Conseil d'État, 10ème sous-section jugeant seule, 15/12/2010, 332186, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi enregistré le 22 septembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour l'OFFICE FRANCAIS DE PROTECTION DES REFUGIES ET APATRIDES, dont le siège est 201, rue Carnot à Fontenay-sous-Bois Cedex (94136) ; l'OFFICE FRANCAIS DE PROTECTION DES REFUGIES ET APATRIDES demande au Conseil d'Etat d'annuler la décision n° 605721 du 20 juillet 2009 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile, statuant sur le recours de Mme Tatevik A, épouse B, a, d'une part, annulé la décision du 29 mars 2007 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant sa demande d'admission au statut de réfugié et, d'autre part, accordé à l'intéressée le bénéfice de la protection subsidiaire ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention de Genève relative aux réfugiés ;

Vu la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thierry Carriol, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de Me Foussard, avocat de l'office français de protection des réfugiés et apatrides et de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de Mme A, épouse B,

- les conclusions de M. Julien Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Foussard, avocat de l'office français de protection des réfugiés et apatrides et à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de Mme A, épouse B ;




Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi ;

Considérant que Mme A, épouse B, de nationalité arménienne, a déposé le 23 mai 2007 une demande d'admission au statut de réfugié, tout comme son époux de même nationalité ; que cette demande a été rejetée pour chacun des époux le 29 mars 2007 par une décision du directeur général de l'OFFICE FRANÇAIS DE PROTECTION DES REFUGIES ET APATRIDES ; que la Cour nationale du droit d'asile, saisie par les intéressés, a, d'une part, par décision du 20 juillet 2009, accordé à M. B, le bénéfice de la protection subsidiaire, et d'autre part, par décision du même jour, décidé que Mme A, épouse B, était seulement fondée à se prévaloir de la protection subsidiaire en vertu du principe de l'unité de famille ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er A 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951, dans sa rédaction résultant du protocole de New York du 31 janvier 1967, la qualité de réfugié est reconnue à toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; qu'aux termes des articles L. 712-1 et L. 712-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : Sous réserve des dispositions de l'article L. 712-2, le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mentionnées à l'article L. 711-1 et qui établit qu'elle est exposée dans son pays à l'une des menaces graves suivantes : a) La peine de mort ; b) la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; c) S'agissant d'un civil, une menace grave, directe ou individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international (...). Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé pour une période d'un an renouvelable. Le renouvellement peut être refusé à chaque échéance lorsque les circonstances ayant justifié l'octroi de la protection ont cessé d'exister ou ont connu un changement suffisamment profond pour que celle-ci ne soit plus requise (...) ;

Considérant qu'aux termes du 2 de l'article 23 de la directive du Conseil en date du 29 avril 2004 : Les Etats membres veillent à ce que les membres de la famille du bénéficiaire (...) du statut conféré par la protection subsidiaire (...) puissent prétendre aux avantages visés aux articles 24 à 34, conformément aux procédures nationales et dans la mesure où cela est compatible avec le statut juridique personnel du membre de la famille. / En ce qui concerne les membres de la famille des bénéficiaires du statut conféré par la protection subsidiaire, les Etats membres peuvent fixer les conditions régissant ces avantages. / Dans ce cas, les Etats membres veillent à ce que les avantages accordés garantissent un niveau de vie adéquat ; que le 2 de l'article 24 de la même directive prévoit qu'un titre de séjour valable au moins un an est délivré aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux membres de leur famille à moins que des raisons impérieuses d'ordre public ne s'y opposent ;

Considérant que, conformément aux objectifs de cette directive, le législateur a, par l'article 12 ter de l'ordonnance du 2 novembre 1945, applicable à la date de la décision attaquée, codifié ensuite à l'article L. 313-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, prévu que sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue à l'article 12 bis est délivrée de plein droit à l'étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire (...) ainsi qu'à son conjoint et à ses enfants mineurs ou dans l'année qui suit leur dix-huitième anniversaire lorsque le mariage est antérieur à la date de cette obtention ou, à défaut, lorsqu'il a été célébré depuis au moins un an, sous réserve d'une communauté de vie effective entre les époux ;

Considérant que, pour accorder la protection subsidiaire à Mme A, épouse B, la Cour nationale du droit d'asile s'est fondée sur ce que l'intéressée, en sa qualité d'épouse d'un compatriote à qui venait d'être octroyée la même protection, était fondée à se prévaloir du principe de l'unité de famille qui est au nombre des principes généraux du droit applicables aux réfugiés, tels qu'ils résultent notamment de la convention de Genève ; qu'en fondant sa décision sur ce motif alors qu'il résulte de l'ensemble des dispositions précitées que le droit des réfugiés résultant de cette convention n'est pas applicable aux personnes relevant du régime de la protection subsidiaire, défini tant par la directive du Conseil en date du 29 avril 2004 que par les dispositions de droit interne qui en assurent la transposition, la cour a entaché sa décision d'erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'OFFICE FRANÇAIS DE PROTECTION DES REFUGIES ET APATRIDES est fondé à demander l'annulation de la décision en date du 20 juillet 2009 de la Cour nationale du droit d'asile en tant qu'elle a accordé à Mme A, épouse B, le bénéfice de la protection subsidiaire en se fondant, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, sur un motif erroné en droit ; qu'il appartient à Mme A, épouse B, de solliciter auprès du préfet territorialement compétent la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'il y a lieu enfin, de renvoyer l'affaire devant la Cour nationale du droit d'asile, à qui il reviendra de se prononcer, compte tenu des motifs de la présente décision, sur l'admission de Mme A, épouse B, au bénéfice de la protection subsidiaire ;

Considérant que les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'OFFICE FRANÇAIS DE PROTECTION DES REFUGIES ET APATRIDES, qui n'est pas dans la présente affaire la partie perdante, la somme que demande la SCP de Chaisemartin-Courjon, avocat de Mme A, épouse B ;



D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er et 2 de la décision en date du 20 juillet 2009 de la Cour nationale du droit d'asile sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la Cour nationale du droit d'asile.
Article 3 : Les conclusions de la SCP de Chaisemartin-Courjon, avocat de Mme A, épouse B, au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'OFFICE FRANÇAIS DE PROTECTION DES REFUGIES ET APATRIDES et à Mme Tatevik A, épouse B.

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