Conseil d'État, Juge des référés, 18/10/2006, 298101, Publié au recueil Lebon
Conseil d'État, Juge des référés, 18/10/2006, 298101, Publié au recueil Lebon
Conseil d'État - Juge des référés
- N° 298101
- Publié au recueil Lebon
Lecture du
mercredi
18 octobre 2006
- Président
- M. Genevois
- Rapporteur
- M. Bruno Genevois
- Avocat(s)
- RICARD
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 12 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par Mme Milana A, épouse B, élisant domicile à la CIMADE, 13 quai Saint-Nicolas, Strasbourg (67000) ; Mme A, épouse B demande au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance du 5 octobre 2006 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa requête tendant d'une part, à ce qu'il soit enjoint au préfet du Bas-Rhin de l'admettre au séjour en France et de lui délivrer un formulaire de demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), sous une astreinte de 150 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de huit jours à compter de la décision à intervenir et d'autre part, à ce que soit mis à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
2°) de constater que le délai de six mois pour mettre en oeuvre sa réadmission étant écoulé, la France est l'Etat responsable de sa demande d'asile ;
3°) d'ordonner au préfet du Bas-Rhin de l'admettre au séjour et de lui délivrer un formulaire de demande d'asile auprès de l'OFPRA sous une astreinte de 150 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de huit jours à compter de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle expose qu'elle est russe d'origine tchétchène ; qu'elle a fui la Tchétchénie avec sa famille à la fin de l'année 2004 ; qu'ils furent interpellés et contrôlés en Pologne ; qu'ils sont entrés en France en février 2005 ; que la demande d'asile qu'elle a présentée le 4 mars 2005 a été rejetée par le préfet du Bas-Rhin le 28 juillet 2005 au motif que la Pologne était l'Etat responsable pour en connaître ; qu'un délai de six mois s'étant écoulé depuis l'acceptation de sa réadmission par la Pologne, elle a sollicité à nouveau son admission au séjour en France au titre de l'asile le 29 mars 2006 ; qu'elle a contesté en vain devant le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg la décision préfectorale du 4 septembre 2006 écartant sa demande d'admission ; qu'il est satisfait à la condition d'urgence exigée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative en raison de l'effet immédiat de la décision du préfet, de l'imminence de sa réadmission en Pologne, de l'incidence du refus sur son droit au séjour et de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de demander l'asile en France ; que la décision contestée porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile et à son corollaire, la possibilité de solliciter le statut de réfugié ; que la décision préfectorale se fonde sur l'article 19-4 du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 alors que sa situation devait être examinée au titre d'une éventuelle reprise en charge de son cas par la Pologne en vertu de l'article 20 du même règlement ; qu'il y a une contradiction qui équivaut à un vice de procédure et à un défaut de motivation ; que c'est à tort que le préfet du Bas-Rhin a estimé qu'elle était en fuite et qu'en conséquence, les autorités polonaises disposeraient d'un délai de 18 mois à compter du 23 juin 2005 pour la prendre ou la reprendre en charge ; que le délai de six mois prescrit par l'article 19, paragraphe 4, du règlement communautaire étant expiré depuis le 23 décembre 2005, le préfet ne pouvait légalement refuser son admission au séjour au titre de l'asile ;
Vu l'ordonnance attaquée ;
Vu, enregistré le 16 octobre 2006, le mémoire présenté par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ; il conclut au rejet de la requête au motif tout d'abord que l'urgence n'est pas caractérisée ; que la requérante a elle-même organisé la situation dans laquelle elle se trouve ; qu'elle ne démontre pas l'impossibilité pour elle de s'installer en Pologne où elle a déposé une demande d'asile ; que le délai d'exécution du transfert de l'intéressée à compter de l'acceptation de sa prise en charge par les autorités polonaises n'est pas expiré ; qu'au surplus, il n'y a pas d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; qu'en effet, il revient aux autorités polonaises d'examiner la demande d'asile ; qu'elles ont accepté cette reprise en charge le 23 juin 2005 ; que par décision préfectorale du 28 juillet 2005 notifiée le 2 août 2005 la requérante a été invitée à se présenter dans les huit jours à l'aéroport d'Entzheim pour organiser son départ ; qu'elle s'est soustraite à cette injonction ; qu'elle doit être regardée comme étant en fuite au sens de l'article 19, paragraphe 4 du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ; qu'en conséquence, le délai pour procéder à sa réadmission en Pologne, qui est de dix huit mois à compter du 23 juin 2005, n'était pas expiré à la date de la décision préfectorale de refus d'admission au séjour du 4 septembre 2006 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule et l'article 53-1 ;
Vu la loi n° 54-290 du 17 mars 1954 autorisant le Président de la République à ratifier la convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, ensemble le décret n° 54-1055 du 14 octobre 1954 qui en porte publication ;
Vu la loi n° 70-1076 du 25 novembre 1970 autorisant l'adhésion de la France au protocole relatif au statut des réfugiés signé à New York le 31 janvier 1967, ensemble le décret n° 71-289 du 9 avril 1971 qui en porte publication ;
Vu la loi n° 2003-1210 du 19 décembre 2003 autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion à l'Union européenne de la République tchèque, de l'Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie, ensemble le décret n° 2004-450 du 26 mai 2004 qui en porte publication ;
Vu l'article 234 du traité (CE) ;
Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers ;
Vu le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/ 2003 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 réglementant les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, modifié notamment par le décret n° 2004-813 du 14 août 2004, en particulier son article 14 ;
Vu le code de justice administrative, notamment ses articles L. 511-2, L. 521-2, L. 523-1 et L. 761-1 ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme A, épouse B, et d'autre part, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du mardi 17 octobre 2006 à 11 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :
- Maître Ricard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation pour Mme A, épouse B ;
- les représentants du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (...) aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale... » ; que selon l'article L. 523-1 du même code, les décisions intervenues en application de l'article L. 521-2 sont, hors le cas où elles ont été rendues sans instruction, susceptibles d'appel devant le Conseil d'Etat ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A, épouse B, de nationalité russe et d'origine tchétchène, a quitté son pays en novembre 2004 pour entrer en Pologne où elle a saisi les autorités de cet Etat d'une demande d'asile ; qu'elle est ultérieurement entrée en France avec son mari et ses trois enfants mineurs en sollicitant, à la date du 4 mars 2005, son admission au séjour en vue d'obtenir l'asile ; que par une décision du 28 juillet 2005 le préfet du Bas-Rhin a rejeté la demande de l'intéressée et ordonné sa remise aux autorités polonaises aux motifs que, par application du règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003, la Pologne était responsable de l'examen de la demande d'asile et avait d'ailleurs accepté sa reprise en charge par une décision du 23 juin 2005 ; que Mme A s'est abstenue de donner suite à l'invitation qui lui a été faite par une lettre du préfet du 28 juillet 2005 de se présenter, dans les huit jours, à l'aéroport d'Entzheim pour « organiser les conditions » de son départ ; qu'elle a cependant saisi le préfet, à la date du 9 janvier 2006, d'une demande de titre de séjour pour raisons médicales puis, à la date du 29 mars 2006, a sollicité le réexamen de sa demande au titre de l'asile ; que ces demandes ont été rejetées par une décision unique du 4 septembre 2006 ; que Mme A relève appel de l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les conclusions de sa requête tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Bas-Rhin de l'admettre provisoirement au séjour et de lui délivrer un formulaire de demande d'asile ;
En ce qui concerne l'atteinte à une liberté fondamentale :
Considérant que le droit d'asile constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'en vertu du 1° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile peut être refusée notamment si l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat en application des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, ou d'engagements identiques à ceux prévus par ce règlement contractés avec d'autres Etats ;
Considérant que l'article 19 du règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003, qui fixe les conditions de prise en charge du demandeur d'asile qui a introduit une demande dans un autre Etat membre, applicable à la Pologne depuis le 1er mai 2004 en vertu du traité d'adhésion de cet Etat à l'Union européenne, pose en principe dans son paragraphe 3 que le transfert du demandeur de l'Etat membre auprès duquel la demande d'asile a été introduite vers l'Etat membre responsable s'effectue « au plus tard, dans un délai de six mois » à compter de l'acceptation de la demande de prise en charge ; que d'après le paragraphe 4 du même article, « Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, la responsabilité incombe à l'Etat membre auprès duquel la demande d'asile a été introduite » ; qu'il est spécifié cependant que ce délai peut-être porté à un an au maximum s'il n'a pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement du demandeur d'asile ou à dix-huit mois au maximum « si le demandeur d'asile prend la fuite » ;
Considérant que, le juge administratif du référé-liberté ne peut, en l'espèce, utilement procéder à un renvoi préjudiciel en interprétation à la Cour de justice des Communautés européennes à l'effet de concourir à une application uniforme du règlement (CE) n° 343/2003 ; qu'il relève néanmoins de son office de préciser, à titre provisoire, le sens et la portée des dispositions de droit dérivé dont il lui faut faire application ; qu'à cet égard, la notion de fuite au sens du texte précité doit s'entendre comme visant notamment le cas où un ressortissant étranger non admis au séjour se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative dans le but de faire obstacle à l'exécution d'une mesure d'éloignement le concernant ; que si le fait pour l'intéressé de ne pas déférer à l'invitation de l'autorité publique de se présenter à la police de l'air et des frontières pour organiser les conditions de son départ consécutivement à un refus d'admission constitue un indice d'un tel comportement, il ne saurait suffire à lui seul à établir que son auteur ait pris la fuite au sens des dispositions précitées du règlement communautaire ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que lors de la présentation de sa demande d'admission au séjour en vue de l'asile, Mme A, épouse B, s'est conformée aux prescriptions de l'article 14 du décret du 30 juin 1946 susvisé, notamment en déclarant faire élection de domicile au siège d'une association agréée ; que, le 31 août 2005, après avoir interpellé puis placé en rétention son mari, M. Khizir pour qu'il soit pourvu à sa réadmission par la Pologne, l'autorité administrative n'a pas été en mesure de procéder pareillement à l'égard de son épouse et de ses enfants mineurs, faute de disposer de documents de voyage ; qu'à la suite de la demande d'admission au séjour pour raisons médicales présentée le 9 janvier 2006 par Mme A, le médecin inspecteur de la santé publique a, par un avis porté à la connaissance du préfet par courrier du 12 mai 2006, estimé que l'état de santé de l'intéressée nécessitait une prise en charge médicale pour une durée prévisible de six mois, faute de quoi il pouvait en résulter pour elle « des conséquences d'une exceptionnelle gravité », tout en spécifiant qu'elle pourrait bénéficier en Pologne d'un traitement approprié ; qu'au vu de l'ensemble de ces éléments et nonobstant la circonstance que la requérante se soit abstenue de déférer à la convocation du 28 juillet 2005 l'invitant à organiser son départ, il ne saurait être valablement soutenu que Mme A puisse être regardée comme ayant pris la fuite au sens de l'article 19, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 343/2003 ; qu'en conséquence, en refusant par sa décision du 4 septembre 2006 son admission au séjour au titre de l'asile le préfet du Bas-Rhin, alors au demeurant que la lettre du 15 décembre 2005 par laquelle il avait informé les autorités polonaises de son intention de prolonger le délai de reprise en charge de l'intéressée était restée sans réponse, a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ;
En ce qui concerne l'urgence :
Considérant qu'eu égard à ses motifs la décision contestée signifie que l'administration entendait procéder à tout moment au renvoi de la requérante et de ses trois enfants, dont deux d'entre eux sont d'ailleurs scolarisés en France, à destination de la Pologne, alors que ce pays ne peut plus être tenu comme responsable de l'examen de la demande d'asile ; que, dans ces circonstances, il est satisfait à la condition d'urgence posée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin, non pas de délivrer un titre de séjour, ce qui excéderait la compétence du juge des référés, mais de procéder au réexamen de la demande d'admission au séjour dont il a été saisi au vu des motifs de la présente ordonnance, dans un délai de dix jours à compter de sa notification ; qu'il n'est pas nécessaire, en l'état, d'assortir cette injonction d'une astreinte ; que l'ordonnance attaquée doit être réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance ;
En ce qui concerne l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par la requérante et non compris dans les dépens tant en premier ressort qu'en appel ;
Considérant qu'à défaut de toute précision contenue dans la requête d'appel les conclusions relatives à la mise en oeuvre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée ne peuvent qu'être écartées ;
O R D O N N E :
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Article 1er : Il est enjoint au préfet du Bas-Rhin de procéder au réexamen de la demande d'admission au séjour en vue de l'asile présentée par Mme A, épouse B, au vu des motifs de la présente ordonnance, dans un délai de dix jours à compter de la notification de la présente ordonnance.
Article 2 : L'Etat versera à Mme A, épouse B, la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A, épouse B, au préfet du Bas-Rhin, et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
1°) d'annuler l'ordonnance du 5 octobre 2006 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa requête tendant d'une part, à ce qu'il soit enjoint au préfet du Bas-Rhin de l'admettre au séjour en France et de lui délivrer un formulaire de demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), sous une astreinte de 150 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de huit jours à compter de la décision à intervenir et d'autre part, à ce que soit mis à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
2°) de constater que le délai de six mois pour mettre en oeuvre sa réadmission étant écoulé, la France est l'Etat responsable de sa demande d'asile ;
3°) d'ordonner au préfet du Bas-Rhin de l'admettre au séjour et de lui délivrer un formulaire de demande d'asile auprès de l'OFPRA sous une astreinte de 150 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de huit jours à compter de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle expose qu'elle est russe d'origine tchétchène ; qu'elle a fui la Tchétchénie avec sa famille à la fin de l'année 2004 ; qu'ils furent interpellés et contrôlés en Pologne ; qu'ils sont entrés en France en février 2005 ; que la demande d'asile qu'elle a présentée le 4 mars 2005 a été rejetée par le préfet du Bas-Rhin le 28 juillet 2005 au motif que la Pologne était l'Etat responsable pour en connaître ; qu'un délai de six mois s'étant écoulé depuis l'acceptation de sa réadmission par la Pologne, elle a sollicité à nouveau son admission au séjour en France au titre de l'asile le 29 mars 2006 ; qu'elle a contesté en vain devant le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg la décision préfectorale du 4 septembre 2006 écartant sa demande d'admission ; qu'il est satisfait à la condition d'urgence exigée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative en raison de l'effet immédiat de la décision du préfet, de l'imminence de sa réadmission en Pologne, de l'incidence du refus sur son droit au séjour et de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de demander l'asile en France ; que la décision contestée porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile et à son corollaire, la possibilité de solliciter le statut de réfugié ; que la décision préfectorale se fonde sur l'article 19-4 du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 alors que sa situation devait être examinée au titre d'une éventuelle reprise en charge de son cas par la Pologne en vertu de l'article 20 du même règlement ; qu'il y a une contradiction qui équivaut à un vice de procédure et à un défaut de motivation ; que c'est à tort que le préfet du Bas-Rhin a estimé qu'elle était en fuite et qu'en conséquence, les autorités polonaises disposeraient d'un délai de 18 mois à compter du 23 juin 2005 pour la prendre ou la reprendre en charge ; que le délai de six mois prescrit par l'article 19, paragraphe 4, du règlement communautaire étant expiré depuis le 23 décembre 2005, le préfet ne pouvait légalement refuser son admission au séjour au titre de l'asile ;
Vu l'ordonnance attaquée ;
Vu, enregistré le 16 octobre 2006, le mémoire présenté par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ; il conclut au rejet de la requête au motif tout d'abord que l'urgence n'est pas caractérisée ; que la requérante a elle-même organisé la situation dans laquelle elle se trouve ; qu'elle ne démontre pas l'impossibilité pour elle de s'installer en Pologne où elle a déposé une demande d'asile ; que le délai d'exécution du transfert de l'intéressée à compter de l'acceptation de sa prise en charge par les autorités polonaises n'est pas expiré ; qu'au surplus, il n'y a pas d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; qu'en effet, il revient aux autorités polonaises d'examiner la demande d'asile ; qu'elles ont accepté cette reprise en charge le 23 juin 2005 ; que par décision préfectorale du 28 juillet 2005 notifiée le 2 août 2005 la requérante a été invitée à se présenter dans les huit jours à l'aéroport d'Entzheim pour organiser son départ ; qu'elle s'est soustraite à cette injonction ; qu'elle doit être regardée comme étant en fuite au sens de l'article 19, paragraphe 4 du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ; qu'en conséquence, le délai pour procéder à sa réadmission en Pologne, qui est de dix huit mois à compter du 23 juin 2005, n'était pas expiré à la date de la décision préfectorale de refus d'admission au séjour du 4 septembre 2006 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule et l'article 53-1 ;
Vu la loi n° 54-290 du 17 mars 1954 autorisant le Président de la République à ratifier la convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, ensemble le décret n° 54-1055 du 14 octobre 1954 qui en porte publication ;
Vu la loi n° 70-1076 du 25 novembre 1970 autorisant l'adhésion de la France au protocole relatif au statut des réfugiés signé à New York le 31 janvier 1967, ensemble le décret n° 71-289 du 9 avril 1971 qui en porte publication ;
Vu la loi n° 2003-1210 du 19 décembre 2003 autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion à l'Union européenne de la République tchèque, de l'Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie, ensemble le décret n° 2004-450 du 26 mai 2004 qui en porte publication ;
Vu l'article 234 du traité (CE) ;
Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers ;
Vu le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/ 2003 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 réglementant les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, modifié notamment par le décret n° 2004-813 du 14 août 2004, en particulier son article 14 ;
Vu le code de justice administrative, notamment ses articles L. 511-2, L. 521-2, L. 523-1 et L. 761-1 ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme A, épouse B, et d'autre part, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du mardi 17 octobre 2006 à 11 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :
- Maître Ricard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation pour Mme A, épouse B ;
- les représentants du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (...) aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale... » ; que selon l'article L. 523-1 du même code, les décisions intervenues en application de l'article L. 521-2 sont, hors le cas où elles ont été rendues sans instruction, susceptibles d'appel devant le Conseil d'Etat ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A, épouse B, de nationalité russe et d'origine tchétchène, a quitté son pays en novembre 2004 pour entrer en Pologne où elle a saisi les autorités de cet Etat d'une demande d'asile ; qu'elle est ultérieurement entrée en France avec son mari et ses trois enfants mineurs en sollicitant, à la date du 4 mars 2005, son admission au séjour en vue d'obtenir l'asile ; que par une décision du 28 juillet 2005 le préfet du Bas-Rhin a rejeté la demande de l'intéressée et ordonné sa remise aux autorités polonaises aux motifs que, par application du règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003, la Pologne était responsable de l'examen de la demande d'asile et avait d'ailleurs accepté sa reprise en charge par une décision du 23 juin 2005 ; que Mme A s'est abstenue de donner suite à l'invitation qui lui a été faite par une lettre du préfet du 28 juillet 2005 de se présenter, dans les huit jours, à l'aéroport d'Entzheim pour « organiser les conditions » de son départ ; qu'elle a cependant saisi le préfet, à la date du 9 janvier 2006, d'une demande de titre de séjour pour raisons médicales puis, à la date du 29 mars 2006, a sollicité le réexamen de sa demande au titre de l'asile ; que ces demandes ont été rejetées par une décision unique du 4 septembre 2006 ; que Mme A relève appel de l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les conclusions de sa requête tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Bas-Rhin de l'admettre provisoirement au séjour et de lui délivrer un formulaire de demande d'asile ;
En ce qui concerne l'atteinte à une liberté fondamentale :
Considérant que le droit d'asile constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'en vertu du 1° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile peut être refusée notamment si l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat en application des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, ou d'engagements identiques à ceux prévus par ce règlement contractés avec d'autres Etats ;
Considérant que l'article 19 du règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003, qui fixe les conditions de prise en charge du demandeur d'asile qui a introduit une demande dans un autre Etat membre, applicable à la Pologne depuis le 1er mai 2004 en vertu du traité d'adhésion de cet Etat à l'Union européenne, pose en principe dans son paragraphe 3 que le transfert du demandeur de l'Etat membre auprès duquel la demande d'asile a été introduite vers l'Etat membre responsable s'effectue « au plus tard, dans un délai de six mois » à compter de l'acceptation de la demande de prise en charge ; que d'après le paragraphe 4 du même article, « Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, la responsabilité incombe à l'Etat membre auprès duquel la demande d'asile a été introduite » ; qu'il est spécifié cependant que ce délai peut-être porté à un an au maximum s'il n'a pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement du demandeur d'asile ou à dix-huit mois au maximum « si le demandeur d'asile prend la fuite » ;
Considérant que, le juge administratif du référé-liberté ne peut, en l'espèce, utilement procéder à un renvoi préjudiciel en interprétation à la Cour de justice des Communautés européennes à l'effet de concourir à une application uniforme du règlement (CE) n° 343/2003 ; qu'il relève néanmoins de son office de préciser, à titre provisoire, le sens et la portée des dispositions de droit dérivé dont il lui faut faire application ; qu'à cet égard, la notion de fuite au sens du texte précité doit s'entendre comme visant notamment le cas où un ressortissant étranger non admis au séjour se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative dans le but de faire obstacle à l'exécution d'une mesure d'éloignement le concernant ; que si le fait pour l'intéressé de ne pas déférer à l'invitation de l'autorité publique de se présenter à la police de l'air et des frontières pour organiser les conditions de son départ consécutivement à un refus d'admission constitue un indice d'un tel comportement, il ne saurait suffire à lui seul à établir que son auteur ait pris la fuite au sens des dispositions précitées du règlement communautaire ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que lors de la présentation de sa demande d'admission au séjour en vue de l'asile, Mme A, épouse B, s'est conformée aux prescriptions de l'article 14 du décret du 30 juin 1946 susvisé, notamment en déclarant faire élection de domicile au siège d'une association agréée ; que, le 31 août 2005, après avoir interpellé puis placé en rétention son mari, M. Khizir pour qu'il soit pourvu à sa réadmission par la Pologne, l'autorité administrative n'a pas été en mesure de procéder pareillement à l'égard de son épouse et de ses enfants mineurs, faute de disposer de documents de voyage ; qu'à la suite de la demande d'admission au séjour pour raisons médicales présentée le 9 janvier 2006 par Mme A, le médecin inspecteur de la santé publique a, par un avis porté à la connaissance du préfet par courrier du 12 mai 2006, estimé que l'état de santé de l'intéressée nécessitait une prise en charge médicale pour une durée prévisible de six mois, faute de quoi il pouvait en résulter pour elle « des conséquences d'une exceptionnelle gravité », tout en spécifiant qu'elle pourrait bénéficier en Pologne d'un traitement approprié ; qu'au vu de l'ensemble de ces éléments et nonobstant la circonstance que la requérante se soit abstenue de déférer à la convocation du 28 juillet 2005 l'invitant à organiser son départ, il ne saurait être valablement soutenu que Mme A puisse être regardée comme ayant pris la fuite au sens de l'article 19, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 343/2003 ; qu'en conséquence, en refusant par sa décision du 4 septembre 2006 son admission au séjour au titre de l'asile le préfet du Bas-Rhin, alors au demeurant que la lettre du 15 décembre 2005 par laquelle il avait informé les autorités polonaises de son intention de prolonger le délai de reprise en charge de l'intéressée était restée sans réponse, a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ;
En ce qui concerne l'urgence :
Considérant qu'eu égard à ses motifs la décision contestée signifie que l'administration entendait procéder à tout moment au renvoi de la requérante et de ses trois enfants, dont deux d'entre eux sont d'ailleurs scolarisés en France, à destination de la Pologne, alors que ce pays ne peut plus être tenu comme responsable de l'examen de la demande d'asile ; que, dans ces circonstances, il est satisfait à la condition d'urgence posée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin, non pas de délivrer un titre de séjour, ce qui excéderait la compétence du juge des référés, mais de procéder au réexamen de la demande d'admission au séjour dont il a été saisi au vu des motifs de la présente ordonnance, dans un délai de dix jours à compter de sa notification ; qu'il n'est pas nécessaire, en l'état, d'assortir cette injonction d'une astreinte ; que l'ordonnance attaquée doit être réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance ;
En ce qui concerne l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par la requérante et non compris dans les dépens tant en premier ressort qu'en appel ;
Considérant qu'à défaut de toute précision contenue dans la requête d'appel les conclusions relatives à la mise en oeuvre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée ne peuvent qu'être écartées ;
O R D O N N E :
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Article 1er : Il est enjoint au préfet du Bas-Rhin de procéder au réexamen de la demande d'admission au séjour en vue de l'asile présentée par Mme A, épouse B, au vu des motifs de la présente ordonnance, dans un délai de dix jours à compter de la notification de la présente ordonnance.
Article 2 : L'Etat versera à Mme A, épouse B, la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A, épouse B, au préfet du Bas-Rhin, et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.