Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre , 30/05/2011, 10PA03618, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le recours, enregistré le 20 juillet 2010, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ; le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0806083/7-2 en date du 21 juin 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite de rejet intervenue le 3 mars 2008, née du silence gardé par le directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris sur la demande d'agrément en qualité d'aumônier des établissements pénitentiaires de M. David A ;

2°) de confirmer la décision implicite susmentionnée, et de rejeter la demande présentée par M. A devant le tribunal ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 modifiée relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 avril 2011 :

- le rapport de M. Privesse, rapporteur,

- les conclusions de Mme Seulin, rapporteur public,

- et les observations de Me de Guillenchmidt, suppléant Me Goni, pour M. A ;

Considérant que, par une lettre du 31 décembre 2007, reçue le 3 janvier 2008 par le directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris, M. A a sollicité du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, son agrément en qualité d'aumônier bénévole des établissements pénitentiaires pour apporter une assistance spirituelle aux personnes détenues ; que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE relève régulièrement appel du jugement en date du 21 juin 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite de rejet née du silence gardé pendant plus de deux mois sur cette demande par l'autorité administrative, en relevant que cette décision ne pouvait être légalement fondée que sur des motifs tirés de l'atteinte à l'ordre public ;

Considérant d'une part, qu'aux termes des stipulations de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. / La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, et à la protection des droits et libertés d'autrui " ; qu'en outre, il résulte des dispositions des articles 1er, 18 et 19 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'Etat, en premier lieu, que les associations revendiquant le statut d'association cultuelle doivent avoir exclusivement pour objet l'exercice d'un culte, en deuxième lieu, qu'elles ne peuvent mener que des activités en relation avec cet objet telles que l'acquisition, la location, la construction, l'aménagement et l'entretien des édifices servant au culte ainsi que l'entretien et la formation des ministres et autres personnes concourant à l'exercice du culte et, en troisième lieu, que le fait que certaines des activités de l'association pourraient porter atteinte à l'ordre public s'oppose à ce que ladite association bénéficie du statut d'association cultuelle ;

Considérant d'autre part, qu'aux termes de l'article D. 432 du code de procédure pénale : " Chaque détenu doit satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle. / Il peut à ce titre participer aux offices ou réunions organisés par les personnes agréées à cet effet. " ; qu'aux termes de l'article D. 433 du même code : " Le service religieux est assuré, pour les différents cultes, par des aumôniers désignés par le directeur régional qui consulte à cet effet l'autorité religieuse compétente, et après avis du préfet./ (...) " ; que les articles D. 434 à D. 439 dudit code précisent les conditions dans lesquelles les aumôniers agréés et leurs auxiliaires sont autorisés à intervenir en milieu carcéral, pour organiser des offices et des réunions ou pour s'entretenir, sur place ou par voie épistolaire, avec les détenus ; qu'enfin, aux termes de l'article D. 404 du code de procédure pénale : " Sous réserve des motifs liés au maintien de la sécurité ou au bon ordre de l'établissement, le chef d'établissement ne peut refuser de délivrer un permis de visite aux membres de la famille d'un condamné ou à son tuteur. Toute autre personne peut être autorisée à rencontrer un condamné, s'il apparaît que ces visites contribuent à l'insertion sociale ou professionnelle de ce dernier " ;

Considérant que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE soutient que le tribunal administratif aurait commis une erreur de droit en estimant qu'aucune stipulation conventionnelle pourvue d'effet direct et aucune disposition législative ou réglementaire n'a prévu de conditionner la désignation d'un aumônier à des motifs autres que ceux qui s'attachent à l'ordre public, alors que toute association qui exerce un culte n'est pas nécessairement en droit de revendiquer le statut d'association cultuelle et que toute demande d'agrément suppose pour l'administration pénitentiaire de pouvoir organiser le culte en fonction des attentes de la population pénale, et non pas des sollicitations des associations cultuelles en question ; que ce n'est que lorsqu'une prison accueille un nombre suffisant de détenus appartenant à une même religion, qu'un représentant de celle-ci peut être agréé ; qu'il est patent que le culte des Témoins de Jéhovah est très peu présent en milieu pénitentiaire, les rares demandes de détenus s'en réclamant ne justifiant pas que l'administration procède à des recrutements d'aumôniers et à l'organisation de ce culte ;

Considérant en premier lieu, que la demande présentée par M. A d'agrément en tant qu'aumônier bénévole des établissements pénitentiaires pouvait être instruite au regard des dispositions des articles D. 433 et suivants du code de procédure pénale, du fait qu'il est constant d'une part, que l'association " Les Témoins de Jéhovah de France " bénéficiait du statut d'association cultuelle régie par la loi du 9 décembre 1905 susvisée, et que d'autre part, l'intéressé s'était vu reconnaître la qualité de ministre du culte ayant les compétences requises pour apporter une assistance spirituelle et religieuse aux détenus et célébrer les offices religieux, par une attestation en date du 23 février 2006 émanant de ladite association ;

Considérant en second lieu, que si la liberté de culte en milieu carcéral s'exerce sous réserve des prérogatives dont dispose l'autorité administrative aux fins de préserver l'ordre et la sécurité au sein des établissements pénitentiaires, aucune disposition législative ou réglementaire ne conditionne la désignation d'un aumônier à un nombre minimum de détenus susceptibles de recourir à son assistance spirituelle ; que, dès lors, en invoquant de façon générale, ainsi que cela ressort du recours ministériel, l'insuffisance du nombre de détenus se revendiquant de la confession des Témoins de Jéhovah, pour refuser de délivrer à M. A un agrément en qualité d'aumônier, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris s'est fondé sur un motif qui n'était pas de nature a justifier légalement une telle décision ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite litigieuse en relevant qu'elle ne reposait pas sur des motifs d'ordre public ;

Sur la demande incidente tendant à l'exécution du jugement attaqué :

Considérant que les conclusions incidentes de M. A tendant à ce que la Cour veille à l'exécution du jugement attaqué du 21 juin 2010, en tant qu'il à enjoint à l'administration de procéder au réexamen de sa demande d'agrément soulèvent un litige distinct de celui soumis à la Cour par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ; que ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables ;

Sur les conclusions incidentes à fin d'injonction :

Considérant que, compte tenu du nouveau refus d'agrément opposé à M. A le 23 mars 2011 et eu égard au pouvoir de l'administration pénitentiaire d'organiser les différents cultes en fonction des attentes de la population pénale et de la répartition au niveau interrégional des demandes d'agrément présentées par les ministres du culte concerné, il y a lieu pour la Cour d'enjoindre à l'administration de procéder à un nouvel examen de la demande de l'intimé en tenant compte des motifs retenus par le présent arrêt ; qu'il convient, dès lors, d'enjoindre au GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE de satisfaire à cette obligation dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en faveur de M. A au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :
Article 1er : Le recours du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE est rejeté.
Article 2 : Il est enjoint au GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES de procéder au réexamen de la demande de M. A dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, en prenant en compte les attentes de la population pénale ainsi que la répartition au niveau interrégional des agréments demandés et délivrés aux ministres du culte concernés.
Article 3 : L'Etat versera à M. A la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les surplus des conclusions incidentes et reconventionnelles de M. A sont rejetés.
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