CAA de PARIS, 3 ème chambre , 25/09/2014, 13PA04166, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 15 novembre 2013, présentée pour le département de Paris, représenté par le président du conseil général, dont le siège est Hôtel du département, 4 rue Lobau à Paris (75196), par Me E... ; le département de Paris demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1210581/6-1 et 1214964/6-1 du 13 septembre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé les deux décisions en date des 1er juin et 1er août 2012 par lesquelles le président du conseil général de Paris a refusé de prendre en charge au titre d'un accueil jeune majeur, Mlle C...B..., au lieu de vie Logis de Berri ;

2°) de rejeter les conclusions présentées en première instance par M. et MmeB... ;

3°) de mettre à la charge de M. et Mme B...une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens ;

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- le Tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit en ne relevant pas d'office l'irrecevabilité de la requête pour défaut d'intérêt à agir ;
- le tribunal a insuffisamment motivé sa décision et commis une erreur de droit à défaut d'avoir recherché si la circonstance que Mlle B...avait renoué un lien avec ses parents faisait obstacle à ce qu'elle puisse être prise en charge comme " jeune majeur " ;
- le tribunal a commis une erreur de droit ou à tout le moins a insuffisamment motivé sa décision en ne recherchant pas si le centre de vie Logis de Berri était adapté à la situation de Mlle B... ;
- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en considérant que les deux décisions litigieuses étaient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2014, présenté pour M. A...B..., Mme F... B...et Mlle C...B..., par MeD... ; les consorts B...concluent au rejet de la requête d'appel du département de Paris et à ce qu'il soit enjoint au département de Paris de conclure le contrat jeune majeur sollicité depuis 2012 ;

Ils font valoir que :

- la requête n'était entachée d'aucune irrecevabilité dès lors que les parents de Louise ont introduit une action en son nom alors même qu'elle était encore mineure ; qu'elle n'était pas tenue de reprendre expressément l'instance devant le tribunal ; qu'en appel, Louise B...apparaît en qualité d'intimée ;
- le département de Paris ne saurait soutenir que le centre de vie Logis du Berri n'est pas adapté à la situation de Louise B...alors même qu'elle y est accueillie depuis deux ans avec son enfant, qu'elle peut y suivre sa scolarité ce qui n'est pas le cas dans un centre maternel ;
- si les parents de Louise B...se sont efforcés de ne pas rompre le contact avec leur fille, il n'est pas envisageable qu'elle puisse retourner vivre chez eux ;
- qu'elle remplissait donc toutes les conditions pour bénéficier d'une prise en charge au centre de vie Logis de Berri ;

Vu le mémoire, enregistré le 26 juin 2014, présenté pour le département de Paris qui maintient ses conclusions par les mêmes moyens ;

Le département de Paris soutient en outre que le refus de prise en charge pouvait se fonder sur le refus de Louise B...d'être affectée en centre maternel ; qu'il pouvait également se fonder sur la circonstance que Louise B...dispose d'un soutien familial suffisant ;

Vu le mémoire, enregistré le 28 juin 2014, présenté pour les consorts B...qui maintiennent leurs conclusions par les mêmes moyens ; ils sollicitent en outre la condamnation du département de Paris à leur verser une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire, enregistré le 14 août 2014, présenté pour le département de Paris qui maintient ses conclusions par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;



Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 septembre 2014 :

- le rapport de Mme Chavrier, premier conseiller,

- les conclusions de M. Roussel, rapporteur public,

- les observations de Me Froger, avocat du département de Paris,

- et les observations de Mme F...B... ;

1. Considérant que par une décision du 1er juin 2012, le bureau d'aide sociale à l'enfance du département de Paris a refusé à Mlle C...B..., née le 6 septembre 1994, le bénéfice d'un accueil provisoire " jeune majeur " au motif que la jeune fille refusait un accueil en centre maternel ; que saisi par les parents de Mlle B..., le juge des référés a suspendu l'exécution de la décision litigieuse et enjoint au bureau de l'aide sociale à l'enfance du département de Paris de procéder au réexamen de la situation de LouiseB... ; que par une décision du 1er août 2012, le bureau d'aide sociale à l'enfance du département de Paris a refusé d'accorder le bénéfice d'un accueil provisoire " jeune majeur " à Louise B...au motif que M. et Mme B... ont " renoué les liens avec leur fille " et que cette dernière ne remplit, par suite, pas les conditions posées par l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles ; que M. et Mme B... ont saisi le Tribunal administratif de Paris d'une requête tendant à l'annulation de ces deux décisions ; que, par un jugement en date du 13 septembre 2013, le tribunal a annulé les deux décisions et a enjoint le réexamen de la situation de MlleB... ; que le département de Paris relève appel de ce jugement ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant en premier lieu que M. et MmeB..., parents de Louise B...née le 6 septembre 1994, ont introduit deux requêtes au nom de leur fille pour solliciter l'annulation des décisions des 1er juin et 1er août 2012 par lesquelles le président du conseil général de Paris a refusé de prendre en charge au titre d'un accueil jeune majeur, Mlle C...B..., au lieu de vie Logis de Berri ; qu'à la date de l'introduction de leurs requêtes, Louise B...était encore mineure ; que, dès lors, les requêtes étaient recevables sans que Mlle C...B...soit tenue de reprendre, une fois devenue majeure, les conclusions déposées par ses parents ; que le moyen tiré de ce que le tribunal aurait commis une erreur de droit en ne relevant pas une telle irrecevabilité doit donc être écarté ;

3. Considérant en second lieu que le Tribunal administratif de Paris a expressément répondu aux arguments contenus dans le mémoire en défense produit par le département de Paris ; qu'en effet, en visant la réglementation applicable et en soulignant notamment que l'accueil au Logis de Berri de Louise B...et de sa fille depuis deux années avait permis d'apporter un accompagnement mettant la fille de M. et Mme B...à l'abri des " dérives et difficultés qu'elle connaît encore ", le tribunal a suffisamment motivé sa décision ; que, par suite, le département de Paris n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'irrégularité ;

Sur le bien fondé du jugement :

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ; (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 222-5 du code précité : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil général : (...) 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l'article 375-3 du code civil, des articles 375-5, 377, 377-1, 380, 411 du même code ou du 4° de l'article 10 et du 4° de l'article 15 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ; (...) Peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants. " ; qu'aux termes de l'article R. 221-2 de ce même code : " (...) S'agissant de mineurs émancipés ou de majeurs âgés de moins de vingt et un ans, le président du conseil général ne peut agir que sur demande des intéressés et lorsque ces derniers éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants. " ;

5. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, qu'alors même que l'intéressé remplit les conditions d'âge et de situation sociale susmentionnées, le président du conseil général n'est pas tenu d'accorder ou de maintenir le bénéfice de la prise en charge par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance, mais dispose d'un pouvoir d'appréciation ; qu'il peut fonder sa décision, sous le contrôle du juge administratif, sur d'autres critères que ceux indiqués dans les dispositions précitées ;

6. Considérant que pour refuser à Louise B...le bénéfice d'un contrat " jeune majeur ", le président du conseil général de Paris s'est fondé, dans un premier temps, sur la circonstance que l'intéressée refusait un accueil en centre maternel, et, dans un second temps, sur la circonstance qu'elle avait renoué des liens avec ses parents et qu'elle ne remplissait plus les conditions posées par les dispositions de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles ; qu'il ressort des pièces du dossier que LouiseB..., à la date des faits en litige, avait passé deux ans au centre de vie Logis du Berri, où elle a fait l'objet d'un encadrement adapté lui permettant de poursuivre une scolarité tout en bénéficiant d'un soutien et d'un suivi dans l'éducation de sa fille ; qu'en outre, la jeune fille a réaffirmé à plusieurs reprises sa volonté de rester dans ce centre de vie, eu égard tant à la stabilité qu'elle a pu y trouver qu'aux formations qu'elle a pu y suivre ; que si elle a renoué peu à peu des liens avec ses parents, une telle circonstance ne saurait suffire pour permettre à Louise B...d'être " à l'abri des dérives et difficultés qu'elle connaît encore " ; qu'elle a toujours besoin d'un suivi et d'un encadrement spécifique que ses parents ne sont pas en mesure de lui apporter compte tenu des graves tensions qui ont pu exister entre eux ; que, d'ailleurs, ses parents ont reconnu que la prise en charge de leur fille au centre de vie Logis du Berri lui permettait de poursuivre le travail d'éducation et d'accompagnement entrepris ; que c'est donc à bon droit que le Tribunal administratif de Paris a jugé qu'en refusant de lui accorder le bénéfice d'un contrat " jeune majeur ", à la date des faits en litige, le président du conseil général a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le département de Paris n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du 13 septembre 2013 ;




Sur les conclusions incidentes des consorts B...tendant à ce qu'il soit enjoint au département de Paris à conclure un contrat jeune majeur :

8. Considérant qu'eu égard au motif retenu par le Tribunal administratif de Paris pour annuler les décisions du président du conseil régional, les premiers juges ne pouvaient enjoindre qu'un réexamen de la situation de Mlle B... ; que, dès lors, les conclusions des consorts B...tendant à ce que le jugement du tribunal soit réformé sur ce point doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge du département de Paris la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par les consorts B...et non compris dans les dépens ; que ces dispositions s'opposent à ce qu'il soit fait droit aux conclusions du département de Paris, qui est la partie perdante, qu'il a présentées au titre des mêmes dispositions ;



DÉCIDE :
Article 1er : La requête du département de Paris est rejetée.
Article 2 : Le département de Paris versera aux consorts B...une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des consorts B...est rejeté.
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