Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 23/04/2009, 297638

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 septembre et 20 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Maougnou Amzat A, domicilié ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 6 juillet 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement du 10 mars 2005 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejetant sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 8 août 2002 par laquelle le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales a prononcé son expulsion du territoire national, et, d'autre part, à l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Richard Senghor, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. A,

- les conclusions de Mme Isabelle de Silva, rapporteur public ;


La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. A,





Considérant que M. A a été condamné le 18 janvier 2002 par un jugement du tribunal de grande instance de Bobigny à une peine de quatre ans et demi d'emprisonnement pour trafic de stupéfiants, sans que cette condamnation soit assortie d'une interdiction du territoire ; que le requérant se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 6 janvier 2006 de la cour administrative d'appel de Versailles, qui a confirmé le jugement du 10 mars 2005 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejetant sa demande d'annulation de l'arrêté d'expulsion pris à son encontre le 8 août 2002 par le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales sur le fondement du b) de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 aux termes duquel, dans sa rédaction alors applicable, l'expulsion peut être prononcée lorsqu'elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique ... ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, d'une part, M. A, ressortissant béninois né en 1965, réside en France depuis 1990, où se trouvent ses attaches familiales, en particulier sa mère, sa fratrie et ses neveux ; que, d'autre part, il est père de trois enfants français, nés en 1992, 1994 et 1995, sur lesquels il exerce l'autorité parentale et à l'entretien desquels il pourvoit ; qu'ainsi, concernant son fils aîné, par une ordonnance du 12 mars 2001, le juge aux affaires familiales près le tribunal de grande instance de Bobigny a fixé sa résidence chez son père, alors même que M. A était en train de purger sa peine en maison d'arrêt, au motif que l'état de santé de la mère de l'enfant, régulièrement hospitalisée, l'empêchait d'en prendre soin ; que, concernant son second fils, il est également attesté par un certificat du service de psychiatrie infanto-juvénile du centre hospitalier de Saint-Denis, qui, d'octobre 1999 à juin 2002, a suivi cet enfant, alors accueilli dans un jardin d'enfants thérapeutique, que son équilibre psychique requérait la présence de son père ; qu'enfin, depuis les faits délictueux qui lui ont été reprochés, M. A n'a commis aucun acte contraire à l'ordre public et a, à l'inverse, adopté un comportement de nature à assurer sa réinsertion sociale et professionnelle ;

Considérant que, dans ces circonstances, la cour administrative d'appel, en jugeant que la décision attaquée ne pouvait être regardée comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au regard de la gravité de l'infraction pénale constatée, a entaché son arrêt d'une erreur de qualification juridique ; que, par suite, son arrêt doit être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, l'arrêté d'expulsion attaqué a porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette décision a été prise et a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il suit de là que M. A est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué et de l'arrêté du 8 août 2002 ordonnant son expulsion ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2500 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 6 juillet 2006 de la cour administrative d'appel de Versailles, le jugement du 10 mars 2005 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et l'arrêté du 8 août 2002 du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera la somme de 2 500 euros à M. A en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Maougnou Amzat A, à la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.

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