Conseil d'État, 9ème sous-section jugeant seule, 11/06/2009, 321573, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 14 octobre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Alain B, demeurant ... ; M. B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 16 septembre 2008 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa protestation tendant, d'une part, à l'annulation des opérations électorales qui ont eu lieu le 9 mars 2008 pour la désignation des conseillers municipaux de la commune de Givors (Rhône), d'autre part, à ce que le compte de campagne de M. Martial E soit déclaré irrégulier et à ce que M. E soit déclaré inéligible ;

2°) d'annuler les opérations électorales qui ont eu lieu le 9 mars 2008 pour la désignation des conseillers municipaux de la commune de Givors ;

3°) de constater l'irrégularité du compte de campagne de M. E et de le rejeter, et de déclarer M. E inéligible et d'annuler son élection en tant que conseiller municipal ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code électoral ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Combes, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public ;



Considérant que, lors des opérations électorales qui se sont déroulées le 9 mars 2008 en vue de la désignation des conseillers municipaux de la commune de Givors (Rhône), l'élection a été acquise au premier tour de scrutin, la liste conduite par M. Martial E, maire sortant, obtenant 52,61 % des suffrages exprimés et 27 sièges, celle conduite par M. Georges C 25,72 % des suffrages exprimés et 4 sièges et celles conduites respectivement par MM. Mohamed A et Roger D 10,12 % et 7,78 % des suffrages exprimés et chacune un siège ; que M. B, candidat en cinquième position sur la liste de M. C, demande l'annulation du jugement du 16 septembre 2008 par lequel le tribunal administratif de Lyon, après avoir jugé que deux irrégularités avaient été commises par la liste de M. E, a jugé qu'elles n'avaient pas été de nature, dans les circonstances de l'espèce, à altérer la sincérité du scrutin et a rejeté sa protestation tendant à l'annulation des opérations électorales qui ont eu lieu le 9 mars 2008 pour la désignation des conseillers municipaux de la commune de Givors, à ce que le compte de campagne de M. E soit déclaré irrégulier et à ce que M. E soit déclaré inéligible ;

Sur le grief tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure devant le tribunal administratif :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, si M. B n'a pas pu, avant l'audience qui a eu lieu le 2 septembre 2008, prendre connaissance au greffe du tribunal administratif du dernier mémoire de M. E, enregistré le 29 août 2008, le tribunal n'a pas fondé son jugement sur les éléments contenus dans ce mémoire, et n'a en particulier pas accueilli la fin de non-recevoir qu'il soulevait à l'encontre de plusieurs griefs présentés par M. B ; qu'en conséquence, le caractère contradictoire de la procédure devant le tribunal administratif n'a pas été méconnu ;

Sur les griefs relatifs au déroulement de la campagne électorale :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 52-1 du code électoral : Pendant les trois mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l'utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite. / A compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin. Sans préjudice des dispositions du présent chapitre, cette interdiction ne s'applique pas à la présentation, par un candidat ou pour son compte, dans le cadre de l'organisation de sa campagne, du bilan de la gestion des mandats qu'il détient ou qu'il a détenus. Les dépenses afférentes sont soumises aux dispositions relatives au financement et au plafonnement des dépenses électorales contenues au chapitre V bis du présent titre ; qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 52-8 du même code : Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ;

Considérant que, si les numéros du journal municipal de la commune de Givors publiés dans la période mentionnée au second alinéa de l'article L. 52-1 du code électoral comportaient de nombreux articles relatifs à l'action du maire contre la suppression du conseil de prud'hommes de Givors, ainsi que des articles relatant l'avancement d'un projet de village automobile au sein du pôle économique Rhône-Gier et un article rendant compte de la gestion financière de la commune, ces éléments, qui constituent des informations à caractère général ayant vocation à figurer dans un journal municipal, ne constituent pas une campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion de la commune, au sens du second alinéa de l'article L. 52-1 ; que n'entre pas davantage dans les prévisions de cet alinéa l'article paru dans le numéro de mars 2008 du journal municipal relatif à des condamnations infligées à M. F, candidat tête de la cinquième liste présente au premier tour de scrutin ; qu'enfin, la publicité commerciale parue dans un journal gratuit, financée par l'association syndicale libre des concessionnaires de Givors, qui ne faisait aucune référence à la campagne électorale, avait pour principal objet la promotion des futurs concessionnaires du village automobile mentionné ci-dessus et se limitait à évoquer très brièvement l'action de la municipalité en faveur de ce projet, n'entre pas non plus dans les prévisions de l'article L. 52-1 ; que, par suite, les griefs tirés de la méconnaissance des articles L. 52-1 et L. 52-8 du code électoral ne peuvent qu'être écartés ;

Considérant, en deuxième lieu, que le grief tiré du montant anormalement bas des dépenses inscrites au compte de campagne de M. E au regard du matériel de campagne qu'il aurait utilisé est, ainsi que le fait valoir M. E, nouveau en appel, et, par suite, irrecevable ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il y a lieu, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, d'écarter le grief relatif à l'organisation, par le comité de soutien pour le maintien du conseil de prud'hommes de Givors, le 22 février 2008, d'un spectacle de rue mettant en scène une parodie d'audience publique, dès lors que l'argumentation présentée en appel ne comporte aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée devant le tribunal administratif de Lyon ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'il résulte de l'instruction que la liste conduite par M. E a utilisé, pour la confection d'une brochure diffusée au cours de la campagne électorale, divers clichés photographiques appartenant à la commune et dont les droits d'utilisation avaient été cédés à la liste de M. E conformément à une délibération du conseil municipal, au prix d'un euro par cliché ; que, ce prix étant manifestement inférieur à la valeur réelle de ces clichés, ils ont en conséquence été acquis en méconnaissance des dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article L. 52-8 du code électoral ; que, toutefois, eu égard à sa nature, et compte tenu de l'important écart de voix entre les listes en présence, cette irrégularité n'a pas été de nature, dans les circonstances de l'espèce, à altérer la sincérité du scrutin ;

Considérant, en cinquième lieu, qu'il résulte de l'instruction que M. E a signé le 7 mars 2008 en présence de fidèles musulmans de la commune, un protocole d'intention dans lequel il s'engageait, en tant que président de la société d'économie mixte de la ville, à ce que cette société construise une nouvelle mosquée ; qu'à supposer que la signature de ce protocole d'intention, deux jours avant le premier tour de scrutin, ait constitué une manoeuvre de la part de M. E, celle-ci n'a pas été de nature, dans les circonstances de l'espèce et compte tenu de l'importance de l'écart, d'une part, entre le nombre de suffrages obtenus par la liste de M. E et les autres listes, d'autre part, entre le nombre de suffrages obtenus par la liste de M. E et la majorité absolue, à influer sur les résultats du scrutin ; qu'ainsi, il y a lieu d'écarter le grief présenté par M. B, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense par M. E ;

Sur le compte de campagne de M. E et les conclusions à fins d'inéligibilité :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 52-15 du code électoral : La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne (...) ;

Considérant que, ni les dispositions de l'article L. 52-15, ni aucune autre disposition n'oblige la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques à rejeter le compte d'un candidat faisant apparaître qu'il a bénéficié de la part de personnes morales d'un avantage prohibé par l'article L. 52-8 ; qu'il appartient dès lors à la commission, sous le contrôle du juge de l'élection, d'apprécier si, compte tenu notamment des circonstances dans lesquelles le don a été consenti et de son montant, sa perception doit entraîner le rejet du compte ; que, s'il résulte de l'instruction que, comme il a été dit ci-dessus, la vente des clichés photographiques au prix d'un euro chacun à la liste de M. E a constitué un avantage prohibé par l'article L. 52-8, il n'en résulte pas pour autant, contrairement à ce que soutient M. B, que cet avantage justifie, par son montant et les circonstances dans lesquelles il a été consenti, le rejet du compte de campagne de M. E ; qu'en outre, compte tenu de l'écart existant entre les dépenses retracées par le compte de campagne de M. E, telles qu'arrêtées par la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, et le plafond des dépenses autorisées, l'intégration de l'avantage représenté par la vente des clichés photographiques ne saurait conduire, en tout état de cause, à un dépassement de ce plafond ; que, par suite, il n'y a pas lieu de rejeter le compte de campagne de M. E, ni de prononcer son inéligibilité et d'annuler son élection comme conseiller municipal de la commune de Givors ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement qu'il attaque, le tribunal administratif de Lyon, qui n'a pas entaché son jugement de contradiction de motifs, a rejeté sa protestation dirigée contre les opérations électorales qui se sont déroulées le 9 mars 2008 en vue de la désignation des conseillers municipaux de la commune de Givors ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par M. E ;




D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B et les conclusions présentées par M. E au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Alain B, à M. Martial E, à M. Georges C, à M. Mohamed A, à M. Roger D et à la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.



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