Conseil d'État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 13/02/2013, 350936, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 juillet et 17 octobre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Unibail Rodamco, dont le siège est 7, place du Chancelier Adenauer, CS 31622, à Paris (75772 Cedex 16) ; la société demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n°s 0504434 et 0703483 du 16 mai 2011 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de Versailles, statuant sur renvoi après cassation, a rejeté sa demande tendant, d'une part à l'annulation des décisions du directeur départemental de l'équipement des Hauts-de-Seine du 23 juillet 2004 et du 25 mars 2005 l'assujettissant à la redevance pour création de locaux à usage de bureaux en Ile-de-France et rejetant son recours gracieux, ainsi que de l'avis de mise en recouvrement émis à son encontre le 28 juillet 2004 et à la décharge de cette redevance ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu la décision n° 2012-225 QPC du 30 mars 2012 du Conseil constitutionnel déclarant conforme à la Constitution l'article L. 520-11 du code de l'urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Maïlys Lange, Auditeur,

- les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la société Unibail Rodamco,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la société Unibail Rodamco ;



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Unibail Holding, exploitant des locaux à Puteaux, a été assujettie au paiement de la redevance pour la création de locaux à usage de bureaux en Ile-de-France, à raison de la transformation sans déclaration préalable de 14 700 m² de surface hors oeuvre nette de locaux en bureaux ; que la société, devenue la société Unibail Rodamco, se pourvoit en cassation contre le jugement du 16 mai 2011 par lequel le tribunal administratif de Versailles, statuant sur renvoi après cassation d'un premier jugement en date du 6 novembre 2007, a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du directeur départemental de l'équipement des Hauts-de-Seine du 23 juillet 2004 décidant de son assujettissement à cette redevance, de la décision du 25 mars 2005 rejetant son recours gracieux et de l'avis de mise en recouvrement émis à son encontre le 28 juillet 2004 ;

2. Considérant que la société soutenait devant le tribunal que, dès leur achèvement, les locaux avaient été utilisés comme bureaux par les différentes entreprises qui les avaient pris en location et qu'ainsi, le délai de reprise de dix ans prévu par l'article L. 186 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable aux impositions en litige était expiré à la date de mise en recouvrement de la redevance ; que, pour écarter ce moyen, le tribunal s'est borné à relever qu'il résultait de l'instruction qu'à la date de la notification des bases d'imposition, le 23 août 2002, les travaux réalisés en vue de la transformation de surfaces d'exposition et de vente en locaux à usage de bureaux n'étaient pas achevés depuis plus de dix ans, sans se prononcer sur les éléments de nature à justifier cette appréciation ; qu'ainsi, eu égard à l'argumentation dont il était saisi, il a insuffisamment motivé son jugement ; que, par suite, la société requérante est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'article 2 de ce jugement qui a rejeté sa demande ;

3. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire " ; qu'il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée ;

Sur l'application de la loi fiscale :

4. Considérant que, d'une part, aux termes de l'article L. 520-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à l'imposition litigieuse : " Dans les zones comprises dans les limites de la région d'Ile-de-France telles qu'elles ont été fixées par l'article premier de la loi n° 76-394 du 6 mai 1976 et qui seront déterminées par décret en Conseil d'Etat, il est perçu une redevance à l'occasion de la construction de locaux à usage de bureaux et de locaux de recherche ainsi que de leurs annexes " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 520-2 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " La redevance est due par la personne physique ou morale qui est propriétaire des locaux à la date de l'émission de l'avis de mise en recouvrement. L'avis de mise en recouvrement doit être émis dans les deux ans qui suivent soit la délivrance du permis de construire, soit le dépôt des déclarations prévues par les articles L. 520-9 et R. 422-3, soit, à défaut, le début des travaux " ; qu'aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 520-9 du même code dans leur rédaction alors applicable : " Est assimilé, pour l'application du présent titre, à la construction de locaux à usage de bureaux ou de locaux de recherche le fait de transformer en de tels locaux des locaux précédemment affectés à un autre usage. / Les transformations de locaux visées au présent article devront à défaut d'une demande de permis de construire, faire l'objet d'une déclaration dont les modalités seront déterminées par le décret en conseil d'Etat prévu à l'article L. 520-11 " ; que, d'autre part, aux termes de l'article L. 186 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la date du fait générateur de l'imposition : " Dans tous les cas où il n'est pas prévu un délai de prescription plus court, le droit de reprise de l'administration s'exerce pendant dix ans à partir du jour du fait générateur de l'impôt " ;

5. Considérant que, dans l'hypothèse d'une construction ou d'une transformation en infraction aux dispositions relatives au permis de construire ou aux déclarations exigibles, seule trouve à s'appliquer la prescription prévue par les dispositions de l'article L. 186 du livre des procédures fiscales, qui court à compter de l'achèvement des travaux ou des aménagements exécutés sans autorisation ou sans déclaration en vue de la construction de locaux à usage de bureaux ou de locaux de recherche ou de la transformation en de tels locaux, fait générateur de l'imposition ;

6. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que les locaux litigieux sont situés au sein d'un " bâtiment affecté à l'exposition permanente de l'informatique ", dénommé " Infomart ", qui a fait l'objet d'un permis de construire du 23 décembre 1987 modifié le 12 juillet 1989, dans le cadre du réaménagement du Centre national des industries et des techniques (CNIT) ; qu'ils ont été présentés par l'auteur de la demande de permis initial comme destinés à une activité d'exposition et de vente et que cette destination n'a pas été affectée par le permis modificatif ; qu'ils n'ont d'ailleurs été soumis ni à l'agrément préalable du préfet, ni au paiement de la redevance pour la création de locaux à usage de bureaux en Ile-de-France prévue par l'article L. 520-1 du code de l'urbanisme ; que, par suite et alors même que ces locaux n'avaient pas fait l'objet d'une autorisation d'équipement commercial, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les permis de construire de 1987 et 1989 auraient autorisé, en ce qui concerne les surfaces litigieuses, la construction de bureaux et que l'avis de mise en recouvrement aurait dû, par suite, être émis dans les deux ans suivant leur délivrance en application de l'article L. 520-2 du code de l'urbanisme ;

7. Considérant, en second lieu, qu'en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci ; que, lorsque l'administration apporte la preuve que des locaux ont été transformés en locaux à usage de bureaux en infraction aux dispositions relatives au permis de construire ou aux déclarations exigibles, il appartient au contribuable qui entend se prévaloir de la prescription de l'action de l'administration de justifier de la date à laquelle cette transformation a été opérée ; qu'en l'espèce, si la société requérante soutient que les locaux en litige auraient été utilisés dès l'origine comme des bureaux, la seule circonstance que ces locaux, destinés tant à l'exposition qu'à la vente, n'auraient pas été librement accessibles au public mais réservés aux professionnels de l'informatique et de la communication ne suffit pas à les faire regarder comme des bureaux ; qu'inversement, l'administration apporte la preuve que la société propriétaire des locaux avait envisagé en 1993 la transformation de " show rooms " en bureaux, en déposant une déclaration de travaux ultérieurement retirée ; que, dans ces conditions, la société requérante n'établit pas qu'à la date du 23 août 2002 à laquelle la prescription a été interrompue, en application de l'article L. 189 du livre des procédures fiscales, par la lettre de la direction départementale de l'équipement l'informant de son intention de l'assujettir par voie de taxation d'office à la redevance en précisant ses éléments constitutifs et son montant, il s'était écoulé plus de dix ans depuis l'achèvement des aménagements destinés à transformer les locaux litigieux en locaux à usage de bureaux et qu'ainsi la prescription était acquise en application de l'article L. 186 du livre des procédures fiscales ;

Sur le bénéfice des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales :

8. Considérant que la circulaire du ministre de l'urbanisme, du logement et des transports n° 86-12 du 31 janvier 1986 relative au régime de la redevance pour création de locaux à usage de bureaux ou de locaux de recherche en région d'Ile-de-France range, au point 541 de son V, parmi les faits générateurs de cet impôt, le procès-verbal constatant une infraction aux dispositions légales et prévoit, dans son VI, qu'à peine de forclusion de l'action en recouvrement, l'avis de mise en recouvrement qui entraîne l'exigibilité de la redevance " doit être délivré dans les deux ans de la date du fait générateur " ; que les dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales permettent aux contribuables de se prévaloir des énonciations contenues dans les notes ou instructions publiées, qui ajoutent à la loi ou la contredisent, à la condition que les intéressés entrent dans les prévisions de la doctrine, appliquée littéralement, résultant de ces énonciations ;

9. Considérant que s'il résulte, ainsi qu'il a été dit, des règles légales de prescription applicables en l'espèce que le droit de reprise de l'administration expirait au terme de la dixième année qui suivait l'achèvement des aménagements exécutés en infraction aux dispositions relatives au permis de construire ou aux déclarations exigibles, la société Unibail Rodamco est fondée à soutenir, sur la base de la circulaire du 31 janvier 1986, que l'administration ne pouvait plus établir cette imposition deux ans après le procès-verbal du 11 mai 2000 ; qu'il est constant que l'avis par lequel les droits en litige ont été mis en recouvrement est daté du 27 juillet 2004, soit après l'expiration du délai de deux ans que la société requérante est en droit d'opposer à l'administration ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa demande, la société Unibail Rodamco est fondée à demander la décharge de la redevance pour création de locaux à usage de bureaux en litige et, par voie de conséquence, de la majoration appliquée sur le fondement des articles L. 520-11 et R. 520-10 du code de l'urbanisme ;

11. Considérant que les intérêts moratoires, prévus par l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, sont, en vertu des dispositions de l'article R. 208-1 du même code, " payés d'office en même temps que les sommes remboursées par le comptable chargé du recouvrement des impôts " ; qu'il n'existe aucun litige né et actuel entre le comptable et la société requérante au sujet de ces intérêts ; que, dès lors, les conclusions de la requête qui tendent au versement par l'Etat d'intérêts moratoires ne sont pas recevables ;

12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Unibail Rodamco sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés tant devant le Conseil d'Etat que devant le tribunal administratif de Versailles ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Versailles du 16 mai 2011 est annulé.
Article 2 : La société Unibail Rodamco est déchargée de la redevance pour création de locaux à usage de bureaux en Ile-de-France et de la majoration mises à sa charge à raison de la transformation des locaux dont elle est propriétaire à Puteaux.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la société Unibail Rodamco au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Unibail Rodamco est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Société Unibail Rodamco et à la ministre de l'égalité des territoires et du logement.

ECLI:FR:CESSR:2013:350936.20130213
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