Conseil d'État, Juge des référés, 27/10/2010, 343966, Publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 25 octobre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Stéphane A, demeurant ..., M. Jérôme B, demeurant ..., M. Cyril C, demeurant ... et la FEDERATION NATIONALE DES INDUSTRIES CHIMIQUES CGT, dont le siège est 263 rue de Paris à Montreuil (93514), représentée par son secrétaire fédéral ; M. A et autres demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1006866 du 23 octobre 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté leur demande tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté n° 2010-303 du 22 octobre 2010 du préfet des Yvelines portant réquisition de personnels de l'établissement pétrolier de Gargenville ;

2°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté de réquisition n° 2010-303 du 22 octobre 2010 du préfet des Yvelines ;

3°) d'enjoindre au préfet des Yvelines de ne faire appel à la réquisition de personnel gréviste que dans le respect des limites légales qui lui sont imposées ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



ils soutiennent que l'urgence est caractérisée par l'effet immédiat de la réquisition ordonnée par l'arrêté attaqué, qui a pris effet dès sa notification intervenue le 22 octobre 2010, et ce pour une durée de six jours ; que la réquisition porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève, qui constitue une liberté fondamentale ; qu'en effet, la réquisition n'est nullement restreinte à la satisfaction des besoins essentiels et tend au contraire à assurer le fonctionnement normal des moyens de l'entreprise et des consommateurs qu'elle approvisionne ; que les motifs de l'arrêté ne sont pas conformes à son dispositif ; que le préfet n'a nullement démontré qu'il ne disposait pas d'autres moyens pour atteindre l'objectif poursuivi ; que le préfet a illégalement délégué à l'entreprise les modalités de la réquisition ; que le préfet n'a pas justifié d'une atteinte à l'ordre public au sens de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales ;


Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu l'intervention, enregistrée le 26 octobre 2010, présentée pour la Confédération Générale du Travail, dont le siège est 263, rue de Paris à Montreuil (93516) ; la Confédération Générale du Travail demande que le Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la requête n° 343966 ; elle se réfère aux moyens exposés dans cette requête ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 26 octobre 2010, présenté par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que la réquisition est justifiée par les troubles à l'ordre public résultant ou pouvant résulter de la pénurie de carburant aérien à l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle et de la pénurie d'essence et de gazole en Ile de France ; que la réquisition de l'établissement de Gargenville respecte la condition de subsidiarité ; qu'elle est proportionnée, en ce qui concerne les missions imparties et les effectifs réquisitionnés, à ce qui est nécessaire pour prévenir et faire cesser le trouble à l'ordre public ; que le pouvoir de police n'a pas été délégué à l'exploitant de l'établissement ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. Stéphane A et autres, et, d'autre part, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales ;

Vu le procès verbal de l'audience publique du mardi 26 octobre 2010, à 16 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Masse-Dessen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A et autres ;

- les représentants des requérants ;

- les représentants du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales ;




Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ;

Sur l'intervention de la Confédération Générale du Travail :

Considérant que la Confédération Générale du Travail a intérêt à la suspension de l'arrêté de réquisition n° 2010-303 du 22 octobre 2010 ; qu'ainsi son intervention est recevable ;

Sur la requête :

Considérant que par arrêté du 22 octobre 2010, le préfet des Yvelines a réquisitionné, sur le fondement du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, pour une durée de six jours, certains personnels de l'établissement pétrolier de Gargenville, exploité par la société Total ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales : (...) 4° En cas d'urgence, lorsque l'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l'exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d'entre elles, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l'usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu'à ce que l'atteinte à l'ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées. / L'arrêté motivé fixe la nature des prestations requises, la durée de la mesure de réquisition ainsi que les modalités de son application (...) ;

Considérant que le droit de grève présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que toutefois le préfet peut légalement, sur le fondement des dispositions du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, requérir les salariés en grève d'une entreprise privée dont l'activité présente une importance particulière pour le maintien de l'activité économique, la satisfaction des besoins essentiels de la population ou le fonctionnement des services publics, lorsque les perturbations résultant de la grève créent une menace pour l'ordre public ; qu'il ne peut prendre que les mesures nécessaires, imposées par l'urgence et proportionnées aux nécessités de l'ordre public ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, le 22 octobre 2010, les stocks de carburant aérien à l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle ne couvraient plus que trois jours de consommation et devaient être complétés en raison des délais de traitement et de livraison nécessaires ; que l'incapacité de l'aéroport à alimenter les avions en carburant aérien pouvait conduire au blocage de nombreux passagers, notamment en correspondance, et menacer la sécurité aérienne en cas d'erreur de calcul des réserves d'un avion ; que par ailleurs la pénurie croissante d'essence et de gazole en Ile de France le 22 octobre 2010 menaçait le ravitaillement des véhicules de services publics et de services de première nécessité et créait des risques pour la sécurité routière et l'ordre public ;

Considérant que la réquisition de l'établissement de Gargenville, en raison de ses stocks de carburant aérien et de sa capacité de traitement de kérosène, constituait une solution nécessaire, dans l'urgence, à la prévention du risque de pénurie totale de carburant aérien à l'aéroport, en l'absence d'autres solutions disponibles et plus efficaces ; qu'en raison de sa situation, cet établissement représentait également une solution nécessaire à l'approvisionnement en urgence de la région Ile de France en essence et en gazole ;

Considérant que le personnel requis par l'arrêté du 22 octobre 2010 est limité aux équipes de quart nécessaires, notamment pour des raisons de sécurité, à l'accomplissement des fonctions de livraison de carburant aérien, de traitement du kérosène et de livraison d'essence et de gazole correspondant aux nécessités de l'ordre public ; que les effectifs ainsi concernés ne représentent qu'une fraction de l'effectif total de l'établissement ; que, dans ces conditions, la détermination de l'effectif des salariés requis n'est pas, en l'état de l'instruction, entachée d'une illégalité manifeste, alors même que les salariés requis, eu égard à leurs fonctions, représenteraient l'essentiel des salariés grévistes ;

Considérant que si l'arrêté du 22 octobre 2010 inclut dans la réquisition les fonctions de réception de carburants et de réception et livraison de fioul domestique, qui ne correspondent pas aux nécessités d'ordre public invoquées, l'administration a indiqué à l'audience publique que ces mentions étaient erronées, n'étaient pas appliquées et ne pouvaient pas l'être ; que, dans ces conditions, l'intervention du juge des référés, sous forme d'injonction, n'apparaît pas nécessaire ;

Considérant enfin que la circonstance que le préfet a, après avoir indiqué les motifs de la réquisition, sa durée, les prestations requises, les effectifs requis ainsi que leur répartition, laissé à l'exploitant de l'établissement le soin d'en gérer l'activité dans ces conditions, ne constitue pas une illégalité manifeste ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en l'état de l'instruction, la requête de M. A et autres doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de la Confédération Générale du Travail est admise.
Article 2 : La requête de M. A et autres est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Stéphane A, à M. Jérôme B, à M. Cyril C, à la FEDERATION NATIONALE DES INDUSTRIES CHIMIQUES CGT, à la Confédération générale du travail et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer de des collectivités territoriales.

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