Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 17/03/2010, 315831, Publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu le pourvoi, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 30 avril 2008, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE ; le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1er à 3 de l'arrêt du 21 février 2008 par lesquels la cour administrative d'appel de Versailles a, d'une part, déchargé M. Jean-Hubert A des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2000 à concurrence de la différence entre le montant réintégré par l'administration dans la base imposable et celui correspondant aux quatre douzièmes de l'avantage perçu par le contribuable ainsi que des pénalités correspondantes, d'autre part, réformé le jugement du tribunal administratif de Versailles du 29 mars 2005 en ce qu'il avait de contraire et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention entre la France et la Belgique tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôt sur le revenu, signée à Bruxelles le 10 mars 1964 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc El Nouchi, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Copper-Royer, avocat de M. A,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Copper-Royer, avocat de M. A ;




Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A, salarié de la société Total Fina SA France, a bénéficié de l'attribution, le 5 septembre 1995, de 2 500 options d'achat d'actions au prix unitaire de 290,98 F (44,36 euros) ; que M. A, qui a été détaché en Belgique en qualité de directeur des ressources humaines de la société Petrofina, filiale belge de la société Total Fina SA France, entre le 1er août 1999 et le 31 août 2000, a procédé à la levée, le 3 février 2000, de 120 de ses options et, le 29 mai 2000, de 580 d'entre elles ; que les actions acquises par M. A à la suite de la levée de ces options ont été immédiatement revendues ; qu'à la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a constaté que M. A, qui avait conservé la qualité de résident fiscal en France, avait omis de porter sur sa déclaration de revenus pour l'année 2000 la somme égale à l'avantage correspondant à la différence entre la valeur des actions à la date de chacune des levées d'options et le prix d'achat de ces actions ; qu'elle a réintégré le montant de cet avantage dans le revenu imposable du contribuable dans la catégorie des traitements et salaires dès lors que les levées de l'option avaient été exercées avant l'expiration de la période d'indisponibilité des actions et mis en recouvrement les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et les pénalités correspondantes ; que le contribuable a demandé en vain à l'administration que ce revenu soit imposé en France seulement à raison des quatre douzièmes correspondant au prorata de son temps de présence en France au cours de l'année 2000 ; que, par jugement du 29 mars 2005, le tribunal administratif de Versailles a accordé à M. A la réduction de cette imposition à concurrence de la diminution en base, de sept cinquante-quatrièmes de la somme non déclarée au titre de la cession d'actions intervenue le 3 février 2000, et de dix cinquante-septièmes de la somme non déclarée au titre de la cession intervenue le 29 mai 2000 ; que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE se pourvoit en cassation contre les articles 1er, 2 et 3 de l'arrêt du 21 février 2008 par lesquels la cour administrative d'appel de Versailles a accordé à M. A la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu à concurrence de la diminution, en base, de huit douzièmes des sommes non déclarées, réformé le jugement du tribunal en ce qu'il avait de contraire et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant, d'une part, qu'aux termes du I de l'article 80 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : L'avantage correspondant à la différence entre la valeur réelle de l'action à la date de levée d'une option accordée dans les conditions prévues aux articles 208-1 à 208-8-2 modifiés de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, et le prix de souscription ou d'achat de cette action constitue pour le bénéficiaire un complément de salaire imposable dans les conditions prévues au II de l'article 163 bis C ; qu'aux termes du II de l'article 163 bis C du même code, dans sa rédaction alors applicable : Si les conditions prévues au I ne sont pas remplies, l'avantage mentionné à l'article 80 bis est ajouté au revenu imposable de l'année au cours de laquelle le salarié aura converti les actions au porteur ou en aura disposé. / (...) ; qu'aux termes du I du même article, dans sa rédaction alors applicable : L'avantage défini à l'article 80 bis est imposé lors de la cession des titres, selon le cas, dans des conditions prévues à l'article 150-0 A ou 150 A bis si les actions acquises revêtent la forme nominative et demeurent indisponibles, suivant des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat, jusqu'à l'achèvement d'une période de cinq années à compter de la date d'attribution de l'option. / (...) ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'avantage égal à la différence entre la valeur réelle d'une action à la date de la levée de l'option et le prix de souscription ou d'achat de cette action, correspondant à la plus-value d'acquisition réalisée par le bénéficiaire, constitue pour celui-ci un complément de salaire imposable au titre de l'année au cours de laquelle cette action a été cédée dès lors que cette cession est intervenue avant l'expiration d'un délai de cinq ans courant à compter de la date d'attribution de l'option ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 22 de la convention entre la France et la Belgique en matière d'impôt sur le revenu, signée à Bruxelles le 10 mars 1964 : Tout terme non spécialement défini dans la présente convention aura, à moins que le contexte n'exige une autre interprétation, la signification que lui attribue la législation régissant, dans chaque Etat contractant, les impôts faisant l'objet de la convention ; qu'aux termes de l'article 11 de la même convention : 1. Sous réserve des dispositions des articles 9, 10 et 13 de la présente convention, les traitements, salaires et autres rémunérations analogues ne sont imposables que dans l'Etat contractant sur le territoire duquel s'exerce l'activité personnelle source de ces revenus ; qu'il résulte de ces stipulations que, sous réserve des stipulations des articles 9, 10 et 13 de la convention, un revenu que le droit national assimile à un salaire ou à un traitement n'est imposable en France que pour autant que l'activité qu'il rémunère a été exercée sur le territoire français ;

Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions précitées du code général des impôts et des stipulations d'une convention fiscale bilatérale, telles que celles précitées de la convention fiscale franco-belge, que la plus-value d'acquisition n'est imposable en tant que salaires en France, lorsque ces actions ont été cédées avant l'expiration d'un délai de cinq ans courant à compter de la date d'attribution des options, que pour autant que l'activité, que rémunère l'attribution d'options de souscription ou d'achat d'actions, a été exercée sur le territoire français ; que, lorsque le règlement du plan d'options arrêté par l'entreprise ou le cas échéant la lettre d'attribution des options adressée au bénéficiaire soumet l'exercice de ces options à une ou plusieurs conditions, l'activité rémunérée par l'attribution de ces options est celle qui a été exercée entre la date de cette attribution et la date à compter de laquelle ce bénéficiaire est en droit de lever ces options ; que le point de savoir à compter de quelle date le bénéficiaire d'options de souscription ou d'achat d'actions est en droit de lever ces options est une question de fait sur laquelle le juge de l'impôt se prononce au vu du règlement du plan d'options et le cas échéant de la lettre par laquelle l'entreprise attribue des options au bénéficiaire ainsi que de l'ensemble des pièces du dossier qui lui est soumis ; que, dans le cas où les options attribuées ne peuvent être levées qu'après l'expiration d'un délai prévu par le règlement du plan d'options ou par la lettre d'attribution des options, la plus-value d'acquisition réalisée du fait de la levée de l'option est imposable par chacun des Etats parties à la convention en proportion du nombre de jours travaillés par le bénéficiaire sur le territoire respectif de chacun de ces Etats pendant la période comprise entre la date de leur attribution et la date correspondant à l'expiration de ce délai qui lui confère le droit de procéder à leur levée ; que l'existence d'une condition de présence du bénéficiaire dans l'entreprise à la date à laquelle il lève l'option, qui n'a, quant à elle, que pour objet de déterminer le droit de l'intéressé à cette levée, est sans incidence sur la règle sus-énoncée ; qu'en revanche, en l'absence de délai prévu par le règlement du plan d'options ou par la lettre d'attribution des options, le bénéficiaire est en droit de procéder immédiatement à la levée des options qui lui sont attribuées de sorte que cet avantage est alors entièrement imposable par l'Etat sur le territoire duquel le contribuable exerçait son activité professionnelle à la date de l'attribution des options de souscription ou d'achat d'actions ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant, après avoir estimé à bon droit que le contribuable entrait dans le champ d'application des stipulations du 1 de l'article 11 de la convention fiscale franco-belge, que la plus-value d'acquisition réalisée par M. A, correspondant à l'avantage égal à la différence entre la valeur réelle des actions aux dates de la levée de l'option les 3 février 2000 et le 29 mai 2000 et le prix d'achat de ces actions qui lui avaient été attribuées le 5 septembre 1995, ne pouvait être imposable en France qu'à raison des quatre douzièmes correspondant au prorata du temps d'activité du contribuable en France au cours de l'année 2000 pendant laquelle il avait levé ces options au motif que, quel que soit l'objectif poursuivi lors de l'attribution de ce complément de salaire, seule l'année du fait générateur de l'impôt pouvait être prise en compte pour répartir le droit d'imposer entre la France et la Belgique, en l'absence de stipulation expresse dans la convention franco-belge dérogeant à la règle énoncée au II de l'article 163 bis C du code général des impôts, la cour a commis une erreur de droit ; que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE est ainsi fondé à demander l'annulation des articles 1er, 2 et 3 de l'arrêt attaqué ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par M. A devant le Conseil d'Etat au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;







D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 21 février 2008 sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. A devant le Conseil d'Etat et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT et à M. Jean-Hubert A.

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