Conseil d'Etat, Section du Contentieux, du 30 décembre 2003, 249047, publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le recours, enregistré le 26 juillet 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 16 mai 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté son recours contre le jugement du 14 décembre 2000 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a accordé à la S.A.R.L. Résidence Hôtel Saint-Philippe, aujourd'hui dénommée Coréal Gestion, la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle avait été assujettie au titre de l'année 1994 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hourdin, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de la S.A.R.L. Coréal Gestion,

- les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement ;


Considérant qu'aux termes de l'article 212 du code général des impôts : Les intérêts afférents aux sommes que les associés laissent ou mettent à la disposition de la société sont admis dans les charges déductibles dans les conditions prévues au 3° du 1 de l'article 39./ Toutefois :/ 1° La déduction n'est admise, en ce qui concerne les associés ou actionnaires possédant, en droit ou en fait, la direction de l'entreprise ou détenant plus de 50 % des droits financiers ou des droits de vote attachés aux titres émis par la société, que dans la mesure où ces sommes n'excèdent pas, pour l'ensemble desdits associés ou actionnaires, une fois et demie le montant du capital social./ Cette limite n'est pas applicable : .../ b. Aux intérêts afférents aux avances consenties par une société à une autre société lorsque la première possède, au regard de la seconde, la qualité de société mère au sens de l'article 145... ; qu'aux termes du 1 de l'article 145 : Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini aux articles 146 et 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après... ; que sont ainsi visées les sociétés qui, soit ont leur siège en France, soit, leur siège étant situé dans un autre Etat, ont en France un établissement au titre duquel elles sont soumises à l'impôt sur les sociétés ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel de Lyon que la S.A.R.L. Résidence Hôtel Saint-Philippe, aujourd'hui dénommée Coréal Gestion, dont 99,99 % puis 75 % du capital a, jusqu'au 7 février 1994, été détenu par la société allemande Instag AG, a déduit de ses résultats des exercices clos en 1992, 1993 et 1994 l'intégralité des intérêts versés à cette dernière en rémunération des avances qu'elle lui consentait ; que la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle, à l'issue d'une vérification de sa comptabilité, l'administration l'avait assujettie au titre de l'année 1994 procédait de la réintégration à ses résultats, entraînant notamment la remise en cause des déficits reportés des exercices clos en 1992 et 1993, de la fraction de ces intérêts excédant la limite définie au 1° de l'article 212 précité du code général des impôts ; que, par l'arrêt contre lequel le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel a rejeté son recours tendant au rétablissement de cette imposition dont les premiers juges ont accordé la décharge à la S.A.R.L. Résidence Hôtel Saint-Philippe, au motif que ceux-ci avaient à juste titre estimé qu'elle procédait d'une application des dispositions de l'article 212 du code général des impôts à laquelle s'opposaient celles, relatives à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre sur le territoire d'un autre Etat membre, de l'article 52 du traité CE (devenu, après modification, 43 CE) ; que, pour statuer ainsi, la cour s'est fondée sur ce que ces dernières dispositions ne permettaient pas de soumettre une société filiale d'une société ressortissante d'un autre Etat membre, et à laquelle serait applicable, si elle était établie en France, le régime fiscal des sociétés mères, à un traitement fiscal différent de celui auquel sont soumises les sociétés filiales de sociétés établies en France et imposables selon ce régime, en l'occurrence bénéficiaires de l'exception prévue au b du 1° de l'article 212 précité du code général des impôts ;

Considérant que les stipulations de l'article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE), relatives à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre sur le territoire d'un autre Etat membre et aux termes desquelles cette liberté comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés..., dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, s'opposent, notamment, aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d'un Etat membre sur le territoire d'un autre Etat membre ; qu'il résulte de l'interprétation donnée de ces stipulations par la Cour de justice des Communautés européennes qu'est de nature à constituer une telle restriction l'application par un Etat membre d'un traitement fiscal inégal aux sociétés filiales constituées sur son territoire en conformité de sa législation selon que leur société mère s'y trouve ou non, elle-même, établie, dès lors qu'au regard de l'objet de l'impôt en cause, les unes et les autres de ces sociétés filiales sont dans une situation objectivement comparable ;

Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient à titre principal le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la circonstance qu'en seule raison de ce qu'elle n'a pas d'établissement en France, une société ne se trouve pas soumise au régime fiscal français des sociétés mères n'est pas de nature à caractériser l'existence, entre une société filiale constituée par elle en France et les sociétés filiales françaises de sociétés établies en France et soumises audit régime, d'une différence de situation objective telle que cette société filiale puisse, sans qu'il en résulte une restriction à la liberté d'établissement contraire aux dispositions de l'article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE), se voir appliquer un traitement moins favorable en vue de la détermination des bases d'impôt sur les sociétés dont elle est redevable, et que, par suite, les dispositions précitées du 1° de l'article 212 du code général des impôts ne peuvent fonder une imposition qui aurait cet effet ;

Considérant, en second lieu, que le moyen subsidiairement tiré par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE de ce que la cour administrative d'appel s'est abstenue de rechercher si, en l'espèce, la société allemande Instag AG remplissait ou non les conditions qui, si elle avait été établie en France, lui auraient rendu applicable le régime fiscal des sociétés mères ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté, dès lors que la cour a, sans dénaturer les pièces du dossier, relevé que n'était alléguée par l'administration, hormis sa nationalité, aucune caractéristique de la société allemande Instag AG qui fonderait la mise en ouvre du plafonnement défini à l'article 212 ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE n'est pas fondé à demander que l'arrêt attaqué, lequel est suffisamment motivé, soit annulé ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'Etat à payer à la S.A.R.L. Coréal Gestion la somme de 3 000 euros qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;


D E C I D E :

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Article 1er : Le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à la S.A.R.L. Coréal Gestion une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à la S.A.R.L. Coréal Gestion.


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