Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 26/11/2007, 276262, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 janvier et 6 mai 2005 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE COMPAGNIE CENTRALE SICLI, venant aux droits de la société Sécurité Incendie Française, dont le siège social est situé 2/4, rue Blaise Pascal à Le Blanc-Mesnil (93150) ; la SOCIETE COMPAGNIE CENTRALE SICLI demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 5 novembre 2004 de la cour administrative d'appel de Paris rejetant sa requête qui tendait à l'annulation du jugement en date du 28 décembre 1999 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à la décharge des compléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des années 1991, 1992, 1993 et 1994 ainsi que des pénalités correspondantes ;

2°) statuant au fond, de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités ;




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jérôme Michel, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la SOCIETE COMPAGNIE CENTRALE SICLI,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, Commissaire du gouvernement ;




Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Sécurité Incendie Française, qui a pour objet la vente et l'entretien d'extincteurs et de matériel de lutte et de protection contre l'incendie a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur les exercices clos en 1991, 1992, 1993 et 1994 à l'issue de laquelle l'administration a réintégré aux résultats imposables des sommes qualifiées par la société de pourboires versés à des tiers et des remboursements d'indemnités kilométriques liées à l'utilisation des véhicules privés des salariés et de son dirigeant ; qu'en conséquence, la société Sécurité Incendie Française a été assujettie, au titre des années en cause, à des compléments d'impôt sur les sociétés qui ont été majorés par les pénalités exclusives de bonne foi prévues à l'article 1729 du code général des impôts ; que la SOCIETE COMPAGNIE CENTRALE SICLI, qui vient aux droits de la société Sécurité Incendie Française, se pourvoit en cassation contre l'arrêt en date du 5 novembre 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête qui tendait à l'annulation du jugement en date du 28 décembre 1999 du tribunal administratif de Melun rejetant sa demande tendant à la décharge desdites impositions et des pénalités correspondantes ;

Sur la régularité de l'arrêt attaqué :

Considérant que lorsque, postérieurement à la séance publique mais avant la lecture de la décision, le juge est saisi d'une note en délibéré, il lui incombe d'en prendre connaissance avant de rendre sa décision ; que s'il estime que la note en délibéré ne comporte l'exposé d'aucune circonstance de fait ou de droit rendant nécessaire la réouverture de l'instruction, le juge, avant comme après l'intervention de l'article 8 du décret n° 2005-1586 du 19 décembre 2005 repris à l'article R. 741-2 du code de justice administrative, doit cependant, sous peine d'irrégularité, mentionner cette note dans la décision qu'il rend ;

Considérant que la note en délibéré que la SOCIETE COMPAGNIE CENTRALE SICLI a produite le 3 novembre 2004, après la séance publique, a été enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel et versée au dossier mais n'a pas été visée dans la décision lue le 5 novembre 2004 ; qu'en omettant de mentionner cette note dans l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel a entaché cet arrêt d'irrégularité ; que dans ces conditions, l'arrêt doit être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur le bien-fondé des impositions en litige :

Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts : Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature (...) ; que pour l'application de ces dispositions, il incombe toujours au contribuable de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité ;

Considérant, en premier lieu, que l'administration a réintégré dans les résultats de la société Sécurité Incendie Secours les remboursements des sommes qualifiées de frais de pourboires versés à des tiers et certains frais de déplacement exposés par son président-directeur général et certains cadres commerciaux de la société ; que, si la réalité du versement de sommes, en chèque ou en espèces, à son dirigeant ou à ses cadres commerciaux résulte des pièces produites, la société n'apporte en revanche aucun commencement de preuve quant aux conditions et à la réalité du reversement de ces sommes à des tiers sous forme de pourboires, alors qu'il est constant que ces sommes étaient versées au dirigeant et aux salariés en pourcentage du chiffre d'affaires réalisé avec les clients de la société ; qu'en ce qui concerne les frais de déplacement, la société n'apporte pas plus d'éléments de nature à justifier que les remboursements de frais kilométriques exposés par son dirigeant et certains cadres commerciaux de l'entreprise avec leurs véhicules privés correspondraient effectivement à des missions de caractère professionnel effectuées pour son compte, alors qu'il est constant qu'au cours de la même période, la société disposait d'une flotte de vingt à trente véhicules ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a pu estimer que la réalité de ces charges n'était pas établie et refuser d'admettre que les sommes fussent déduites au titre des frais généraux de la société ; que la circonstance que ces sommes aient été imposées, entre les mains des salariés, sous forme de salaire, s'agissant des frais de pourboire, ou n'aient pas été imposées comme avantage en nature, s'agissant des frais de déplacement, est sans incidence sur ce point ;

Considérant, en deuxième lieu, que si la société requérante soutient, à titre subsidiaire, que les sommes en cause, initialement justifiées, ainsi qu'il a été dit, par de prétendus pourboires devraient être regardées comme des compléments de salaires et comme tels seraient déductibles de son résultat en vertu du même article 39-1 du code général des impôts, elle n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, que les sommes en cause, déclarées en comptabilité en tant que remboursements de frais de pourboires, aient un lien quelconque avec le travail des salariés concernés et de son président-directeur général au sein de l'entreprise ; qu'en l'absence d'une quelconque justification que ces sommes se rattacheraient au travail salarié de ces personnes, la seule circonstance, invoquée, que les sommes en litige n'auraient pas eu pour effet, une fois ajoutées aux salaires, de porter ceux-ci à un niveau excessif par rapport au travail effectivement fourni par ses salariés ne suffit pas à justifier la déductibilité de ces sommes ;

Considérant, en dernier lieu, que la circonstance qu'au cours d'une autre vérification de comptabilité portant, d'ailleurs, sur d'autres années d'imposition, la société Sécurité Incendie Française n'ait fait l'objet d'aucun redressement, ne saurait être regardée comme constituant une prise de position formelle de l'administration sur la situation de fait de l'entreprise au regard d'un texte fiscal, que la société requérante pourrait lui opposer sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales ;

Sur les pénalités :

Considérant que l'administration fiscale doit être regardée comme établissant en l'espèce l'intention d'éluder l'impôt, qui justifie l'application des majorations exclusives de bonne foi prévues à l'article 1729 du code général des impôts, tant par l'importance et la nature des rehaussements litigieux dus à l'existence d'importants frais généraux non justifiés que par le caractère grave et répété des manquements ainsi constatés pour les quatre années vérifiées ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions de la société tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la SOCIETE COMPAGNIE CENTRALE SICLI, qui vient aux droits de la société Sécurité Incendie Française, de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 5 novembre 2004 est annulé.

Article 2 : Les conclusions d'appel de la SOCIETE COMPAGNIE CENTRALE SICLI, venant aux droits de la société Sécurité Incendie Française, ainsi que le surplus de ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat, sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE COMPAGNIE CENTRALE SICLI et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.


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