Conseil d'Etat, Juge des référés, du 7 novembre 2003, 261475, mentionné aux tables du recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 3 novembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la S.A. D'HABITATIONS A LOYER MODERE TROIS VALLEES, dont le siège est ..., qui demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance en date du 20 octobre 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, saisi par le préfet de police sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, a mis fin à l'injonction délivrée à celui-ci par ordonnance en date du 26 septembre 2003 du même juge des référés tendant à ce que soient prises toutes mesures nécessaires pour assurer l'exécution de l'ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris en date du 3 avril 1997 prononçant l'expulsion des occupants sans titre de l'immeuble situé ... (12ème) ;

2°) d'ordonner au préfet de police de prendre lesdites mesures dans le délai d'un mois à compter de la décision à intervenir ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que la circonstance qu'une seconde famille ait refusé le 13 septembre 2003 la proposition de relogement qui lui était adressée ne constitue pas un élément nouveau, au regard du risque de trouble à l'ordre public, de nature à justifier le recours à la procédure prévue à l'article L. 521-4 du code de justice administrative ; que l'occupation illégale dure depuis six ans ; que Mme X... a refusé les propositions de relogement sans motif légitime ; que le prétendu appui associatif dont elle disposerait ne ressort pas des pièces du dossier ; qu'eu égard aux propositions de relogement, aucun trouble à l'ordre public ne justifie le maintien des deux familles dans des locaux insalubres ; qu'une atteinte grave et manifestement illégale est portée au droit de propriété de l'exposante ; que le maintien dans les lieux fait obstacle à la réalisation de travaux d'intérêt général destinés à permettre le logement de familles modestes ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2003, présenté par le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que les éléments nouveaux invoqués justifiaient le recours à la procédure de l'article L. 521-4 du code de justice administrative ; que l'urgence ne résulte ni de projets de travaux non établis, ni de l'état des locaux ; que le prix d'acquisition en 2000 de l'immeuble occupé depuis plusieurs années tient compte des difficultés de prise effective de possession ; que l'atteinte au droit de propriété ne peut résulter que d'un agissement volontaire de l'administration, lequel n'est pas établi en l'espèce dès lors que la société ne s'est pas manifestée auprès des autorités de police depuis août 2002, date à laquelle l'immeuble était encore occupé par 28 personnes dont une très grande majorité d'enfants ne disposant pas d'une solution de relogement ; qu'à titre subsidiaire une expulsion entraînerait de graves troubles à l'ordre public ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la S.A. D'HABITATIONS A LOYER MODERE TROIS VALLEES, d'autre part, le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales ;

Vu le procès verbal de l'audience publique du 7 novembre 2003 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Y..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la S.A. D'HABITATIONS A LOYER MODERE TROIS VALLEES ;

- le représentant de la S.A. D'HABITATIONS A LOYER MODERE TROIS VALLEES ;

- le représentant du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales ;


Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (...) aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ; qu'aux termes de l'article L. 521-4 : Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d'un élément nouveau, modifier les mesures qu'il avait ordonnées ou y mettre fin ;

Considérant, d'autre part, que les voies de recours contre les ordonnances de référé d'urgence sont définies par l'article L. 523-1 aux termes duquel : Les décisions rendues en application des articles L. 521-1, L. 521-3, L. 521-4 et L. 522-3 sont rendues en dernier ressort./ Les décisions rendues en application de l'article L. 521-2 sont susceptibles d'appel devant le Conseil d'Etat dans les quinze jours de leur notification. En ce cas, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat ou un conseiller délégué à cet effet statue dans un délai de quarante-huit heures et exerce le cas échéant les pouvoirs prévus à l'article L. 521-4 ;

Sur la qualification du recours devant le Conseil d'Etat :

Considérant que les ordonnances modificatives rendues par le juge des référés en application des dispositions de l'article L. 521-4 participent de la même nature que celle des ordonnances ainsi modifiées, lesquelles font l'objet de voies de recours distinctes selon qu'elles sont rendues sur le fondement des articles L. 521-1 ou L. 521-2 du code ; qu'ainsi, dans le cas particulier où le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-4, a modifié les mesures précédemment ordonnées en vertu des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2, cette ordonnance modificative relève de la même voie de recours que l'ordonnance initiale ; qu'elle est donc susceptible d'appel devant le Conseil d'Etat dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 523-1 et à l'article R. 523-3 du code de justice administrative ; qu'il suit de là que c'est par la voie de l'appel que la S.A. D'HABITATIONS A LOYER MODERE TROIS VALLEES conclut à l'annulation de l'ordonnance du 20 octobre 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a mis fin à l'injonction qu'il avait prononcée, sur le fondement de l'article L. 521-2, par ordonnance du 26 septembre 2003 ;

Sur le fond :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la S.A. D'HABITATIONS A LOYER MODERE TROIS VALLEES, a acquis en septembre 2000 un immeuble situé ... (12ème) qui avait été occupé sans titre par une vingtaine de familles ; que le concours de la force publique, requis en juin 2001 en vue de l'exécution de l'ordonnance d'expulsion du président du tribunal de grande instance de Paris du 3 avril 1997, lui a été refusé en raison de menaces de troubles à l'ordre public ; que la société a alors entrepris de proposer une solution de relogement à chacun des occupants sans titre de l'immeuble et a engagé les travaux de remise en état nécessaires à son objectif de réalisation de logements sociaux ; qu'elle a saisi le 24 septembre 2003 le juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2 en faisant valoir qu'une seule famille refusant sans motif légitime le relogement proposé, il y avait lieu d'enjoindre au préfet de police d'accorder le concours de la force publique à son expulsion ; que l'ordonnance du 26 septembre 2003 ayant fait droit à cette demande d'injonction, le préfet de police en a demandé la modification sur le fondement de l'article L. 521-4 en faisant valoir que, selon les informations qu'il venait de recueillir, l'immeuble demeurait en fait occupé par deux familles, soit au total seize personnes dont douze enfants ; qu'en présence de cet élément nouveau, et compte tenu des conséquences qui en résultaient quant au caractère grave et manifestement illégal du refus de concours de la force publique, le juge des référés a mis fin, par l'ordonnance dont appel, à l'injonction délivrée au préfet de police ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction écrite et des éléments complémentaires recueillis au cours de l'audience publique qu'à la date de la présente ordonnance aucun motif légal ne parait plus susceptible de justifier le refus de concours de la force publique en vue de procéder, à bref délai, à l'expulsion des derniers occupants sans titre de l'immeuble en cause eu égard notamment aux propositions de relogement qui leur sont adressées ;

Considérant toutefois que l'instruction et le jugement des requêtes présentées au juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2, complété par l'article L. 521-4, ne sauraient se substituer à l'instruction et au prononcé d'une décision administrative ; que dans le cas où l'atteinte à une liberté fondamentale, au sens de l'article L. 521-2, résulte selon le requérant du refus de l'administration de faire droit à une demande , celui-ci n'est fondé à se prévaloir d'une telle atteinte que s'il est en mesure de justifier devant le juge des référés de l'existence même d'une décision de rejet de cette demande ;

Considérant que l'appréciation à laquelle se livre l'autorité administrative, lorsqu'elle est saisie d'une demande de concours de la force publique en vue d'exécuter une décision juridictionnelle d'expulsion des occupants d'un immeuble, est étroitement liée aux conditions de toute nature dans lesquelles se déroule cette occupation à la date de la demande ; que ces conditions sont évolutives, ainsi qu'il est démontré dans la présente instance ; qu'en effet la dernière demande a été adressée à l'autorité de police le 20 août 2002, soit à une date à laquelle 28 personnes dont une très grande majorité d'enfants ne disposaient d'aucune solution de relogement ; qu'aucune nouvelle demande faisant état de l'évolution favorable de la situation, liée aux relogements réalisés, n'a été adressée au préfet de police jusqu'à la date de la saisine du juge des référés le 24 septembre 2003 en vue du prononcé d'une injonction ; qu'à cette date la société requérante ne justifiait donc pas d'une prise de position de l'autorité administrative au vu des éléments nouveaux intervenus depuis un an et susceptible d'être qualifiée d'atteinte grave à une liberté fondamentale ; que la seule circonstance que le préfet de police n'ait pas effectivement mis en ouvre le concours de la force publique depuis l'introduction de l'instance en référé ne saurait, en l'espèce, suffire à caractériser une telle atteinte ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conditions posées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'étant pas réunies, la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée, ni par voie de conséquence le prononcé d'une injonction et le remboursement par l'Etat des frais exposés et non compris dans les dépens ;


O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la S.A. D'HABITATIONS A LOYER MODERE TROIS VALLEES est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la S.A. D'HABITATIONS A LOYER MODERE TROIS VALLEES et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.


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