Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 30/07/2003, 221005, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE, enregistré le 12 mai 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande que le Conseil d'Etat annule l'arrêt du 8 mars 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 5 octobre 1995 du tribunal administratif de Bastia déchargeant M. François X des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 1990 ; il soutient que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit pour avoir subordonné l'activation d'un élément incorporel affecté par nature à l'exploitation à un apport formalisé de M. X à la SNC X et Cie ; qu'elle a omis de statuer sur le régime fiscal du produit, en tant qu'il serait réputé attribué à M. X ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Salesse, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. X,

- les conclusions de Mme Maugüé, Commissaire du gouvernement ;




Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 26 juillet 1979 M. X a conclu avec la société pour la mise en valeur de la Corse (SOMIVAC) une convention pour la construction et l'exploitation d'une micro-centrale électrique sur la rivière l'Alesani pendant six ans ; que, le 21 novembre 1980, M. X a créé avec sa fille la société en nom collectif X et Cie soumise au régime du bénéfice réel dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ; que, par arrêté préfectoral du 19 décembre 1980, cette société a été autorisée à exploiter la micro-centrale ; que, par un arrêt du 22 janvier 1990, confirmé sur ce point par un arrêt du 7 janvier 1992 de la Cour de cassation, la cour d'appel de Bastia a condamné solidairement la SOMIVAC et l'office d'équipement hydraulique de la Corse (OEHC) à verser à M. X une indemnité de 4 461 160 F assortie des intérêts de droit, soit une somme totale de 6 728 827 F, à titre de réparation du préjudice dû à l'insuffisante alimentation en eau de la micro-centrale électrique et a débouté la SNC de tous droits à indemnisation ; que l'administration, regardant l'indemnité comme compensant une perte d'exploitation de la SNC X et Cie, l'a réintégrée dans les résultats de celle-ci et soumise à l'impôt sur le revenu au nom de M. X à proportion de ses droits sociaux ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE demande l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel qui a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Bastia déchargeant M. X de l'imposition en litige ;

Considérant que la cour administrative d'appel a omis de répondre au moyen subsidiaire du ministre tiré de ce que, s'il est considéré que ce n'est pas en tant que gérant de la SNC que M. X a reçu l'indemnité, c'est directement en tant que détenteur du droit d'exploiter la micro-centrale ; que ce moyen n'est pas inopérant ; qu'ainsi le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstance de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;

Considérant que la qualification juridique donnée par le juge judiciaire à l'indemnité allouée à M. X ne liant pas le juge administratif, c'est à tort que le tribunal administratif s'est cru lié par cette qualification pour accorder la décharge de l'imposition litigieuse ; qu'il appartient toutefois au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. X ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, comme il a été dit ci-dessus, c'est M. X qui a passé la convention avec la SOMIVAC lui donnant le droit d'exploitation de la micro-centrale électrique contre redevance ; que ce droit ne figurait pas à l'actif de la société qu'il a constituée ultérieurement avec sa fille ; qu'ainsi, l'indemnité versée à M. X ne peut être regardée comme la contrepartie de la perte d'exploitation subie par la SNC ;

Considérant toutefois que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, pour justifier le bien-fondé d'une imposition, de substituer une base légale à celle qui a été primitivement invoquée, dès lors que cette substitution peut être faite sans priver le contribuable des garanties qui lui sont reconnues en matière de procédure d'imposition ; que le ministre soutient que l'indemnité perçue par M. X, initialement imposée comme bénéfice industriel et commercial sur le fondement d'une quote-part du bénéfice réalisé par la SNC X et Cie, peut être regardée et rester imposée comme un bénéfice industriel et commercial directement perçu par M. X ; que cette substitution de base légale n'a pour effet en l'espèce de priver le requérant d'aucune garantie de procédure ; qu'il résulte de l'instruction que l'indemnité versée à M. X réparait la perte de recette due à l'insuffisante alimentation en eau de la micro-centrale dont il détenait le droit d'exploitation ; qu'elle est ainsi imposable dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ; que, dès lors, la substitution de base légale demandée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie peut être admise ;

Considérant que M. X ne soutient pas que la nouvelle base légale invoquée par l'administration conduirait à une évaluation de son bénéfice individuel inférieure à la quote-part du bénéfice réalisé par la SNC ; que les intérêts moratoires accordés par le juge judiciaire ont la même nature que la somme à laquelle elle s'applique et doivent être soumis au même régime fiscal que celle-ci ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a accordé à M. X la décharge de l'imposition contestée ;

Sur les conclusions de M. X tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à M. X la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 8 mars 2000 de la cour administrative d'appel de Lyon et le jugement du 5 octobre 1995 du tribunal administratif de Bastia sont annulés.
Article 2 : La requête du tribunal administratif de Bastia et le surplus des conclusions devant le Conseil d'Etat de M. X sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à M. François X.


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