Conseil d'État, 1ère sous-section jugeant seule, 25/07/2008, 299951, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 décembre 2006 et 9 mars 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE ROUGON, représentée par son maire ; la COMMUNE DE ROUGON demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 19 octobre 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, après avoir annulé pour irrégularité le jugement du 23 octobre 2003 du tribunal administratif de Marseille, annulé l'arrêté du 5 juin 1999 par lequel a été autorisé l'aménagement d'un terrain de camping et de stationnement de caravanes au lieu-dit Carajuan ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de l'association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs et sites du Verdon tendant à l'annulation de cet arrêté ;

3°) de mettre à la charge de l'association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs et sites du Verdon le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Laure Bédier, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la COMMUNE DE ROUGON et de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de l'association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs et sites du Verdon,

- les conclusions de Mlle Anne Courrèges, Commissaire du gouvernement ;





Considérant qu'en jugeant que la délégation donnée par délibération du conseil municipal de la COMMUNE DE ROUGON à M. , premier adjoint au maire, n'était pas exécutoire à la date de l'arrêté du 5 juin 1999, qu'il a signé, faute de transmission à l'autorité préfectorale de cette délibération, et en annulant par suite cet arrêté pour incompétence, la cour administrative d'appel de Marseille a fait application des articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales, issus de l'article 2 la loi du 2 mars 1982 ; qu'en omettant de mentionner ces dispositions dans les visas ou les motifs de son arrêt, elle a méconnu l'article R. 741-2 du code de justice administrative, aux termes duquel la décision rendue par une juridiction administrative « contient (...) les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application » ; que son arrêt doit, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant que si les dispositions de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme imposent à la juridiction administrative de se prononcer sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles, en l'état du dossier, de fonder l'annulation d'un acte intervenu en matière d'urbanisme, ces dispositions ne comportent ni n'impliquent aucune dérogation ou restriction au principe, énoncé à l'article L. 5 du code de justice administrative, selon lequel les jugements sont motivés ; qu'ainsi, lorsqu'une juridiction fonde sur plusieurs moyens l'annulation d'un acte intervenu en matière d'urbanisme, il lui revient d'indiquer suffisamment les motifs de fait et de droit qui la conduisent à retenir chacun de ces moyens ;

Considérant que le jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 octobre 2003, qui fonde l'annulation de la décision du 5 juin 1999 sur trois moyens de l'association requérante, tirés respectivement de la méconnaissance de l'article R. 443-10 du code de l'urbanisme, de l'insuffisance de la notice d'impact au regard des dispositions de l'article R. 443-7-1 du même code et de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée, ne comporte de motivation suffisante que pour le premier de ces moyens, les deux autres n'étant que mentionnés ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, ce jugement doit être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par l'association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs et sites du Verdon devant le tribunal administratif de Marseille ;

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que l'association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs et sites du Verdon s'est soumise aux formalités de notification de sa demande conformément aux dispositions de l'article L. 600-3 du code de l'urbanisme, alors applicable ; que, d'autre part, il ressort de ses statuts que cette association a notamment pour objet la protection des lacs et sites du Verdon ; qu'ainsi, elle justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation de la décision du 5 juin 1999 autorisant l'aménagement d'un terrain de camping et de stationnement de caravanes au lieu-dit Carajuan, situé à proximité du lit du Verdon ; que, par suite, les fins de non-recevoir opposées par la COMMUNE DE ROUGON doivent être écartées ;

Sur la légalité de l'arrêté du 5 juin 1999 :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales : « Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement » ; qu'il résulte de l'article L. 2131-2 du même code que les délibérations du conseil municipal sont soumises aux dispositions de l'article L. 2131-1 ; qu'il ressort des pièces du dossier que la délibération du conseil municipal du 4 juin 1999 autorisant M. , premier adjoint au maire, à signer le permis d'aménagement du camping sur le fondement de l'article L. 421-2-5 du code de l'urbanisme n'a été transmise au préfet que le 7 juin 1999, soit postérieurement à la signature, le 5 juin 1999, de la décision litigieuse ; que, par suite, faute de délégation entrée en vigueur, celle-ci a été prise par une autorité incompétente ; que l'illégalité de cette décision n'a pu être régularisée par la transmission ultérieure au représentant de l'Etat de la délibération du 4 juin 1999 ; que ce moyen, qui est d'ordre public, pouvait être soulevé à tout moment par l'association requérante ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs et sites du Verdon est fondée à demander l'annulation de l'arrêté en date du 5 juin 1999 ;

Considérant que, pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, les moyens tirés de l'insuffisance du dossier de demande d'autorisation d'aménagement au regard des dispositions des articles R. 421-2 et R. 443-7 du code de l'urbanisme, de l'absence de consultation de l'architecte des bâtiments de France préalablement au défrichement, de la méconnaissance des dispositions du plan d'occupation des sols relatives à la zone UT, de la méconnaissance de la procédure d'autorisation d'aménager et notamment des dispositions des articles R. 443-8 et R. 460-1 et suivants du code de l'urbanisme, de l'incompatibilité de l'autorisation accordée avec les prescriptions de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme relatives à la préservation des espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard ainsi qu'avec les dispositions de la charte d'aménagement du parc naturel régional du Verdon et, enfin, de l'erreur manifeste commise dans l'appréciation du risque d'inondation du camping en période de crue centennale ne sont pas susceptibles de fonder l'annulation prononcée par la présente décision ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs et sites du Verdon qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la COMMUNE DE ROUGON d'une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que l'association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs et sites du Verdon a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle devant le Conseil d'Etat ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de l'association, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de la COMMUNE DE ROUGON le versement à cette SCP de la somme de 3 000 euros ; qu'il y a lieu, en outre, au titre des frais exposés en première instance et en appel, de mettre à la charge de la COMMUNE DE ROUGON le versement à l'association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs et sites du Verdon d'une somme de 1 700 euros ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille en date du 19 octobre 2006 et le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 23 octobre 2003 sont annulés.
Article 2 : L'arrêté du 5 juin 1999 du maire de la COMMUNE DE ROUGON est annulé.
Article 3 : La COMMUNE DE ROUGON versera à la SCP Baraduc, Duhamel la somme de 3 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette SCP renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat. La commune versera au même titre la somme de 1 700 euros à l'association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs et sites du Verdon.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la COMMUNE DE ROUGON est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE ROUGON et à l'association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs et sites du Verdon.


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