Conseil d'Etat, 9ème et 10ème sous-sections réunies, du 20 octobre 2004, 249978, mentionné aux tables du recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 septembre et 16 décembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X..., dont le siège est ..., représentée par son président-directeur général en exercice ; la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 28 juin 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son appel tendant à l'annulation du jugement du 21 octobre 1998 par lequel le tribunal administratif de Rennes a refusé de prononcer la décharge du complément de taxe professionnelle auquel elle a été assujettie au titre de l'année 1989 ;

2°) de régler l'affaire au fond et de prononcer la décharge des droits et pénalités contestés ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code de commerce ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mlle Emmanuelle Cortot, Auditeur,

- les observations de la SCP Lesourd, avocat de la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X...,

- les conclusions de M. Laurent Vallée, Commissaire du gouvernement ;


Considérant que la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X..., qui exerce une activité de mécanique générale, a repris, sur le site de Brest, des actifs détenus par la société Ateliers réunis du Nord et de l'Ouest mise en redressement judiciaire, ainsi que des actifs appartenant à la société Ateliers français de l'Ouest, antérieurement mise en liquidation judiciaire, et liée à la société précédente par un contrat de location-gérance ; que la société Sobrena, filiale de la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X..., a également repris des actifs appartenant aux sociétés Ateliers réunis du Nord et de l'Ouest et Ateliers français de l'Ouest ; que le plan de cession des actifs détenus par la société Ateliers réunis du Nord et de l'Ouest a été approuvé par un jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 19 janvier 1987 ; que la cession des actifs détenus par les sociétés Ateliers réunis du Nord et de l'Ouest et Ateliers français de l'Ouest a donné lieu à un acte notarié unique en date du 15 mars 1988 auquel étaient parties la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X... et la société Sobrena ; qu'à l'occasion d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a prononcé un rehaussement des cotisations de taxe professionnelle dues par la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X... au titre de l'année 1989, au motif que les actifs repris devaient figurer dans la base taxable pour leur valeur d'origine et non pour leur valeur de rachat, la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X... ayant eu, pendant l'année de référence, en 1987, la jouissance des actifs repris et non leur propriété ; que la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 juin 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son appel dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Rennes du 21 octobre 1998 refusant d'accorder la décharge demandée ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration ; qu'aux termes de l'article L. 80 B du même livre : La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : / 1°) lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal ; que peuvent se prévaloir de cette dernière disposition les contribuables qui se trouvent dans la situation de fait sur laquelle l'appréciation invoquée a été portée, ainsi que les contribuables qui ont participé à l'acte ou à l'opération qui a donné naissance à cette situation, sans que les autres contribuables puissent utilement invoquer une rupture à leur détriment du principe d'égalité ;

Considérant que la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X... soutient qu'elle pouvait se prévaloir d'une lettre en date du 26 janvier 1990 adressée à la société Sobrena, dans laquelle l'administration fiscale se fonde sur le motif que cette société a repris les actifs des sociétés Ateliers réunis du Nord et de l'Ouest et Ateliers français de l'Ouest antérieurement au 30 novembre 1987 pour lui refuser le bénéfice d'une exonération de taxe professionnelle ; que la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X... était partie, comme la société Sobrena, à l'acte notarié du 15 mars 1988 relatif à la cession des actifs des sociétés Ateliers réunis du Nord et de l'Ouest et Ateliers français de l'Ouest ; qu'il suit de là que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en estimant que la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X... ne pouvait, en tout état de cause, invoquer à son profit l'appréciation portée par l'administration fiscale sur la situation d'un autre contribuable ; que, par suite, la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X... est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;

En ce qui concerne les conclusions principales tendant à la décharge des impositions litigieuses :

Considérant, d'une part, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 87 de la loi du 25 janvier 1985, repris à l'article L. 621-89 du code de commerce : En exécution du plan arrêté par le tribunal, l'administrateur passe tous les actes nécessaires à la réalisation de la cession ; qu'il résulte de ces dispositions que, s'il n'en est pas décidé autrement par le jugement arrêtant le plan de cession, le transfert des biens et droits compris dans le plan s'opère à la date des actes passés par l'administrateur, nonobstant les dispositions générales de l'article 1583 du code civil et les instructions administratives et réponses ministérielles se référant à celui-ci et invoquées sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;

Considérant qu'il ressort de l'examen du jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 19 janvier 1987 arrêtant le plan de cession en cause qu'aucune disposition de ce jugement ne prévoyait le transfert immédiat aux cessionnaires de la propriété des actifs du site de Brest, les diverses conditions suspensives figurant dans le plan de cession et approuvées par ledit jugement pouvant, si elles n'étaient pas réalisées, faire obstacle à la conclusion de l'opération, mais n'ayant pas d'incidence sur la détermination de la date du transfert de propriété ; que le fait que ledit jugement se soit prononcé sur le prix fixé pour l'opération de cession et que, par application des dispositions de l'article L. 621-69 du code de commerce, le prix ne puisse plus, dès lors, être modifié, est également sans incidence sur la date du transfert de propriété des biens en cause ; que l'acte notarié de cession des actifs dont il s'agit, en date du 15 mars 1988, a prévu expressément que les sociétés cessionnaires seront propriétaires des biens qui leur sont présentement cédés à compter de ce jour ; que la double circonstance qu'entre la date du jugement précité et celle de cet acte de cession, la société requérante, qui a eu la jouissance des biens, n'ait pas versé d'indemnité d'occupation temporaire à raison de ceux-ci, et qu'elle ait consigné dès le mois de décembre 1987 auprès du notaire mandaté par l'administrateur judiciaire le prix de leur acquisition, lequel n'a néanmoins été perçu par le vendeur qu'à la date de l'acte notarié, n'a pas non plus eu pour effet d'opérer le transfert de propriété de ces biens à une date antérieure à celle de l'acte de cession susmentionné ; que si la société invoque, au soutien de son affirmation selon laquelle le transfert de propriété a eu lieu dès la date du jugement approuvant le plan de cession, une attestation de l'administrateur judiciaire de la société Ateliers réunis du Nord et de l'Ouest, il résulte en tout état de cause de l'examen de cette attestation qu'elle était relative à la date du transfert d'exploitation des biens, et non à la date du transfert de leur propriété ; qu'ainsi la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X... doit être regardée comme n'ayant acquis la propriété des actifs repris qu'à la date de leur cession, soit le 15 mars 1988 ; que si, cependant, comme il a été dit ci-dessus, la société se prévaut à l'encontre de la date du transfert de propriété ainsi déterminée et sur le fondement des dispositions combinées du premier alinéa de l'article L. 80 A et de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, de la position de l'administration sur la date à laquelle a été opérée, dans le cadre du même acte de cession, la reprise par la société Sobrena d'actifs appartenant aux sociétés cédantes, il n'est pas contesté que cette prise de position, contenue dans une lettre en date du 26 janvier 1990, a été en tout état de cause postérieure à l'imposition primitive de la société requérante à la taxe professionnelle pour l'année 1989 ; qu'ainsi la société ne peut utilement s'en prévaloir pour que soit retenue une date de transfert de propriété autre que celle mentionnée ci-dessus ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1467 du code général des impôts dans sa rédaction applicable à la date des faits : La taxe professionnelle a pour base : / 1°) Dans le cas des contribuables autres que ceux visés au 2°) : / a) la valeur locative, telle qu'elle est définie aux articles 1469, 1518 A et 1518 B, des immobilisations corporelles dont le redevable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle pendant la période de référence définie aux articles 1467 A et 1478 (...) ; que le premier alinéa du 3°) de l'article 1469 du même code indique que, pour les biens exonérés de taxe foncière dont la durée d'amortissement est inférieure à trente ans, la valeur locative est égale, lorsque ces biens appartiennent au redevable, lui sont concédés ou font l'objet d'un contrat de crédit-bail, à 16 % de leur prix de revient ; que l'article 310 HF de l'annexe II au code général des impôts dispose que : Pour la détermination de la valeur locative qui sert de base à la taxe professionnelle : / 2°) Le prix de revient des immobilisations est celui qui doit être retenu pour le calcul des amortissements ; qu'aux termes de l'article 38 quinquies de l'annexe III au code général des impôts : Les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine. / Cette valeur d'origine s'entend : / Pour les immobilisations acquises à titre onéreux par l'entreprise, du coût d'acquisition, c'est-à-dire du prix d'achat majoré des frais accessoires nécessaires à la mise en état d'utilisation du bien ; qu'il résulte de ces dispositions que les immobilisations, même concédées, doivent être incluses dans la base taxable pour la valeur d'origine à laquelle elles ont été acquises par leur propriétaire ; que la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X..., qui n'est devenue propriétaire des actifs repris auprès des sociétés Ateliers réunis du Nord et de l'Ouest et Ateliers français de l'Ouest que le 15 mars 1988, en a eu la jouissance à compter du 1er avril 1987 ; que, dès lors, leur valeur locative devait être déterminée par application du taux de 16 % à leur valeur d'origine, telle qu'elle était fixée en 1987 et égale à la somme non contestée de 14 899 942 FF, et non à leur valeur de rachat en 1988 ;

En ce qui concerne les conclusions subsidiaires tendant à la réduction de l'imposition :

Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa du 3°) de l'article 1469 du code général des impôts : Lorsque ces biens sont pris en location, la valeur locative est égale au montant du loyer au cours de l'exercice (...) ; que les actifs repris par la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X... étaient concédés et non loués ; que, dès lors, la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X... n'est pas fondée à invoquer les dispositions précitées du deuxième alinéa du 3°) de l'article 1469 du code général des impôts ; qu'il suit de là qu'elle ne peut pas non plus utilement se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, d'instructions précisant les modalités d'application de ces dispositions ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;

En ce qui concerne l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;


D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes en date du 28 juin 2002 est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X... devant la cour administrative d'appel de Nantes et tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 21 octobre 1998 sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X... est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SA ETABLISSEMENTS FRANCOIS X... et au ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


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