Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 11/02/2014, 12PA04995, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 19 décembre 2012, présentée pour la société Ansaldobreda SPA, dont le siège est situé, Via Argine 425 à Napoli (80147), en Italie, par la Cleary Gottlieb Steen et Hamilton llp ; la société Ansaldobreda SPA demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1121059/3-2 du 26 septembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Paris l'a condamnée à verser à la Régie autonome des transports parisiens (RATP), une provision de 8 361 233,03 euros, représentative des pénalités de retard dues au titre du marché de rénovation des trains de la ligne 13 du métro parisien, conclu le 3 avril 2003 ;

2°) de rejeter la demande de la RATP devant le tribunal administratif ;

3°) subsidiairement, de ramener la provision allouée au montant réellement incontestable en considération de la créance dont elle peut se prévaloir ;

4°) de mettre à la charge de la RATP une somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.........................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 janvier 2014 :

- le rapport de Mme,Sanson, président assesseur,

- les conclusions de M. Rousset, rapporteur public,

- les observations de Me A...et de MeB..., avocats de la société Ansaldobreda, et celles de Me Savoie, avocat de la RATP ;


1. Considérant que, par un marché signé le 3 avril 2003, la Régie autonome des transports parisiens (RATP) a attribué à un groupement solidaire composé de la société Ansaldobreda SpA, mandataire, et de la société CLBI la rénovation des rames des lignes 13, 8 et 7 de son réseau ; que le marché comportait une tranche ferme de 43 trains de la ligne 13 et 6 tranches conditionnelles dont seule la première, portant sur 23 rames supplémentaires de la ligne 13, a été affermie ; qu'un premier avenant, conclu le 31 mars 2006 à la suite de la reprise de la société CLBI par la société STP, a modifié notamment le calendrier des travaux, le 66ème et dernier train devant être livré en juillet 2008 ; qu'un avenant n° 2, signé le 18 février 2010, a pris acte de la substitution de la société Ansaldobreda France, filiale de la société Ansaldobreda, à la société STP ; que, la mise en demeure de payer une somme de 19 422 6025 euros au titre de pénalités de retard adressée le 8 novembre 2011 par la RATP à la société Ansaldobreda SPA étant restée sans effet, l'établissement a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Paris, sur le fondement des dispositions de l'article R541-1 du code de justice administrative, afin qu'il condamne cette société à lui verser une provision égale au montant de pénalités réclamé ; que la société Ansaldobreda SPA relève régulièrement appel du jugement du 26 septembre 2012 par lequel le tribunal administratif l'a condamnée à verser à la RATP une provision de 8 361 233,03 euros ; que, par la voie du recours incident la RATP demande à la Cour de réformer le jugement attaqué en ce qu'il limite la provision à une somme inférieure à 19 422 625 euros ;

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Considérant que la société Ansaldobreda soutient que, les contrats passés par les établissements publics à caractère industriel et commercial avec les tiers étant des contrats de droit privé par nature, le litige qui l'oppose à la RATP, service public à caractère industriel et commercial, se rapporte à l'exécution d'un contrat de droit privé et relève à ce titre de la compétence des juridictions judiciaires ;

3. Considérant toutefois que les contrats relatifs à des services publics industriels et commerciaux, lorsque le service est géré par une personne morale de droit public, peuvent avoir le caractère de contrat administratif s'ils portent sur l'exécution même du service public ou s'ils comportent des clauses exorbitantes du droit commun ; que le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de fournitures, produits et services de la RATP dans sa version du 30 avril 1996, auquel renvoie le marché signé le 3 avril 2003, stipulait en son article 41 que la RATP pouvait résilier unilatéralement le contrat en l'absence de tout manquement du titulaire à ses obligations contractuelles, et, en son article 27, que l'établissement pouvait modifier unilatéralement le contrat en cours d'exécution ; que ces stipulations, qui instaurent des relations inégalitaires entre les parties dans l'intérêt du service public dont l'établissement a la charge, constituent des clauses exorbitantes du droit commun alors même que des stipulations similaires peuvent se rencontrer dans des contrats conclus par des personnes privées ; qu'il suit de là qu'en retenant la compétence de la juridiction administrative le tribunal administratif n'a pas fait une analyse erronée du litige dont il était saisi ;

Sur la provision :

4. Considérant qu'aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. " ;

5. Considérant que, si pour contester la recevabilité de la demande de la société requérante, la RATP se prévaut des stipulations de l'article 26.1 du cahier des clauses administratives générales selon lesquelles " lorsque les délais d'exécution sont dépassés, le titulaire encourt, du simple fait de la constatation du retard par la RATP, et sans mise en demeure préalable, une pénalité " et de l'article 26.4 qui stipule que " le montant des pénalités est notifié au titulaire, qui est admis à présenter ses observations à la RATP dans un délai de trente jours à compter de cette notification. Passé ce délai le titulaire est réputé avoir accepté les pénalités " en faisant valoir qu'il a envoyé
60 lettres de pénalités du 8 décembre 2008 au 26 août 2012 sans que la société Ansaldobreda ne fasse d'observations dans les délais impartis, il ressort toutefois des termes du courrier qu'elle lui a adressé le 10 avril 2009, qu'elle acceptait, sous condition, une remise partielle des pénalités ; que la RATP doit ainsi être regardée comme ayant renoncé à opposer à son co-contractant la forclusion prévue par les articles précités ;

6. Considérant que par une lettre du 9 avril 2009, à l'occasion de la signature du second avenant, la société Ansaldobreda a proposé à la RATP qu'elle l'exonère des pénalités de retard au fur et à mesure de la livraison des rames rénovées selon un échéancier ; que si, dans sa réponse du 10 avril, la RATP a accepté de renoncer aux pénalités selon les modalités proposées, ce renoncement était subordonné au respect par le titulaire des délais de livraison des matériels selon le calendrier convenu ; qu'il est constant que ce calendrier n'a pas été respecté par l'entreprise ; que la lettre du 18 février 2010, par laquelle la RATP a constaté le dépassement des délais prévus, s'est bornée à confirmer sa volonté de négocier sur un aménagement des pénalités en contrepartie de la tenue de délais de livraison des rames ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient la société Ansaldobreda, les courriers de la RATP ne peuvent être regardés comme une renonciation par l'établissement à l'application des pénalités contractuelles ;

7. Considérant que le pouvoir adjudicateur ne peut demander le paiement des pénalités qu'au mandataire du groupement solidaire à qui il appartient d'en répartir la charge entre les cotraitants ; que la mise en redressement judiciaire des cotraitants successifs de la société Ansaldobreda n'est pas de nature à exonérer celle-ci du paiement des pénalités de retard ; que la RATP soutient en outre sans être contredite, d'une part, que le travail de rénovation des rames n'a pas été interrompu durant les six mois de procédure ayant précédé la reprise de la société STP par la société Ansaldobreda France et, d'autre part, qu'elle n'a pas appliqué de pénalités concernant la rame R40 qui, présentant des désordres importants, a fait l'objet de réparations non prévues au marché ; qu'à supposer, ainsi que le soutient la société requérante, que les sites de rénovation n'auraient pas pu être utilisés à leur pleine capacité du fait d'une alimentation insuffisante en rames de la part de la RATP, et que le retard en résultant serait de160 jours, eu égard au plafonnement du montant des pénalités, le retard allégué est sans incidence sur la créance de la RATP ;

8. Considérant que l'article 8-2 du marché, dans sa rédaction issue de l'avenant n° 1, stipule, par dérogation à l'article 26 du cahier des clauses administratives générales, que " ces pénalités ne peuvent dépasser 10 % du montant global hors TVA du marché " ; que les pénalités, qui s'élevaient à 250 501 784 euros, ont été ramenées par la RATP à la somme de 19 422 625 euros, soit à 10 % du prix du marché, tranches conditionnelles comprises ; que la société Ansaldobreda fait valoir que le montant des pénalités doit être rapporté au montant des prestations qui ont effectivement été confiées au groupement, soit, la tranche ferme et la première tranche conditionnelle qui, seule, a été affermie ; que, si un marché peut prévoir l'application de pénalités en cas de retard d'exécution du marché dans sa globalité ou de l'une de ses tranches, il appartient au juge de rechercher la commune intention des parties sur ce point ; que la société Ansaldobreda soulève à cet égard une contestation sérieuse quant à la portée des stipulations rappelées ci-dessus ; que, dans ces conditions, le tribunal administratif a pu à bon droit estimer que la créance de la RATP ne présentait un caractère non sérieusement contestable qu'à concurrence de 10 % du montant de la tranche ferme et de la première tranche conditionnelle, soit 8 361 233,03 euros ; qu'il suit de là que la RATP n'est pas fondée à demander, par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement en tant qu'il a fixé la provision à un montant inférieur à 19 422 625 euros ;

9. Considérant que le juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, peut modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat, par application des principes dont s'inspire l'article 1152 du code civil, si ces pénalités atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire eu égard au montant du marché ; que, pour demander une réduction du montant des pénalités de retard, la société Ansaldobreda soutient qu'elle a partiellement respecté les délais prévus contractuellement et que ces pénalités sont excessives au regard du préjudice subi par la RATP ; que, toutefois, il est constant que la société Ansaldobreda a constamment dépassé les délais de livraison prévus au marché et qu'il en est résulté un préjudice d'image important pour la RATP dans ses relations tant avec le Syndicat des transports d'Ile-de-France, qu'avec ses usagers ; que, par ailleurs, le plafonnement fixé par avenant au marché a eu pour effet de réduire de manière substantielle le montant des pénalités initialement prévu ; que, par suite, le tribunal administratif a pu, à bon droit, estimer qu'il n'y avait pas lieu de modérer le montant des pénalités en litige en deçà de la somme de 8361 233,03 euros ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Ansaldobreda n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris l'a condamnée à verser à la RATP une somme de 8 361 233,03 euros à titre de provision à valoir sur le montant des pénalités de retard dues au titre de l'exécution du marché litigieux ;



Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Considérant que le présent arrêt, qui confirme le jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a condamné la société Ansaldobreda à verser à la RATP une provision de 8 361 233,03 euros, implique nécessairement le versement de cette somme à la RATP par la société requérante ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, comme le demande la RATP, de faire injonction à la société Ansaldobreda de procéder à ce paiement dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de la RATP, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société Ansaldobreda et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Ansaldobreda, sur leur fondement, le versement de la somme de 2 000 euros;


DÉCIDE :


Article 1er : La requête de la société Ansaldobreda est rejetée.

Article 2 : Il est enjoint à la société Ansaldobreda de procéder au paiement à la RATP de la somme de 8 361 233,03 euros dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : La société Ansaldobreda versera à la RATP une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par la RATP est rejeté.
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