Conseil d'État, 7ème / 2ème SSR, 20/12/2006, 293399, Publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 et 30 mai 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Me A...BES, demeurant..., Cedex (97256) agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société anonyme Air Guyane; Me BES demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 30 mars 2006 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux, en tant qu'elle n'a pas fait droit intégralement à sa demande tendant, sur le fondement de l'article L.541-1 du code de justice administrative, à la condamnation du centre hospitalier Andrée Rosemon à lui payer à titre provisionnel la somme de 355 520,74 euros augmentée des intérêts et de la capitalisation et en tant qu'elle a subordonné le versement de cette provision à la constitution d'une des garanties prévues au deuxième alinéa de l'article R. 277-1 du livre des procédures fiscales ;

2°) de condamner le centre hospitalier Andrée Rosemon à lui payer à titre provisionnel la somme de 355 520,74 euros augmentée des intérêts et de la capitalisation ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Pierre Jouguelet, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de Me BES et de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat du centre hospitalier Andrée Rosemon,

- les conclusions de M. Didier Casas, Commissaire du gouvernement ;




Considérant que, par une première ordonnance du 29 septembre 2005, le juge des référés du tribunal administratif de Cayenne a condamné le centre hospitalier Andrée Rosemon à payer à Me BES, commissaire à l'exécution du plan total de cession des actifs de la société anonyme Air Guyane, une provision de 2 922,42 euros au titre des frais de transport aérien de malades pendant les années 2000, 2001 et 2002 ; que Me BES a fait appel de cette ordonnance et, dans le même temps, a présenté une nouvelle demande devant le juge des référés du tribunal ; que, par une seconde ordonnance du 8 février 2006, ce juge des référés a condamné le centre hospitalier au versement d'une provision de 352 597,58 euros, avec intérêts et capitalisation des intérêts ; que, sur appel du centre hospitalier, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux a, par une ordonnance du 30 mars 2006, annulé l'ordonnance du 8 février 2006, puis, après avoir constaté la réalité des prestations fournies à concurrence de 352 597,58 euros, a jugé que la société Air Guyane avait, en effectuant ces prestations sans contrat et en tardant à en réclamer le paiement, commis des imprudences et négligences de nature à faire regarder comme sérieusement contestable l'obligation du centre pour une part fixée à un tiers du montant des prestations ; qu'il a en conséquence arrêté à 237 987,47 euros le montant de la provision et a, en outre, subordonné le versement d'une fraction de la provision fixée à 235 065,05 euros à la constitution d'une des garanties prévues au deuxième alinéa de l'article R. 277-1 du livre des procédures fiscales ; que Me BES se pourvoit en cassation contre cette ordonnance en tant qu'elle a limité la provision à 237 987,47 euros et en tant qu'elle a subordonné le versement de sa quasi totalité à la constitution d'une garantie ;

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre l'article 2 de l'ordonnance attaquée en tant qu'il condamne le centre hospitalier au versement d'une provision limitée à la somme de 237 987,47 euros :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : "Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie" ;

Considérant qu'en fondant sa décision sur l'existence d'une faute de la société Air Guyane pour condamner le centre hospitalier Andrée Rosemon à verser à Me BES une provision ne représentant que les deux tiers des frais de transport des malades de ce centre, le juge des référés de la cour administrative d'appel n'a pas soulevé d'office un moyen d'ordre public, mais a seulement relevé que la condition de l'obligation non sérieusement contestable posée par les dispositions précitées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative et qui était l'objet même de la demande dont il était saisi, n'était pas totalement remplie ; qu'il n'était, par suite, pas tenu de procéder à la communication prescrite par les dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ; que Me BES n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que l'ordonnance a été rendue à la suite d'une procédure irrégulière ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient Me BES, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a pas procédé à une compensation entre la créance que détiendrait la société Air Guyane à raison des transports de personnes qu'elle a effectués et une créance dont bénéficierait le centre hospitalier du fait de la faute de la société, mais a évalué l'obligation non sérieusement contestable qui pèse sur cet établissement public en prenant en compte les éléments du dossier faisant apparaître que la société a commis des imprudences et négligences de nature à atténuer la responsabilité du centre hospitalier ; que, par suite, Me BES n'est pas fondé à soutenir que le juge des référés a commis une erreur de droit en faisant une compensation entre la créance certaine de la société et une créance du centre hospitalier qui ne serait ni liquide ni exigible ;

Considérant que la cour a souverainement apprécié qu'il n'existait pas de contrat, même verbal, entre la société et le centre hospitalier ; qu'aucune dénaturation des pièces du dossier n'est invoquée ; qu'elle a pu, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation de l'obligation non sérieusement contestable de ce centre estimer, que la société avait commis des imprudences et négligences en fournissant dans ces conditions ses prestations de service et opérer par suite un abattement sur le montant de la provision réclamée par Me BES ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Me BES n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée en tant qu'elle limite à la somme de 237 987,47 euros l'indemnité provisionnelle mise à la charge du centre hospitalier Andrée Rosemon ;

Sur les conclusions relatives à l'obligation de constituer une garantie :

Considérant, en premier lieu, que le juge des référés, lorsqu'il subordonne le versement d'une provision à la constitution d'une garantie, ne soulève pas d'office un moyen, mais fait simplement usage d'une possibilité qui lui est conférée par les dispositions précitées de l'article R . 451-1 du code de justice administrative et qui est nécessairement soumise à son examen par la demande de provision dont il est saisi ; qu'il n'était, par suite, pas tenu de procéder à la communication prescrite par les dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ;

Considérant, en second lieu, que Me BES soutient que le juge des référés, en subordonnant le versement de la provision à l'obligation d'une garantie, alors que l'impossibilité pour la société Air Guyane de respecter cette obligation ressortait des pièces du dossier, a méconnu le droit de la société à un recours effectif dès lors qu'elle ne pourra pas percevoir les sommes qui lui sont dues ;

Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative que l'obligation de constituer une garantie à laquelle le juge des référés peut subordonner le versement de la provision, a pour objet de protéger le débiteur de cette provision contre les risques d'insolvabilité du créancier pour le cas où ce dernier devrait reverser les sommes perçues ;

Considérant, d'une part, que lorsque le demandeur a, parallèlement à la saisine du juge des référés, introduit une action devant le juge du fond, l'ordonnance de référé cesse de porter ses effets lorsque ce dernier se prononce sur la demande d'indemnité ; qu'en ce cas l'obligation de constituer une garantie imposée par cette ordonnance ne saurait priver le créancier de son droit au versement par le débiteur des indemnités fixées par le juge du fond ; que, d'autre part, si le créancier n'a pas introduit de demande au fond dans les conditions de droit commun, la provision fixée par le juge des référés lui est définitivement acquise dans les conditions fixées par l'article R. 541-4 du code de justice administrative selon lequel "la personne condamnée au paiement d'une provision peut saisir le juge du fond d'une requête tendant à la fixation définitive du montant de sa dette, dans un délai de deux mois à partir de la notification de la décision de provision rendue en première instance ou en appel" ; qu'il résulte de ces dispositions que, sauf dans le cas où l'ordonnance a fait l'objet d'un recours, l'indemnité provisionnelle accordée par le juge du référé au créancier ne peut plus être contestée par le débiteur qui n'a pas saisi le juge du fond dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'ordonnance ; qu'en ce cas l'obligation de constituer une garantie devient caduque à l'expiration de ce délai, sans qu'il soit nécessaire que le juge du référé ait préalablement mentionné cette caducité dans son ordonnance ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient Me BES, l'obligation de constituer une des garanties prévues au deuxième alinéa de l'article R. 277-1 du livre des procédures fiscales, si elle peut retarder le versement des sommes dues au créancier afin de protéger les droits du débiteur, n'a ni pour objet ni pour effet d'empêcher ce versement lorsque la dette est soit fixée par le juge du fond, soit est devenue définitive en l'absence de saisine du juge du fond dans les conditions prévues par les dispositions précitées de l'article R. 541-4 du code de justice administrative ; que, par suite, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux pouvait, sans porter atteinte au droit de la société à un recours effectif, soumettre le versement de la provision qu'il avait fixée à la constitution d'une garantie sans préciser le terme de cette obligation ;

Considérant que Me BES n'est pas fondé à mettre en cause devant le juge de cassation, en l'absence de dénaturation des pièces du dossier, l'appréciation souveraine du juge des référés sur le principe et l'importance de la garantie ;

Considérant qu'il résulte de ce tout ce qui précède que Me BES n'est pas fondé à demander l'annulation de l'article 3 de l'ordonnance attaquée subordonnant le versement d'un partie de la provision à la constitution d'une des garanties prévues au deuxième alinéa de l'article R. 277-1 du livre des procédures fiscales ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Me BES, le versement de la somme de 3 000 euros que demande le centre hospitalier Andrée Rosemon au titre des frais engagés et non compris dans les dépens ;




D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Me BES est rejetée.
Article 2 : Me BES, en qualité de commissaire à l'exécution du plan total de cession des actifs de la société Air Guyane, versera au centre hospitalier Andrée Rosemon la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Me A...BES et au centre hospitalier Andrée Rosemon.


ECLI:FR:CESSR:2006:293399.20061220
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