COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE LYON, 5ème chambre - formation à 3, 17/10/2013, 12LY02444, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 10 septembre 2012 au greffe de la Cour, présentée pour la SAOS AJ Auxerre Football, dont le siège est situé route de Vaux, BP 349, à Auxerre (89006) ;

La SAOS AJ Auxerre Football demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1101003 du 26 juin 2012 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle mises à sa charge au titre des années 2006 et 2008, ainsi qu'à la réduction des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle mises à sa charge au titre de l'année 2007, mises en recouvrement le 30 juillet 2010 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, d'une part, les dépens et notamment le droit de timbre qu'elle a dû acquitter, et, d'autre part, le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que les indemnités perçues par le club employeur lors du transfert de joueurs constituent des produits de cession d'immobilisations incorporelles, devant être comptabilisés en tant que produits exceptionnels, conformément aux dispositions du règlement n° 2004-7 du 23 novembre 2004 du comité de la règlementation comptable ; que la perception de telles indemnités ne se rattache pas à son activité habituelle et ordinaire, qui est seulement d'offrir des spectacles à objet sportif ; qu'ainsi, le montant de ces indemnités ne pouvait être pris en compte pour le calcul de la valeur ajoutée mentionnée à l'article 1647 E du code général des impôts ; que cette interprétation est corroborée par l'instruction 4 A-13-05 du 30 décembre 2005 relative aux indemnités versées à d'autres clubs lors de l'acquisition de joueurs ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2013, présenté par le ministre de l'économie et des finances, qui conclut au rejet de la requête ;

Le ministre soutient qu'eu égard à leur fréquence et à leur montant, les opérations de cession de joueurs professionnels effectuées par la SAOS AJ Auxerre Football constituent, non pas des produits exceptionnels, mais des revenus d'une activité habituelle ; qu'ils doivent, dès lors, être pris en compte pour le calcul de la valeur ajoutée servant à la détermination de la cotisation minimale de taxe professionnelle ; que la SAOS AJ Auxerre Football ne peut utilement invoquer les dispositions et prévisions du règlement du 23 novembre 2004 du comité de la règlementation comptable et de l'instruction 4 A-13-05 du 30 décembre 2005, relatives non pas à la cession mais à l'acquisition de joueurs ; que le 5. de l'annexe audit règlement prévoit la comptabilisation en résultat des indemnités de cession ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu l'arrêté du 24 décembre 2004 portant homologation des règlements n° 2004-06, n° 2004-07, n° 2004-08, n° 2004-09, n° 2004-10, n° 2004-11, n° 2004-13, n° 2004-14, n° 2004-15, n° 2004-16, n° 2004-17, n° 2004-18, n° 2004-19 du Comité de la réglementation comptable ;

Vu le règlement n° 2004-07 du 23 novembre 2004 du comité de la règlementation comptable relatif au traitement comptable des indemnités de mutation versées par les sociétés à objet sportif visées à l'article 11 de la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 ;
Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 septembre 2013 :

- le rapport de M. Meillier, conseiller ;

- les conclusions de Mme Chevalier-Aubert, rapporteur public ;

- et les observations de Me Willemin, avocat de la SAOS AJ Auxerre Football ;


1. Considérant que la SAOS AJ Auxerre Football, qui exploite un club de football professionnel, a fait l'objet en 2008 d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er juillet 2005 au 30 juin 2008, à l'issue de laquelle a été rehaussé, notamment, le montant de ses cotisations de taxe professionnelle au titre des années 2006, 2007 et 2008 ; que, par jugement du 26 juin 2012, le Tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant, s'agissant des années 2006 et 2008, à la décharge et, s'agissant de l'année 2007, à la réduction des impositions supplémentaires de taxe professionnelle mises à sa charge le 30 juillet 2010, par deux avis de mise en recouvrement en date du 12 août 2010 ; que la SAOS AJ Auxerre Football relève appel de ce jugement ;


Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne la loi fiscale :
2. Considérant qu'aux termes du I. de l'article 1647 D du code général des impôts, alors en vigueur : " (...) tous les redevables de la taxe professionnelle sont assujettis à une cotisation minimum établie au lieu de leur principal établissement (...) " ; qu'aux termes du I. de l'article 1647 E du même code, alors en vigueur : " La cotisation de taxe professionnelle des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 7 600 000 euros est au moins égale à 1,5 % de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, telle que définie au II. de l'article 1647 B sexies. Le chiffre d'affaires et la valeur ajoutée à prendre en compte sont ceux de l'exercice de douze mois clos pendant l'année d'imposition ou, à défaut d'un tel exercice, ceux de l'année d'imposition " ; qu'aux termes de l'article 1647 B sexies, dans sa version alors en vigueur : " I. Sur demande du redevable, la cotisation de taxe professionnelle de chaque entreprise est plafonnée en fonction de la valeur ajoutée produite au cours de l'année au titre de laquelle l'imposition est établie ou au cours du dernier exercice de douze mois clos au cours de cette même année lorsque cet exercice ne coïncide pas avec l'année civile. La valeur ajoutée est définie selon les modalités prévues au II (...) / II. 1. La valeur ajoutée mentionnée au I est égale à l'excédent hors taxe de la production sur les consommations de biens et services en provenance de tiers constaté pour la période définie au I. / 2. Pour la généralité des entreprises, la production de l'exercice est égale à la différence entre : / D'une part, les ventes, les travaux, les prestations de services ou les recettes ; les produits accessoires ; les subventions d'exploitation ; les ristournes, rabais et remises obtenus ; les travaux faits par l'entreprise pour elle-même ; les transferts de charges mentionnées aux troisième et quatrième alinéas ainsi que les transferts de charges de personnel mis à disposition d'une autre entreprise ; les stocks à la fin de l'exercice ; / Et, d'autre part, les achats de matières et marchandises, droits de douane compris ; les réductions sur ventes ; les stocks au début de l'exercice (...) " ; qu'aux termes de l'article 38 quater de l'annexe III au code général des impôts : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt " ; qu'aux termes du 5. de l'annexe au règlement n° 2004-07 du 23 novembre 2004 du comité de la règlementation comptable susvisé : " Les indemnités de mutation reçues de la part d'une autre société à objet sportif sont comptabilisées en résultat " ;
3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la valeur ajoutée à retenir pour déterminer le montant de la cotisation minimale de taxe professionnelle prévue à l'article 1647 E du code général des impôts correspond à celle définie par les dispositions de l'article 1647 B sexies du même code, relatif au plafonnement des cotisations de taxe professionnelle ; que les dispositions dudit article 1647 B fixent la liste limitative des catégories d'éléments comptables qui doivent être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée ; que, pour déterminer si une charge ou un produit se rattache à l'une de ces catégories, il y a lieu de se reporter aux normes comptables dans leur rédaction en vigueur lors de l'année d'imposition concernée ; qu'en application des prescriptions du plan comptable général applicable aux années d'imposition en litige, le chiffre d'affaires s'entend du montant des produits réalisés par l'entité avec les tiers dans le cadre de son activité professionnelle normale et courante ; qu'en particulier, des cessions d'immobilisations corporelles ou incorporelles peuvent constituer des ventes à comptabiliser en produits de l'exercice lorsque ces cessions revêtent, compte tenu de la spécificité de l'activité de l'entreprise, un caractère habituel ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SAOS AJ Auxerre Football, qui est une entreprise de spectacles à objet sportif dont les recettes comprennent, notamment, les recettes des matchs, les abonnements, les recettes publicitaires, les droits de télévision et redevances de licences de marque, a également procédé, au cours des saisons 2005-2006, 2006-2007 et 2007-2008, à la cession, à d'autres clubs de football professionnel, de droits incorporels qu'elle détenait au titre des contrats de travail de douze joueurs ; que les " indemnités de mutation " perçues lors de ces cessions se sont élevées à 52 014 000 euros, soit 56 % du chiffre d'affaires réalisé au titre des exercices clos en 2006, 2007 et 2008 ; que la société a comptabilisé ces sommes au crédit des comptes n° 75730050 " Indemnités de mutation de joueurs reçues ", s'agissant de quatre joueurs, et n° 775110710 " Produits de cession indemnités de mutation ", s'agissant des huit autres joueurs ; que seules les indemnités comptabilisées au premier de ces comptes, inclus dans les comptes 75 du plan comptable général relatifs aux " autres produits de gestion courante ", ont été prises en compte aux fins du calcul des cotisations initiales de taxe professionnelle de la société, le second de ces comptes se rattachant aux comptes 77 relatifs aux " produits exceptionnels " ; que le service vérificateur a estimé qu'eu égard au caractère récurrent des cessions de joueurs et à leur importance, les indemnités comptabilisées au compte n° 775110710 ne présentaient pas un caractère exceptionnel et constituaient des produits d'exploitation entrant dans le calcul de la valeur ajoutée ; qu'il a en conséquence rehaussé le montant des cotisations minimales de taxe professionnelle dues par la SAOS AJ Auxerre Football au titre des années 2006, 2007 et 2008 ;
5. Considérant qu'il n'est pas sérieusement contesté que les acquisitions et cessions de joueurs, susceptibles d'intervenir à deux reprises lors de chaque année civile, à l'intersaison, soit entre mai et août, et lors de la pause hivernale, présentent un caractère récurrent pour un club de football professionnel comme l'AJ Auxerre ; que la perception d'indemnités de mutation constitue également un élément du modèle économique d'un tel club, au même titre que les recettes de billetterie, les droits audiovisuels et la vente de produits dérivés ; qu'en l'espèce, eu égard, d'une part, à la nature et à l'objet de l'activité d'exploitation d'un club de football professionnel et, d'autre part, au nombre de cessions effectuées et à leur montant particulièrement élevé, la SAOS AJ Auxerre Football ne peut qu'être regardée comme exerçant de manière habituelle une activité de vente de joueurs, indispensable à son équilibre financier ; que, dans ces conditions, les indemnités de mutation de joueurs perçues par la SAOS AJ Auxerre Football, bien que présentant le caractère de produits de cession d'immobilisations incorporelles, non totalement maîtrisés dans la mesure où ils requièrent l'accord du joueur salarié, ne constituaient pas des produits exceptionnels, mais des produits réalisés par la société requérante avec des tiers dans le cadre de son activité normale et courante de club sportif professionnel, devant être comptabilisés en produits ordinaires ; que la société requérante ne peut utilement se prévaloir ni des dispositions du 5. de l'annexe au règlement du 23 novembre 2004 susvisé du comité de la règlementation comptable, qui se bornent à indiquer que les indemnités de mutation reçues d'autres clubs doivent être comptabilisées en " résultat ", sans préciser s'il s'agit de produits exceptionnels ou de produits courants, ni des autres dispositions de ce règlement, qui concernent le traitement comptable des indemnités versées, et non pas de celles perçues, par les sociétés à objet sportif ; que, par suite, c'est à bon droit que l'administration a estimé que les recettes correspondant aux indemnités de mutation litigieuses devaient être prises en compte pour la détermination du chiffre d'affaires visé à l'article 1647 E du code général des impôts ;
En ce qui concerne la doctrine administrative :
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente " ;
7. Considérant que la société requérante ne peut utilement invoquer, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, les prévisions du paragraphe 27 de l'instruction 4 A-13-05 du 30 décembre 2005 relatives au traitement comptable des indemnités de mutation versées, et non pas reçues, par les sociétés à vocation sportive ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SAOS AJ Auxerre Football n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande ;
Sur les dépens :

9. Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article 1635 bis Q du code général des impôts, ainsi que les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens. " ;
10. Considérant que la présente instance ne comporte pas de dépens autres que la contribution pour l'aide juridique prévue par l'article 1635 bis Q du code général des impôts ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser cette contribution à la charge de la la SAOS AJ Auxerre Football ;





Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
11. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est ni la partie tenue aux dépens ni la partie perdante dans la présente instance ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SAOS AJ Auxerre Football est rejetée.
Article 2 : La contribution pour l'aide juridique de 35 euros prévue à l'article 1635 bis Q du code général des impôts est laissée à la charge de la SAOS AJ Auxerre Football.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAOS AJ Auxerre Football et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2013, à laquelle siégeaient :
M. Montsec, président de chambre,
Mme Mear, président-assesseur,
M. Meillier, conseiller.
Lu en audience publique, le 17 octobre 2013.

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N° 12LY02444



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