Conseil d'Etat, 1ère et 6ème sous-sections réunies, du 15 mai 2006, 277361, publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 février et 9 juin 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE CESAGUI, dont le siège est ..., représentée par son gérant en exercice ; la SOCIETE CESAGUI demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 7 décembre 2004 du tribunal administratif de Bordeaux, en tant qu'il a déclaré que l'arrêté du 10 février 1995 du préfet de la Dordogne prescrivant la fermeture, un jour par semaine, des établissements ou parties d'établissements se livrant à la vente, à la distribution ou à la livraison du pain, pâtisserie et fabrications annexes à base de farine n'est pas entaché des illégalités invoquées par la société et rejeté le surplus des conclusions de la requête ;

2°) de déclarer illégal l'arrêté du préfet de la Dordogne mentionné cidessus ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu la loi n° 2004391 du 4 mai 2004 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Luc Derepas, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de la SOCIETE CESAGUI,

- les conclusions de M. Jacques-Henri Stahl, Commissaire du gouvernement ;


Considérant qu'aux termes de l'article L. 22117 du code du travail : « Lorsqu'un accord est intervenu entre les syndicats d'employeurs et de travailleurs d'une profession et d'une région déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné au personnel suivant un des modes prévus par les articles précédents, le préfet du département peut, par arrêté, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la région pendant toute la durée de ce repos. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux activités dont les modalités de fonctionnement et de paiement sont automatisées. (…) » ; qu'aux termes de l'article L. 13213 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : « Une convention de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel ne peut comporter des dispositions moins favorables aux salariés que celles qui leur sont applicables en vertu d'une convention ou d'un accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large. (…) » ;

Sur la question soumise à la juridiction administrative :

Considérant que par un arrêt en date du 30 juin 2003, la cour d'appel de Bordeaux, saisie d'un litige opposant la SOCIETE CESAGUI à la Fédération départementale des boulangers de la Dordogne, a sursis à statuer jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur la question préjudicielle de la légalité de l'arrêté du 10 février 1995 du préfet de la Dordogne réglementant la fermeture hebdomadaire des boulangeries et pâtisseries dans ce département ; que la cour a justifié ce renvoi par la difficulté sérieuse que présentait, au regard de l'article L. 13213 du code du travail, la question de la compatibilité de l'arrêté du 10 février 1995 avec les stipulations de l'accord collectif du 25 mai 1999 modifié sur la réduction du temps de travail dans les entreprises de boulangeriepâtissserie industrielle, étendu par arrêté ministériel du 10 mai 2000 ;

Considérant, d'une part, qu'un accord conclu en application de l'article L. 22117 du code du travail, qui a pour seul objet de permettre l'édiction d'un arrêté préfectoral réglementant la fermeture hebdomadaire des commerces de la profession concernée, n'a pas d'effet juridique propre et n'a pas la nature d'un accord collectif régi par le titre III du livre Ier du code du travail ; que, dès lors, la société requérante ne peut utilement soutenir que l'accord ayant précédé l'arrêté litigieux devrait être écarté en application de l'article L. 13213 du code du travail au motif qu'il contiendrait en matière de repos hebdomadaire des stipulations moins favorables que celles de l'accord collectif national du 25 mai 1999 modifié ; que, d'autre part, l'obligation de fermeture au public à raison d'un jour par semaine édictée par l'arrêté litigieux n'est pas incompatible avec les stipulations de l'accord collectif du 25 mai 1999 modifié prévoyant que le repos hebdomadaire, que cet accord fixe à deux jours, peut être donné par roulement ; que, par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté préfectoral litigieux serait devenu illégal en raison de l'extension de l'accord du 25 mai 1999 modifié par l'arrêté du 10 mai 2000 du ministre du travail ;

Sur les autres moyens :

Considérant que les terminaux de cuisson et les boulangeries industrielles pratiquant la vente au détail en magasin ne peuvent être regardés comme des activités dont les modalités de fonctionnement et de paiement sont automatisées au sens de l'article L. 221-17 du code du travail ; qu'il ne ressort pas des éléments produits par la société requérante que l'accord ayant précédé l'arrêté litigieux ne correspondrait pas à la volonté de la majorité indiscutable des professionnels concernés, la circonstance que les boulangeries artisanales soient devenues minoritaires dans le département ne suffisant pas à établir l'absence d'une telle majorité ; que le tribunal administratif a pu à bon droit, pour écarter ce moyen, se fonder sur les constatations qu'il avait opérées dans un précédent jugement relatif au même arrêté, alors même que ce jugement n'avait pas autorité de chose jugée à l'égard de la société requérante ; que les dispositions de l'article L. 221-17 ne faisaient pas obstacle à ce que le préfet, conformément aux termes de l'accord préalablement conclu, assortisse l'obligation de fermeture qu'il édictait de certaines dérogations ; que ces moyens doivent donc, en tout état de cause, être écartés ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE CESAGUI n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté son recours en appréciation de légalité ;

Considérant, enfin, que les dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SOCIETE CESAGUI demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;


D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la SOCIETE CESAGUI est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE CESAGUI et au ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement.


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