondés à soutenir que les consorts P...ne bénéficient d'aucun permis tacite ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme : " Les demandes de permis de construire (...) sont adressées par pli recommandé avec demande d'avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés : / a) Soit par le ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux ; / b) Soit, en cas d'indivision, par un ou plusieurs co-indivisaires ou leur mandataire ; / (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'autorité administrative saisie d'une demande d'autorisation d'occupation du sol n'a pas à vérifier le titre donnant au pétitionnaire qualité pour la déposer ; qu'il appartient seulement au pétitionnaire, qui n'a pas à produire de documents justificatifs, d'attester lui-même avoir qualité pour présenter la demande sur l'ensemble des parcelles constituant le terrain d'assiette du projet ;


5. Considérant que la demande de permis de construire a été présentée par
M. M...P..., représentant les consortsP..., lesquels sont propriétaires en indivision du terrain d'assiette du projet ; qu'ainsi, conformément aux dispositions précitées de l'article R. 423-1 b) du code de l'urbanisme, le maire était fondé à estimer que
M. M...P..., qui a attesté avoir qualité pour présenter la demande en signant l'imprimé de celle-ci, était régulièrement habilité à ce faire ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme : " Le projet architectural comprend une notice précisant : / 1° L'état initial du terrain et de ses abords indiquant, s'il y a lieu, les constructions, la végétation et les éléments paysagers existants ; / 2° Les partis retenus pour assurer l'insertion du projet dans son environnement et la prise en compte des paysages, faisant apparaître, en fonction des caractéristiques du projet : / a) L'aménagement du terrain, en indiquant ce qui est modifié ou supprimé ; / b) L'implantation, l'organisation, la composition et le volume des constructions nouvelles, notamment par rapport aux constructions ou paysages avoisinants ; / c) Le traitement des constructions, clôtures, végétations ou aménagements situés en limite de terrain ; / d) Les matériaux et les couleurs des constructions ; / e) Le traitement des espaces libres, notamment les plantations à conserver ou à créer ; / f) L'organisation et l'aménagement des accès au terrain, aux constructions et aux aires de stationnement. " ;

7. Considérant que la demande de permis de construire comporte une notice qui, notamment, décrit le terrain d'assiette et ses abords, les accès, les modifications qui seront apportées à ce terrain, les caractéristiques principales des constructions avoisinantes et celles de la construction projetée ; que cette notice, le cas échéant complétée par les autres pièces contenues dans cette demande, était suffisante pour permettre au service instructeur d'apprécier l'insertion du projet dans son environnement ; qu'ainsi, la SCI des Barmettes et M. F...ne sont pas fondés à soutenir que l'article R. 431-8 précité du code de l'urbanisme a été méconnu ;

8. Considérant, en quatrième lieu, qu'un permis de construire n'a pas d'autre objet que d'autoriser des constructions conformes aux plans et indications fournis par le pétitionnaire ; que la circonstance que ces plans et indications pourraient ne pas être respectés ou que ces constructions risqueraient d'être ultérieurement transformées ou affectées à un usage non-conforme aux documents et aux règles générales d'urbanisme n'est pas par
elle-même, sauf le cas d'éléments établissant l'existence d'une fraude à la date de la délivrance du permis, de nature à affecter la légalité de celui-ci ; que la survenance d'une telle situation après la délivrance du permis peut conduire le juge pénal à faire application des dispositions répressives de l'article L. 480-4 du code de l'urbanisme ; qu'en revanche, elle est dépourvue d'incidence sur la légalité du permis de construire, sans qu'il soit besoin pour le juge administratif de rechercher l'existence d'une fraude ;

9. Considérant que l'article UE 1 du règlement du plan d'occupation des sols de la commune de Val-d'Isère prévoit la possibilité de réaliser des logements de fonction dépendant des activités autorisées dans la zone artisanale UE, dans la limite de 50 % des surfaces destinées à ces activités ; qu'il ressort des pièces du dossier que le projet litigieux, classé dans cette zone, est constitué d'un chalet renfermant quatre logements de fonction posé sur un niveau de rez-de-chaussée destiné à accueillir une activité artisanale ; qu'il n'est pas contesté que ces logements respectent ladite limite de surface de 50 % ; que le règlement du plan d'occupation des sols n'impose pas que les logements de fonction soient nécessaires à l'activité, mais seulement qu'ils dépendent de celle-ci ; que la circonstance invoquée par les requérants, selon laquelle les logements de fonction autorisés par le permis litigieux seraient luxueux, est sans incidence particulière ; que la " Note sur l'activité " produite à l'appui de la demande de permis précise que : " L'activité artisanale de l'entreprise s'exerce dans les travaux de couverture, plomberie et étanchéité. Elle s'est spécialisée dans la couverture de toiture en pierre (lauzes) (...). L'entreprise emploie six personnes, voire plus pendant la saison d'été. Le besoin en stockage de pierres de l'entreprise est d'environ 200 tonnes par an. (...) L'entreprise, outre son activité de couverture, développe actuellement des réalisations en pierres décoratives adaptées pour l'intérieur et l'extérieur. Cet atelier de sculpture nécessite de l'espace pour la taille " ; qu'aucun élément susceptible de faire douter de la réalité d'une telle activité n'est produit par les requérants ; qu'il ne ressort pas des éléments contenus dans la demande de permis de construire qu'une activité artisanale ne serait effectivement pas envisagée au rez-de-chaussée de la construction projetée ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le projet des consorts P...constitue en réalité un montage destiné à permettre la réalisation de quatre appartements de standing dans ladite zone artisanale, en l'absence de toute activité réelle, ne peut être accueilli ;

10. Considérant, en cinquième lieu, que l'article UE 1 du règlement du plan d'occupation des sols de la commune de Val-d'Isère impose la signature d'une convention entre le pétitionnaire et la commune afin de garantir la destination des logements de fonction dépendant des activités autorisées en zone UE ; que, toutefois, les articles R. 431-7 et suivants du code de l'urbanisme énumèrent de façon limitative les documents qui doivent être joints à une demande de permis de construire ; que les auteurs d'un document d'urbanisme ne peuvent légalement insérer dans le règlement de celui-ci une disposition prescrivant la production, par le pétitionnaire, de pièces supplémentaires ; qu'en conséquence, les requérants ne peuvent utilement soutenir que la convention qui a été signée le 18 novembre 2010 entre M. M...P...et la commune de Val-d'Isère, en application desdites dispositions de l'article UE 1, serait entachée d'illégalité ;

11. Considérant, en sixième et dernier lieu, que la SCI des Barmettes et M. F...soutiennent que le projet est exposé aux risques naturels, dès lors que la voie d'accès et divers ouvrages sont implantés en zone rouge du plan des zones exposées aux avalanches ; que, toutefois, ce moyen est dénué des précisions qui permettraient d'en apprécier
le bien-fondé ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la commune de Val-d'Isère, la SCI des Barmettes et M. F...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande d'annulation de la décision du 23 décembre 2010 par laquelle le maire de cette commune a tacitement délivré un permis de construire aux consorts P...et de la décision implicite de rejet de leur recours gracieux ;

13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Val-d'Isère, qui n'est pas, dans la présente instance, partie perdante, soit condamnée à payer à la SCI des Barmettes
et M. F...la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SCI des Barmettes et de M. F...le versement d'une somme de 1 500 euros au bénéfice, d'une part, de cette commune, d'autre part, des consortsP... ;

DECIDE :
Article 1er : La requête de la SCI des Barmettes et de M. F...est rejetée.
Article 2 : La SCI des Barmettes et M. F...verseront en premier lieu une somme
de 1 500 euros à la commune de Val-d'Isère et en deuxième lieu cette même somme aux consortsP..., sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à La SCI des Barmettes, à M. N...F..., à la commune de Val d'Isère, à Mme J...P..., à Mme B...P..., à M. G... P..., à M. M...P..., à M. D...I..., à Mme K...I...épouse D...C...et à Mme L...I...épouseE....
Délibéré à l'issue de l'audience du 9 septembre 2014, à laquelle siégeaient :
M. Riquin, président de chambre,
M. Picard, président-assesseur,
M. Chenevey, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 30 septembre 2014.
''
''
''
''
2
N° 13LY01835
vv



Retourner en haut de la page