CAA de NANTES, 5ème chambre, 26/09/2014, 12NT02631, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 17 septembre 2012, présentée pour la société civile d'exploitation agricole de Ker Anna, dont le siège est Ker Anna à Trebrivan (22340), par Me Lahalle, avocat, qui demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1002628 du 13 juillet 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé, à la demande de l'association " Sous le vent les pieds sur terre " et autres, l'arrêté du 14 avril 2010 par lequel le préfet des Côtes d'Armor a autorisé la SCEA de Ker Anna à exploiter un élevage porcin de 1 134 animaux (3 210 places animaux-équivalents) à Trébrivan ;

2°) de rejeter la demande de l'association " Sous le vent les pieds sur terre " et autres ;

3°) de mettre à leur charge le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- le jugement est irrégulier du fait d'une méconnaissance de l'article R. 711-3 du code de justice administrative ; les parties n'ont été avisées du sens des conclusions que la veille de l'audience à 12 h 00 ; le sens des conclusions indiquées était imprécis et incomplet, sans indication du ou des moyens d'annulation ;

- la demande de première instance était irrecevable ; la version de ses statuts communiqués par l'association n'est pas la bonne ; elle est sans intérêt à agir ; les personnes physiques requérantes ne justifient pas davantage d'un intérêt à agir ;

- l'étude d'impact n'est affectée d'aucune insuffisance ; elle décrit les caractéristiques du
réseau hydrographique et de la qualité de l'eau ; s'agissant des bassins versants de l'Aulne et du Blavet, l'absence d'information complémentaire résulte essentiellement de l'absence de données disponibles, de la faible superficie du plan d'épandage concerné et de l'absence d'alerte connue sur la qualité de l'eau ;

- l'annexe 3a de l'étude d'impact détaille chacun des ilôts d'épandage en indiquant systématiquement la présence de rus, de zones humides ou de puits ;

- aucune règle n'imposait la réalisation d'une étude agropédologique ; l'étude d'impact comportait l'ensemble des éléments permettant d'apprécier les caractéristiques des parcelles concernées et donc leur aptitude à l'épandage ; une étude agropédologique n'aurait rien apporté de plus ; un bilan agronomique a été établi pour chaque îlot d'épandage ;

- la fertilisation en termes de phosphore sera équilibrée ;

- l'apport de phosphore n'est susceptible d'avoir aucune incidence ; une étude d'impact ne peut rendre compte que des effets prévisibles d'un projet ;

- il est inexact d'estimer que l'étude d'impact n'a pas permis de mesurer l'impact de l'installation projetée sur la qualité de l'eau, alors que l'épandage est opéré sur une grande dispersion parcellaire ;

- à supposer même que certaines informations ne soient pas expressément présentes, une telle carence n'est susceptible d'entraîner l'irrégularité de l'intégralité de l'étude d'impact qu'à la seule condition qu'elle concerne une information manifestement substantielle ; tel n'est pas le cas en l'espèce ;

- l'étude d'incidence Natura 2000 n'est pas insuffisante ; le projet n'est pas de nature à affecter de manière significative ou notable un site Natura 2000 ; une étude d'incidence n'était, par suite, pas requise ; une lecture combinée de l'étude figurant en annexe 5 à l'étude d'impact et de cette dernière révèle l'absence de tout impact sur une zone Natura 2000 ; l'absence d'incidence sur la qualité de l'air et de l'eau implique nécessairement l'absence de toute incidence sur la biodiversité et donc l'absence de tout impact sur la zone Natura 2000 considérée ;

- l'article R. 414-22 du code de l'environnement prévoit que l'étude d'impact en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement tient lieu d'évaluation des incidences Natura 2000 ; l'étude d'impact contenait à cet égard l'ensemble des informations nécessaires ;

- l'avis du préfet de région n'était pas requis ;

- l'avis du conseil municipal de Locarn a été régulièrement requis ;

- la consultation de la commission locale de l'eau n'était pas requise ;

- l'arrêté d'organisation de l'enquête publique est régulier ;

- l'étude d'impact n'est entachée d'aucune omission ou carence ; une étude complète de chaque parcelle a été réalisée afin de délimiter les surfaces susceptibles de recevoir des effluents ; elle ne sous-estime pas les effets du projet sur l'environnement ;

- les pétitionnaires se sont basées sur les études scientifiques et officielles disponibles et
le projet respecte la circulaire du 19 août 2004 ;

- les chiffres fournis par les requérants quant au calcul de l'azote épandable réalisé dans l'étude d'impact sont erronés ;

- l'étude d'impact examine l'impact routier du projet et n'est pas affectée d'une insuffisance d'évaluation des émanations gazeuses ;

- le projet est régulièrement justifié dans l'étude d'impact ;

- les mesures de réduction d'impact sont suffisantes et précises ; les précisions fournies quant aux modalités de mise en oeuvre du plan d'épandage sont suffisantes ;

- les capacités techniques et financières de la SCEA de Ker Anna sont justifiées et appropriées au projet autorisé ;

- le SDAGE Loire-Bretagne le 18 novembre 2009 n'est pas méconnu et l'arrêté du 7 février 2005 pas davantage, notamment son article 18 relatif à la règle de l'équilibre de la fertilisation phosphorée ;

- le projet est compatible avec cet objectif ; le plan d'épandage présente un équilibre absolu sur le plan de l'azote ;

- le quatrième programme d'action directive nitrates n'est pas méconnu ; le moyen tiré de la violation de l'article 5.9.1. de ce programme est inopérant ;

- les intérêts protégés par les articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement ne sont pas davantage méconnus ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2013, présenté pour l'association " Sous le vent, les pieds sur terre ", Mme H..., M. F..., M. I..., M. et Mme J..., Mme J..., Mme M... et M. D..., par Me Le Derf-Daniel, avocat, qui concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la SCEA de Ker Anna le versement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

ils font valoir que :

- le jugement n'est entaché d'aucune irrégularité et l'article R. 711-3 du code de justice administrative n'a pas été méconnu ;

- l'association justifie d'un intérêt pour agir, au vu de ses statuts modifiés le 10 août 2009 ; il en va de même des personnes physiques requérantes en première instance ;

- le contenu de l'étude d'impact n'est pas en adéquation avec les incidences prévisibles du projet sur l'environnement ; il n'est adapté ni à l'importance de l'installation, ni à celle du plan d'épandage, ni à la sensibilité écologique du secteur d'implantation et des secteurs d'épandage ;

- la description de l'état initial du site est incomplète ; aucune étude agro-pédologique permettant d'adapter les épandages aux caractéristiques des sols n'a été réalisée et les eaux souterraines n'ont pas été étudiées ; aucune analyse de sol n'est fournie dans le dossier soumis à enquête publique ; le SAGE approuvé du bassin versant du Blavet est ignoré et il en va de même du SDAGE Loire-Bretagne approuvé le 18 novembre 2009 ;

- l'étude d'impact se caractérise par une absence de données hydrographiques et relatives à la qualité de l'eau ; l'argument tiré de l'absence de données disponibles quant aux bassins versants de l'Aulne et du Blavet est inexact ;

- l'étude d'impact omet d'apprécier les risques liés aux apports excédentaires de phosphore ; l'article 18 de l'arrêté du 7 février 2005 est méconnu ; l'absence d'analyse des sols ne permet pas de définir l'état initial des surfaces d'épandage avant projet et de vérifier que les épandages projetés n'aggraveront pas l'actuelle pollution des eaux du site ; en outre, les apports d'azote épandable sont sous-estimés ; l'étude d'impact passe sous silence les phénomènes de volatilisation de l'azote et d'abattement de l'ammoniac et leurs effets sur l'environnement ;

- les raisons du choix du projet ne sont pas exposées ; aucun argument n'est développé quant au choix de l'épandage comme mode d'élimination des lisiers, alors qu'il existe d'autres possibilités ; il en résulte une méconnaissance des articles R. 512-8 et R. 414-21 du code de l'environnement ;

- les mesures de réduction d'impact sont imprécises ; aucun calendrier d'épandage n'est présenté ; le dispositif de lavage d'air n'est pas décrit dans l'étude d'impact ;

- les incidences du plan d'épandage sur les sites Natura 2000 n'ont pas été examinées de façon complète et appropriée ; l'étude présentée ne répond pas aux exigences de l'article R. 414-21 du code de l'environnement ; la question des effets des émissions d'ammoniac, tant sur la qualité de l'eau que celle de l'air, a été passée sous silence ;

- le dossier ne comporte pas non plus les mesures de nature à supprimer ou réduire les effets dommageables, ainsi que l'estimation des dépenses correspondantes ;

- l'arrêté organisant l'enquête publique est irrégulier et les mentions portées dans les avis d'enquête sont lacunaires ; les articles R. 1236-6 et suivants et R. 512-14 et suivants du code de l'environnement ont, dès lors, été méconnus ;

- les capacités techniques et financières de la SCEA de Ker Anna sont insuffisantes et il n'en est pas justifié ; dès lors, l'article R. 512-3 du code de l'environnement a été méconnu ; l'autorisation a, par suite, été délivrée en méconnaissance de l'article L. 512-1 du code de l'environnement ;

- le dossier dissimule que le gérant de fait de la SCEA est en réalité le groupe Sofiproteol ; il est allégué que la SARL de Ker Loann n'est pas au nombre des associés de la SCEA, alors qu'un extrait K bis prouve le contraire ; les quatre autres associés ne seront manifestement pas présents sur le site ; le projet n'est économiquement pas viable ;

- l'arrêté en litige méconnaît le SDAGE Loire-Bretagne et l'arrêté du 7 février 2005 et ce, en raison du non respect de l'exigence de l'équilibre de la fertilisation phosphorée, laquelle est imposée tant par l'article 18 de cet arrêté que par l'article 3 B-2 du SDAGE ; l'arrêté en litige autorise l'épandage de phosphore en quantité très supérieure aux capacités exportatrices des cultures pratiquées sur les terres d'épandage ; le dossier prévoit en effet que les apports en phosphore sont excédentaires sur la totalité du plan d'épandage ; la décision en litige est une décision administrative dans le domaine de l'eau ; l'épandage d'effluents azotés relève en effet de la loi sur l'eau ;

- cet arrêté méconnaît également le quatrième programme d'action directive nitrates, résultant d'un arrêté du préfet des Côtes d'Armor du 29 juillet 2009 ; l'article 4.1 de cet arrêté impose également la règle d'équilibre de la fertilisation phosphorée ;

- il est porté atteinte aux intérêts protégés par les articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement ; l'importance et l'éclatement du plan d'épandage sont incompatibles avec la qualité de l'eau ;

Vu l'ordonnance du 27 mars 2013 fixant la clôture de l'instruction au 26 avril 2013 ;

Vu l'ordonnance du 10 avril 2013 reportant la clôture de l'instruction au 27 mai 2013 ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 24 mai 2013, présenté pour la SCEA de Ker Anna, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ;

Vu les observations, enregistrées le 27 mai 2013, présentées par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ;

Vu l'ordonnance du 27 mai 2013 décidant la réouverture de l'instruction ;

Vu le mémoire, enregistré le 2 août 2013, présenté pour l'association " Sous le vent, les pieds sur terre ", qui conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures, par les mêmes moyens ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 26 août 2014, présenté pour la SCEA de Ker Anna, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ;

elle soutient, en outre, que :

- une étude hydrogéologique n'était pas indispensable ;

- l'arrêté du 27 décembre 2013 a abrogé celui du 7 février 2005 ;

- les nuisances alléguées ne sont pas avérées ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 2 septembre 2014, présenté pour l'association " Sous le vent, les pieds sur terre " et autres, qui concluent aux mêmes fins que leurs précédentes écritures, par les mêmes moyens ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 septembre 2014 :

- le rapport de M. Durup de Baleine, premier conseiller ;

- les conclusions de Mme Grenier, rapporteur public ;

- les observations de Me Lahalle, avocat de la SCEA de Ker Anna ;

- et les observations de Me Le Derf-Daniel, avocat de l'association " Sous le vent les pieds sur terre " et autres ;



1. Considérant que, par un arrêté du 14 avril 2010, le préfet des Côtes d'Armor a autorisé la société civile d'exploitation agricole (SCEA) de Ker Anna à exploiter au lieudit Ker Anna, sur le territoire de la commune de Trébrivan, un élevage porcin de 3 210 places " animaux équivalents ", comprenant un atelier de naissage collectif de 1 038 places de reproducteurs et 96 places de quarantaine ; que l'exploitation ainsi autorisée comporte un plan d'épandage du lisier produit par l'élevage ; que ce plan d'épandage couvre une surface agricole utile de 402 ha et 82 a, dont 302 ha et 13 a de surface potentielle d'épandage, et se trouve divisé en plusieurs îlots, situés sur les territoires des communes de Trébrivan, Locarn, Maël-Carhaix, Paule et Glomel ; que la SCEA de Ker Anna relève appel du jugement du 13 juillet 2012 par lequel, saisi de la demande présentée par l'association " Sous le vent, les pieds sur terre " ainsi que plusieurs personnes physiques, le tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que l'article L. 5 du code de justice administrative prévoit que " l'instruction des affaires est contradictoire " ; qu'aux termes de l'article L. 7 du même code : " Un membre de la juridiction, chargé des fonctions de rapporteur public, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent " ; que les règles applicables à l'établissement du rôle, aux avis d'audience et à la communication du sens des conclusions du rapporteur public sont fixées, pour ce qui concerne les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, par les articles R. 711-1 à R. 711-3 du code de justice administrative ; que l'article R. 711-2 indique que l'avis d'audience mentionne les modalités selon lesquelles les parties ou leurs mandataires peuvent prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public ; que le premier alinéa de l'article R. 711-3 du même code dispose que " si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne " ;

3. Considérant que la communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré ; qu'en conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public ; qu'en outre, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et de mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il se propose d'accueillir ; que la communication de ces informations n'est toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision ;

4. Considérant que, préalablement à l'audience devant le tribunal administratif de Rennes, le rapporteur public a coché dans l'application " sagace " la case " annulation totale ou partielle " ; qu'il a ainsi mis les parties ou leurs mandataires en mesure de connaître le sens de ses conclusions et d'apprécier, par suite, l'opportunité d'assister à l'audience publique ainsi que de préparer, le cas échéant, des observations orales et d'envisager la production après cette audience d'une note en délibéré ; que si le rapporteur public n'a pas, en outre, indiqué avant l'audience le ou les moyens d'annulation qu'il se proposait d'accueillir, ce qui, selon les requérants, aurait permis aux parties ou à leurs mandataires d'apprécier s'il concluait à une annulation totale ou partielle de la décision contestée, le défaut de communication de ces informations n'est pas de nature à entacher d'irrégularité le jugement contesté ; qu'en outre, l'application " sagace " a été renseignée le 14 juin 2012 à 12 h 00, dans un délai raisonnable avant l'audience, qui s'est tenue le 15 juin 2012 à 9 h 00, sans que la requérante puisse à cet égard utilement se prévaloir des mentions purement indicatives de l'avis d'audience selon lesquelles cette application sera renseignée dans un délai de l'ordre de deux jours avant l'audience ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 711-3 du code de justice administrative doit être écarté ;

Sur les fins de non recevoir opposées à la demande :

5. Considérant qu'aux termes des dispositions du I de l'article L. 514-6 du code de l'environnement, dans leur rédaction alors en vigueur : " I. - Les décisions prises en application des articles L. 512-1, L. 512-3, L. 512-7-3 à L. 512-7-5, L. 512-8, L. 512-12, L. 512-13, L. 512-20, L. 513-1 à L. 514-2, L. 514-4, L. 515-13 I et L. 516-1 sont soumises à un contentieux de pleine juridiction. Elles peuvent être déférées à la juridiction administrative : / 1° Par les demandeurs ou exploitants, dans un délai de deux mois qui commence à courir du jour où lesdits actes leur ont été notifiés ; / 2° Par les tiers, personnes physiques ou morales, les communes intéressées ou leurs groupements, en raison des inconvénients ou des dangers que le fonctionnement de l'installation présente pour les intérêts visés à l'article L. 511-1, dans un délai de quatre ans à compter de la publication ou de l'affichage desdits actes, ce délai étant, le cas échéant, prolongé jusqu'à la fin d'une période de deux années suivant la mise en activité de l'installation. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique " ; qu'en application de ces dispositions, il appartient au juge administratif d'apprécier si les tiers personnes physiques qui contestent une décision prise au titre de la police des installations classées justifient d'un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour en demander l'annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour eux l'installation en cause, appréciés notamment en fonction de la situation des intéressés et de la configuration des lieux ;

6. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que Mme M... et M. D... résident dans une maison d'habitation située à Trébrivan, à 350 mètres environ au sud de l'exploitation autorisée par l'arrêté annulé par les premiers juges ; que M. et Mme J... possèdent, pour leur part, une maison d'habitation, assortie d'un jardin de plus d'un hectare, environ à 400 mètres du lieudit Ker Anna ; que ces maisons sont implantées dans une zone rurale, où elles ne sont séparées du site de cette exploitation par aucun obstacle, naturel ou artificiel, particulier ; que le fonctionnement de cette installation classée est susceptible de présenter des inconvénients pour la commodité de ces quatre personnes physiques, notamment du fait de nuisances olfactives ; qu'en outre, une telle installation présente, en raison de son importance et de sa nature ainsi qu'eu égard au plan d'épandage dont elle est assortie, des risques pour la salubrité publique comme pour la protection de la nature et de l'environnement ; qu'ainsi, ces personnes justifiaient d'un intérêt leur donnant qualité à agir contre l'arrêté du 14 avril 2010 ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande de première instance en tant que présentée par d'autres personnes physiques, la fin de non recevoir opposée par la SCEA de Ker Anna et tirée du défaut d'intérêt à agir de telles personnes doit être écartée ;

7. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des statuts de l'association " Sous le vent, les pieds sur terre ", dont le siège se situe à Trébrivan et dans leur rédaction à la date d'enregistrement de la demande présentée aux premiers juges, qu'elle a pour objet " la défense de l'environnement (l'eau, l'air, les sols), la préservation, la valorisation du cadre de vie et du patrimoine sur le canton de Maël-Carhaix (Centre Ouest Bretagne) - En participant d'une manière active : / - à la lutte contre les pollutions de toutes origines pour protéger la biodiversité et sauvegarder la faune, la flore ainsi que les zones humides. / - à la préservation du bocage, des talus, des chemins creux et du patrimoine architectural (chapelles, fontaines, habitats,...). / Elle se donne comme moyens d'actions toutes les possibilités autorisées par la loi et, notamment, d'agir en justice pour l'application des lois et règlements en matière de protection de l'environnement " ; que le fonctionnement de l'installation autorisée par l'arrêté du 14 avril 2010 est susceptible de porter atteinte, eu égard à la nature et à l'importance de l'activité, ainsi qu'à l'étendue et à la dispersion géographique du plan d'épandage, à la préservation de l'environnement, notamment la qualité de l'eau et les caractéristiques des sols, dans plusieurs communes du canton de Maël-Carhaix, dont Trébrivan et Maël-Carhaix et, par suite, de porter atteinte à l'intérêt collectif dont, par ses statuts, cette association s'est donnée pour mission la défense ; qu'il en résulte que la fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de cette association doit être écartée ;

Sur la légalité de l'arrêté du 14 avril 2010 :

8. Considérant que l'article R. 512-6 du code de l'environnement, dans sa rédaction alors applicable, prévoit que la demande d'autorisation de mise en service d'une installation classée doit être accompagnée de l'étude d'impact prévue à l'article L. 122-1 du même code et dont le contenu, par dérogation aux dispositions de l'article R. 122-3, est défini par les dispositions de l'article R. 512-8 de ce code ; qu'aux termes de ce dernier, dans sa rédaction applicable à la demande présentée le 22 décembre 2008 par la SCEA de Ker Anna : " I. - Le contenu de l'étude d'impact mentionnée à l'article R. 512-6 doit être en relation avec l'importance de l'installation projetée et avec ses incidences prévisibles sur l'environnement, au regard des intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1. / II. - Elle présente successivement : / 1° Une analyse de l'état initial du site et de son environnement, portant notamment sur les richesses naturelles et les espaces naturels agricoles, forestiers, maritimes ou de loisirs, ainsi que sur les biens matériels et le patrimoine culturel susceptibles d'être affectés par le projet ; / 2° Une analyse des effets directs et indirects, temporaires et permanents de l'installation sur l'environnement et, en particulier, sur les sites et paysages, la faune et la flore, les milieux naturels et les équilibres biologiques, sur la commodité du voisinage (bruits, vibrations, odeurs, émissions lumineuses) ou sur l'agriculture, l'hygiène, la santé, la salubrité et la sécurité publiques, sur la protection des biens matériels et du patrimoine culturel. Cette analyse précise notamment, en tant que de besoin, l'origine, la nature et la gravité des pollutions de l'air, de l'eau et des sols, le volume et le caractère polluant des déchets, le niveau acoustique des appareils qui seront employés ainsi que les vibrations qu'ils peuvent provoquer, le mode et les conditions d'approvisionnement en eau et d'utilisation de l'eau ; / (...) " ; que les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative ;

9. Considérant, en premier lieu, qu'au titre de l'analyse de l'état initial du site et de son environnement, l'étude d'impact présentée par la SCEA de Ker Anna, si elle précise que les parcelles du plan d'épandage sont réparties sur les bassins de l'Hyères, le bassin de l'Aulne et le bassin du Blavet, se borne à une présentation très succincte du bassin versant de l'Hyères, sans présenter les réseaux hydrographiques des bassins de l'Aulne et du Blavet, alors que 60 % de la superficie du plan d'épandage est localisée dans ces deux bassins versants ; que l'étude d'impact ne renferme, ni n'est assortie en annexe d'aucune étude hydrogéologique et ne se réfère à aucune étude de cette nature et, ainsi, ne comporte aucune indication quant aux eaux souterraines ; qu'alors que l'épandage des lisiers sur plusieurs centaines d'hectares de terres agricoles repartis dans plusieurs " îlots " éloignés les uns des autres est susceptible d'avoir des effets sur la qualité des eaux, tant superficielles que souterraines, l'étude d'impact se borne à faire état de la qualité de l'eau, mentionnée comme restant mauvaise au regard de la présence de nitrates, dans le bassin de l'Hyères, qui est un affluent de l'Aulne, sans fournir aucune information sur la qualité des eaux dans les deux autres bassins ; que les mentions des planches photographiques insérées dans l'annexe 3a, plan d'épandage, ne sont pas de nature à pallier ces diverses insuffisances ; qu'en outre, la SCEA de Ker Anna n'établit pas l'absence de données disponibles concernant les bassins de l'Aulnes et du Blavet, alors que les intimés font état, au contraire, de l'existence et de la disponibilité de telles informations ; qu'il en résulte que l'étude d'impact méconnaît les exigences du 1° du II de l'article R. 512-8 du code de l'environnement ;

10. Considérant, en deuxième lieu, que, s'agissant des effets de l'épandage des lisiers sur la qualité des eaux, tant superficielles que souterraines, l'étude d'impact se borne à énoncer que " si la maîtrise de l'épandage était mal maîtrisée, il s'en suivrait des conséquences négatives (...) à long terme en ce qui concerne la qualité des sols et la qualité de l'eau " et que " un excès d'éléments fertilisants au sol contribuerait à élever les teneurs en nitrates des cours d'eau " ; qu'à cet égard, les énonciations du point 4.6 de l'étude constituent, non une analyse des effets directs et indirects de l'épandage du lisier, dont est prévu l'enfouissement, sur les ressources en eaux, mais un exposé des mesures envisagées pour supprimer, limiter et, si possible, compenser les effets qu'un tel épandage peut avoir sur ces eaux ; qu'en outre et en ce qui concerne la description des sols et sous-sols, le point 1.3.3 de l'étude d'impact se borne à une référence très générale à une carte géologique, non jointe, du Bureau de recherches géologiques et minières ainsi qu'à quelques très brèves indications sur la géologie des sols ; qu'ainsi que l'a relevé le commissaire enquêteur, aucune étude agro-pédologique n'a été réalisée permettant de disposer de données précises et complètes sur la nature des sols et sous-sols des divers secteurs retenus pour constituer le plan d'épandage, l'étude d'impact ne comportant aucune référence à une étude de cette nature ; que, contrairement à ce que soutient la SCEA de Ker Anna et dès lors que la détermination de l'aptitude d'un terrain à l'épandage comme les effets de l'épandage sur les eaux dépendent, notamment, de la profondeur et de la texture du sol et du sous-sol, une telle étude était nécessaire pour répondre, en l'espèce et à l'effet d'apprécier l'aptitude des parcelles à l'épandage, aux exigences du 2° du II de l'article R. 512-8 du code de l'environnement ; que si l'arrêté du 14 avril 2010 fait état de ce qu'ont été présentés de " nouveaux bilans agronomiques (organique + minéral) ", cette circonstance est toutefois postérieure à la tenue de l'enquête publique, du 9 février au 11 mars 2009 ; qu'ainsi, et comme l'ont exactement apprécié les premiers juges, cette étude n'a pas permis de mesurer l'impact de l'installation projetée sur la qualité des eaux, en particulier d'évaluer de manière fiable les risques de migration des effluents vers les eaux de surface et les eaux souterraines, alors que l'épandage affecte une zone très étendue et discontinue ; que, dès lors, ces exigences ont été méconnues ;

11. Considérant, en troisième lieu, que les omissions ou insuffisances de l'étude d'impact présentée par la SCEA de Ker Anna à l'appui de sa demande d'autorisation ont, en l'espèce, été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative ; qu'elles ont également pu avoir pour effet, à l'occasion de l'enquête publique, de nuire à l'information complète de la population ; que, dès lors, viciant la procédure à l'issue de laquelle a été pris l'arrêté en litige, elles en entraînaient l'illégalité ;

12. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la SCEA de Ker Anna n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du préfet des Côtes d'Armor du 14 avril 2010 ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'association " Sous le vent, les pieds sur terre " et autres le versement de la somme que la SCEA de Ker Anna demande à ce titre ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu au même titre de mettre à la charge de cette société le versement de la somme de 2 000 euros ;



DÉCIDE :


Article 1er : La requête de la société civile d'exploitation agricole de Ker Anna est rejetée.
Article 2 : La société civile d'exploitation agricole de Ker Anna versera à l'association " Sous le vent, les pieds sur terre " et autres la somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile d'exploitation agricole de Ker Anna, à l'association " Sous le vent, les pieds sur terre ", à Mme E...H..., à M. C... F..., à M. G... I..., à M. et Mme B... et Michèle Le Gall, à Mme L... J..., à Mme K... M..., à M. A... D... et au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

Délibéré après l'audience du 9 septembre 2014, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- M. Durup de Baleine, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 26 septembre 2014.

Le rapporteur,
A. DURUP de BALEINE Le président,





H. LENOIR
Le greffier,





F. PERSEHAYE


La République mande et ordonne au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 12NT02631 2
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