Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 17/01/2011, 334156
Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 17/01/2011, 334156
Conseil d'État - 5ème et 4ème sous-sections réunies
- N° 334156
- ECLI:FR:CESSR:2011:334156.20110117
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
lundi
17 janvier 2011
- Président
- M. Stirn
- Rapporteur
- M. Jean-Dominique Langlais
- Avocat(s)
- SCP ODENT, POULET
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire enregistré le 27 novembre 2009 et le mémoire complémentaire enregistré le 23 février 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE MASSELS (Lot-et-Garonne), représentée par son maire ; la COMMUNE DE MASSELS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° D8BX00255 du 29 septembre 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à la réformation du jugement du 27 novembre 2007 du tribunal administratif de Bordeaux, a porté à 8000 euros la somme qu'elle a été condamnée à payer aux ayants droits de Mme Louise A par le jugement précité en réparation du préjudice résulté de la faute commise par son maire dans l'attribution des concessions funéraires du cimetière Sainte-Quitterie, et lui a enjoint de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer l'inhumation de Mme Louise A conformément aux dispositions de la concession funéraire qui lui a été accordée le 28 janvier 1996 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête d'appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Odent, Poulet, avocat de la COMMUNE DE MASSELS,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Odent, Poulet, avocat de la COMMUNE DE MASSELS ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu'il ressort des termes de l'arrêt attaqué qu'après avoir relevé que le maire de Massels avait commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune " en accordant le 28 janvier 1996 à Mme Louise A une concession funéraire qui empiète sur la sépulture F, rend impossible son inhumation aux côtés de son époux " et " méconnaît les dispositions de l'article R. 2223-4 du code général des collectivités territoriales, qui prévoit notamment que les fosses sont distantes les unes des autres de 30 à 40 cm sur les côtés ", la cour administrative d'appel de Bordeaux a enjoint à la COMMUNE DE MASSELS " de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer l'inhumation de Mme A conformément aux stipulations de la concession qui lui a été accordée le 28 janvier 1996 " ; qu'en enjoignant ainsi à la commune d'assurer une inhumation dans des conditions dont elle venait de juger qu'elles étaient matériellement impossibles et contraires au code général des collectivités territoriales, la cour a commis une erreur de droit qui justifie l'annulation de son arrêt ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant que les requêtes enregistrées au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux sous les n° 08BX00255 et 08BX02742 et les demandes d'exécution présentées par les consorts A concernent le même jugement du tribunal administratif de Bordeaux ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par une même décision ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 634-1 du code de justice administrative : " Dans les affaires qui ne sont pas en état d'être jugées, la procédure est suspendue par la notification du décès d'une des parties (...). Cette suspension dure jusqu'à la mise en demeure pour reprendre l'instance ou constituer avocat " ; qu'il ressort des pièces du dossier qu'après le décès de Mme Louise A, survenu le 12 juillet 2007, deux de ses ayants droit, M. Hubert A et Mme Denise E, ont repris l'instance le 7 août 2007 ; que quand bien même les autres héritiers de l'intéressée auraient déclaré ne pas souhaiter s'associer à cette action, le tribunal administratif a pu régulièrement, sans méconnaître les dispositions de l'article R. 634-1 du code de justice administrative, statuer sans suspendre la procédure dès lors que l'expert ayant rendu son rapport et les parties ayant pu s'exprimer de manière contradictoire sur ses éléments, l'affaire était en état lorsqu'il a statué ; que par suite, la COMMUNE DE MASSELS n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait irrégulier ;
Sur le fond :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 2213-8 du code général des collectivités territoriales : " Le maire assure la police des cimetières " ; qu'aux termes des dispositions de l'article L. 2213-13 du même code : " Lorsque l'étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture.... " ; qu'aux termes de l'article R. 2223-3 : " Chaque inhumation a lieu dans une fosse séparée. / Chaque fosse a 1,50 mètre à 2 mètres de profondeur sur 80 centimètres de largeur. " ; que l'article R. 2223-4 précise : " Les fosses sont distantes les unes des autres de 30 à 40 centimètres sur les côtés, et de 30 à 50 centimètres à la tête et aux pieds " ;
Considérant, d'une part, que la COMMUNE DE MASSELS n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué du tribunal administratif de Bordeaux, qui l'a condamnée à la demande des consorts A à réparer la faute commise par son maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police des cimetières, méconnaîtrait l'autorité de la chose jugée par le même tribunal dans un jugement du 18 novembre 2004 rendu dans un litige opposant la commune à M. C, titulaire d'une autre concession funéraire voisine, et relatif à la destruction d'un muret, dès lors que ce jugement a été rendu dans un litige différent du présent litige dans sa cause, son objet et ses parties ;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que Mme A a, par acte du 28 janvier 1996, acquis une concession perpétuelle de 5,4 mètres carrés dans le cimetière de la COMMUNE DE MASSELS destinée à lui permettre d'être inhumée aux côtés Nord de son époux enterré en terrain commun depuis 1962 ; que le 5 décembre 1996 Mme G a acquis une concession de 3 mètres carrés dans le même cimetière, que la commune a localisée aux côtés Nord de la tombe de M. A et dans laquelle Mme G a fait inhumer un proche, M. B, en 2004 ; qu'il résulte du rapport de l'expert que la commune, par suite de l'absence de plan de gestion du cimetière et d'identification précise des parcelles concédées dans les actes de concession, a successivement attribué la même parcelle à deux concessionnaires différents ; que le maire a ainsi commis une faute dans l'exercice de ses pouvoirs de gestion et de police des cimetières de nature à engager la responsabilité de la commune ; que, dès lors, celle-ci n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux l'a condamnée à réparer le préjudice ayant résulté de l'impossibilité d'inhumer Mme A aux côtés de son époux ; que ses conclusions à fin de suspension du jugement attaqué sont, par suite, dépourvues d'objet ;
Sur l'appel incident des consorts A :
Considérant qu'il résulte également de l'instruction que depuis son décès, Mme A repose dans un caveau d'attente du cimetière de la commune de Penne-d'Agenais ; que cette inhumation provisoire résultant de la faute du maire de Massels, il y a lieu d'en mettre les frais à la charge de la commune ; que la circonstance que ces frais représenteraient une part importante du produit des impôts locaux de la commune est sans incidence sur le droit à réparation des consorts A ; qu'il y a lieu, par suite, de faire droit à leurs conclusions incidentes, et de porter à 8 000 euros la somme que la COMMUNE DE MASSELS a été condamnée à leur verser au titre des frais d'inhumation provisoire de leur mère et des troubles de toute nature dans leurs conditions d'existence engendrés par cette situation ;
Sur les conclusions à fin d'exécution et d'injonction :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que conformément à l'injonction qui lui a été faite par le jugement attaqué, la COMMUNE DE MASSELS a recherché l'accord du plus proche parent de M. B, dont la sépulture occupe, comme il a été dit, l'emplacement situé aux côtés Nord de la tombe de M. A, afin d'autoriser son exhumation et son transfert en un autre lieu du cimetière et de permettre l'inhumation de Mme A aux côtés de son époux ; que ces diligences sont toutefois demeurées vaines ; que les conclusions à fin d'exécution du jugement attaqué ne peuvent par suite qu'être écartées ;
Considérant, en revanche, que l'exécution du présent arrêt implique que la COMMUNE DE MASSELS recherche l'accord des consorts A, pour assurer à ses frais exclusifs l'exhumation de M. Ludovic A, le transfert du corps de Mme Louise A, et leur inhumation commune sur une concession funéraire d'une superficie de 5,4 mètres carrés, correspondant à la superficie prévue par la concession funéraire accordée à Mme A le 28 janvier 1996, à localiser à l'intérieur du cimetière Sainte-Quitterie ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 :
Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la COMMUNE DE MASSELS le versement d'une somme de 6 000 euros à M. Hubert A et à Mme Denise E au titre des frais exposés par eux tant en première instance qu'en appel ; qu'en revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. Hubert A et de Mme Denise E, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la COMMUNE DE MASSELS d'une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 29 septembre 2009 est annulé.
Article 2 : La requête n° 08BX00255 de la COMMUNE DE MASSELS devant la cour administrative d'appel de Bordeaux est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 08BX02472 devant la cour administrative de Bordeaux de la COMMUNE DE MASSELS.
Article 4 : La somme que la COMMUNE DE MASSELS a été condamnée à payer aux ayants droits de Mme A par le jugement du tribunal administratif de Bordeaux en date du 27 novembre 2007 est portée à 8 000 euros.
Article 5 : Il est enjoint à la COMMUNE DE MASSELS de rechercher l'accord des consorts A, pour assurer à ses frais exclusifs l'exhumation de M. Ludovic A, le transfert du corps de Mme Louise A, et leur inhumation commune sur une concession funéraire d'une superficie de 5,4 mètres carrés à localiser à l'intérieur du cimetière Sainte-Quitterie, conformément aux dispositions de la concession funéraire accordée à Mme A le 28 janvier 1996.
Article 6 : Le jugement du 27 novembre 2007 du tribunal administratif de Bordeaux est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel des consorts A est rejeté.
Article 8 : La COMMUNE DE MASSELS versera à M. Hubert A et à Mme Denise E une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 9 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE MASSELS, à M. Hubert A, à Mme Denise E, à Mme Maryse G, à Mme Sabine C, à Mme Bénédicte H, à Mme Jordane I, à M. Renaud C et à M. Pierre C.
Copie en sera adressée pour information au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.