CAA de NANTES, Chambres réunies, 25/02/2014, 13NT02262
CAA de NANTES, Chambres réunies, 25/02/2014, 13NT02262
CAA de NANTES - Chambres réunies
- N° 13NT02262
- Non publié au bulletin
Lecture du
mardi
25 février 2014
- Président
- M. PEREZ
- Rapporteur
- M. Eric FRANCOIS
- Avocat(s)
- KISSANGOULA
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 1er août 2013, présentée pour Mme A... B..., demeurant..., par Me Kissangoula, avocat au barreau de Paris ; Mme B... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 11-10412 du 26 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 25 janvier 2012 du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration rejetant sa demande de naturalisation ;
2°) d'annuler cette décision ;
elle soutient que :
- selon la circulaire ministérielle du 16 octobre 2012, le séjour irrégulier en France du postulant ne doit plus conduire à refuser systématiquement sa naturalisation ;
- en fondant sa décision de rejet sur un critère relatif à la recevabilité de la demande, le ministre a commis une erreur de droit ;
- en tout état de cause, le motif retenu par le ministre n'aurait dû le conduire qu'à prononcer une décision d'ajournement ; la décision de rejet retenue est constitutive d'une sanction ;
- mariée et mère de deux enfants, elle dispose d'un contrat de travail à durée indéterminée et d'un logement, est à jour de ses obligations fiscales et possède une connaissance éprouvée de la langue française ;
- la décision contestée est ainsi entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 1er octobre 2013, présenté par le ministre de l'intérieur qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que :
- la circulaire du 16 octobre 2012 ne revêt pas de caractère réglementaire ;
- la décision contestée n'est entachée ni d'erreur de droit ni d'erreur manifeste d'appréciation et n'est pas constitutive d'une sanction ; en effet, la circonstance que Mme B... est demeurée en France sans titre de séjour de 1993 à 2003 pouvait légalement conduire au rejet de sa demande ;
Vu le mémoire, enregistré le 29 janvier 2014, présenté pour Mme B..., qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens qu'elle développe ;
en outre, elle demande à la Cour d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de sa demande dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire, enregistré le 4 février 2014, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut aux mêmes fins que son mémoire en défense ;
il précise que les décisions de rejet et d'ajournement sont juridiquement de même nature ; qu'une décision de rejet n'emporte pas l'impossibilité d'obtenir à l'avenir sa naturalisation ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 février 2014 :
- le rapport de François, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Pouget, rapporteur public ;
- et les observations de Me Kissangoula, avocat de Mme B... ;
1. Considérant que Mme B..., ressortissante marocaine, relève appel du jugement du 26 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 25 janvier 2012 du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration rejetant sa demande de naturalisation ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger " ; qu'aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 susvisé : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration dans la nationalité sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. (...) " ; qu'en vertu de ces dispositions, il appartient au ministre chargé des naturalisations de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la naturalisation à l'étranger qui la sollicite ; que, dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant ;
3. Considérant que, pour rejeter la demande de naturalisation de Mme B..., le ministre s'est exclusivement fondé sur la circonstance que l'intéressée avait séjourné irrégulièrement sur le territoire français de 1993 à 2003 en méconnaissant ainsi la législation relative au séjour des étrangers en France ;
4. Considérant que si le ministre peut, sans erreur de droit, opposer un tel motif pour ajourner ou rejeter la demande de naturalisation du postulant, il ne saurait, en l'absence de toute autre circonstance, retenir ce seul motif lorsque l'ancienneté des faits est telle qu'elle est de nature à entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et qu'il n'est pas contesté, que Mme B..., entrée en France en janvier 1993, n'a obtenu un premier titre de séjour qu'en juin 2003 ; qu'elle séjourne régulièrement depuis cette date sur le territoire ; qu'eu égard à l'ancienneté de ces faits, dont le terme remonte à plus de huit ans par rapport à la date de la décision contestée, le ministre, qui ne fait état d'aucune autre circonstance, a, en rejetant pour ce seul motif la demande de naturalisation de la postulante, entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé " ;
8. Considérant que l'annulation prononcée par le présent arrêt implique que le ministre chargé des naturalisations procède au réexamen de la demande de naturalisation de Mme B... ; qu'il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification de cet arrêt ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2000 euros à verser à Mme B... ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 26 juin 2013 du tribunal administratif de Nantes et la décision du 25 janvier 2012 du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la demande de naturalisation présentée par Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 11 février 2014, à laquelle siégeaient :
- M. Bachelier, président de la cour,
- M. Pérez, président de chambre,
- M. Iselin, président de chambre,
- M. Millet, président-assesseur,
- M. Sudron, président-assesseur,
- M. François, premier conseiller,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 février 2014.
Le rapporteur,
E. FRANÇOIS Le président,
G. BACHELIER
Le greffier,
S. BOYÈRE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 13NT02262
1°) d'annuler le jugement n° 11-10412 du 26 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 25 janvier 2012 du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration rejetant sa demande de naturalisation ;
2°) d'annuler cette décision ;
elle soutient que :
- selon la circulaire ministérielle du 16 octobre 2012, le séjour irrégulier en France du postulant ne doit plus conduire à refuser systématiquement sa naturalisation ;
- en fondant sa décision de rejet sur un critère relatif à la recevabilité de la demande, le ministre a commis une erreur de droit ;
- en tout état de cause, le motif retenu par le ministre n'aurait dû le conduire qu'à prononcer une décision d'ajournement ; la décision de rejet retenue est constitutive d'une sanction ;
- mariée et mère de deux enfants, elle dispose d'un contrat de travail à durée indéterminée et d'un logement, est à jour de ses obligations fiscales et possède une connaissance éprouvée de la langue française ;
- la décision contestée est ainsi entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 1er octobre 2013, présenté par le ministre de l'intérieur qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que :
- la circulaire du 16 octobre 2012 ne revêt pas de caractère réglementaire ;
- la décision contestée n'est entachée ni d'erreur de droit ni d'erreur manifeste d'appréciation et n'est pas constitutive d'une sanction ; en effet, la circonstance que Mme B... est demeurée en France sans titre de séjour de 1993 à 2003 pouvait légalement conduire au rejet de sa demande ;
Vu le mémoire, enregistré le 29 janvier 2014, présenté pour Mme B..., qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens qu'elle développe ;
en outre, elle demande à la Cour d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de sa demande dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire, enregistré le 4 février 2014, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut aux mêmes fins que son mémoire en défense ;
il précise que les décisions de rejet et d'ajournement sont juridiquement de même nature ; qu'une décision de rejet n'emporte pas l'impossibilité d'obtenir à l'avenir sa naturalisation ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 février 2014 :
- le rapport de François, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Pouget, rapporteur public ;
- et les observations de Me Kissangoula, avocat de Mme B... ;
1. Considérant que Mme B..., ressortissante marocaine, relève appel du jugement du 26 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 25 janvier 2012 du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration rejetant sa demande de naturalisation ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger " ; qu'aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 susvisé : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration dans la nationalité sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. (...) " ; qu'en vertu de ces dispositions, il appartient au ministre chargé des naturalisations de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la naturalisation à l'étranger qui la sollicite ; que, dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant ;
3. Considérant que, pour rejeter la demande de naturalisation de Mme B..., le ministre s'est exclusivement fondé sur la circonstance que l'intéressée avait séjourné irrégulièrement sur le territoire français de 1993 à 2003 en méconnaissant ainsi la législation relative au séjour des étrangers en France ;
4. Considérant que si le ministre peut, sans erreur de droit, opposer un tel motif pour ajourner ou rejeter la demande de naturalisation du postulant, il ne saurait, en l'absence de toute autre circonstance, retenir ce seul motif lorsque l'ancienneté des faits est telle qu'elle est de nature à entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et qu'il n'est pas contesté, que Mme B..., entrée en France en janvier 1993, n'a obtenu un premier titre de séjour qu'en juin 2003 ; qu'elle séjourne régulièrement depuis cette date sur le territoire ; qu'eu égard à l'ancienneté de ces faits, dont le terme remonte à plus de huit ans par rapport à la date de la décision contestée, le ministre, qui ne fait état d'aucune autre circonstance, a, en rejetant pour ce seul motif la demande de naturalisation de la postulante, entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé " ;
8. Considérant que l'annulation prononcée par le présent arrêt implique que le ministre chargé des naturalisations procède au réexamen de la demande de naturalisation de Mme B... ; qu'il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification de cet arrêt ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2000 euros à verser à Mme B... ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 26 juin 2013 du tribunal administratif de Nantes et la décision du 25 janvier 2012 du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la demande de naturalisation présentée par Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 11 février 2014, à laquelle siégeaient :
- M. Bachelier, président de la cour,
- M. Pérez, président de chambre,
- M. Iselin, président de chambre,
- M. Millet, président-assesseur,
- M. Sudron, président-assesseur,
- M. François, premier conseiller,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 février 2014.
Le rapporteur,
E. FRANÇOIS Le président,
G. BACHELIER
Le greffier,
S. BOYÈRE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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