Conseil d'Etat, 9ème et 10ème sous-sections réunies, du 8 juin 2005, 255918, publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 avril et 29 juillet 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la S.A. VETTER, dont le siège est ... ; la S.A. VETTER demande au Conseil d'Etat d'annuler l'article 4 de l'arrêt du 13 février 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté en partie sa requête aux fins de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités auxquelles elle est restée assujettie au titre de chacune des années 1989, 1990 et 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Daniel Fabre, Conseiller d'Etat,

- les observations de Me Odent, avocat de la S.A. VETTER,

- les conclusions de M. Laurent Vallée, Commissaire du gouvernement ;


Sur l'arrêt attaqué en ce que la cour administrative d'appel a statué quant à la régularité de la procédure d'imposition :

Considérant qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales : Avant l'engagement d'une des vérifications prévues aux articles L. 12 et L. 13, l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l'administration ; qu'aux termes du § 5 du chapitre III de la charte, dans la version remise à la S.A. VETTER avant l'engagement de la vérification de sa comptabilité à laquelle il a été procédé en 1992 : Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les redressements envisagés, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l'inspecteur principal… ; que ces dispositions assurent au contribuable la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de redressement, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur sur les points où persiste un désaccord avec ce dernier ; que l'utilité d'un tel débat n'est pas affectée par la circonstance que ledit supérieur hiérarchique ait, éventuellement, signé ou visé l'un des documents qui ont été notifiés au contribuable depuis l'engagement de la procédure de redressement ; que la cour administrative d'appel n'a, par suite, pas commis d'erreur de droit, en jugeant que la S.A. VETTER n'a pas été privée de la garantie prévue par les dispositions précitées de la charte du fait qu'en l'espèce, le supérieur hiérarchique du vérificateur auquel il lui était indiqué qu'elle pourrait faire appel sur l'avis de vérification, a, ultérieurement, apposé, sur le document comportant motivation de pénalités qui lui a été notifié, le visa que l'article L. 80 E du livre des procédures fiscales requiert d'un agent ayant au moins le grade d'inspecteur principal ;

Sur l'arrêt attaqué en ce que la cour administrative d'appel a statué quant au bien-fondé des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés litigieuses :

En ce qui concerne les droits résultés de la réintégration de ristournes consenties à des sociétés étrangères :

Considérant qu'aux termes de l'article 57 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France… ; que ces dispositions instituent, dès lors que l'administration établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans leurs prévisions, une présomption de transfert indirect de bénéfices, qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France qu'à charge, pour celle-ci, d'apporter la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties favorables à sa propre exploitation ;

Considérant que, pour juger que l'administration avait à bon droit, par application des dispositions précitées de l'article 57 du code général des impôts, rapporté aux bénéfices imposables de la S.A. VETTER le montant de ristournes qu'au cours de ses exercices clos en 1989, 1990 et 1991, celle-ci a consenties à deux sociétés, l'une allemande et l'autre italienne, acheteuses de ses produits et contrôlées par ses propres associés, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que si la S.A. VETTER faisait valoir que l'octroi desdites ristournes avait eu pour objet de faciliter la survie des entreprises bénéficiaires, elle ne justifiait pas d'avantages particuliers qu'elle aurait elle-même trouvés à leur apporter cette aide ; qu'en statuant ainsi, la cour a, contrairement à ce que soutient la société requérante, fait une application exempte de toute erreur de droit des dispositions de l'article 57 du code général des impôts et de la règle qui en découle, ci-dessus rappelée, en ce qui concerne la preuve dont la charge incombe au contribuable ;

En ce qui concerne les droits résultés de plusieurs autres chefs de redressement :

Considérant que, pour écarter les moyens articulés devant elle par la S.A. VETTER à l'encontre de plusieurs chefs de redressement, la cour administrative d'appel, après avoir relevé que tous ces moyens avaient été déjà présentés devant le tribunal administratif de Strasbourg, a procédé par adoption des motifs retenus par celui-ci ; que, contrairement à ce que soutient la S.A. VETTER en faisant état d'arguments nouveaux ou plus précis qu'elle aurait développés en appel, mais auxquels la cour n'était pas, en tout état de cause, tenue de répondre expressément, et d'observations relatives à la charge de la preuve formulées par elle en première instance et en appel sans que les premiers juges les aient examinées dans leur jugement, mais qui ne sauraient être qualifiées de moyen, auquel ceux-ci, puis la cour administrative d'appel, auraient dû répondre, la cour a pu, sans entacher son arrêt d'une insuffisance de motifs, se borner ainsi à s'approprier les motifs du jugement dont il était fait appel ;

Sur l'arrêt attaqué en ce que la cour administrative d'appel a statué quant au bien-fondé des intérêts de retard :

Considérant que, pour juger la S.A. VETTER non fondée à contester l'applicabilité des intérêts de retard auxquels elle est restée assujettie par le moyen tiré de ce que la différence de taux entre, d'une part, ces intérêts, institués par l'article 1727 du code général des impôts, et, d'autre part, les intérêts moratoires prévus à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales constituerait une discrimination contraire aux stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que lesdites stipulations, qui peuvent être utilement invoquées pour soutenir que la loi fiscale serait à l'origine de discriminations injustifiées entre contribuables, sont en revanche sans portée dans les rapports institués entre la puissance publique et un contribuable à l'occasion de l'établissement et du recouvrement de l'impôt ; que, contrairement à ce que soutient la S.A. VETTER, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit et n'a, notamment, pas méconnu la portée des dispositions de l'article L. 258 du livre des procédures fiscales en regardant, ainsi, les intérêts de retard institués par l'article 1727 du code général des impôts comme l'un des éléments constitutifs des rapports existant entre la puissance publique et les contribuables ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la S.A. VETTER n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la S.A. VETTER demande en remboursement des frais par elle exposés et non compris dans les dépens ;


D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la S.A. VETTER est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la S.A. VETTER et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


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