Conseil d'Etat, 6ème sous-section jugeant seule, du 6 décembre 2004, 260438, inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu, 1° sous le n° 260438, la requête enregistrée le 22 septembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX SAUVAGES, BP 505 à Crest (26401 cedex), représentée par son administrateur M. Alain X... ; l'association demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté interministériel du 8 juillet 2003 relatif à la lutte contre le ragondin et le rat musqué et en particulier aux conditions de délivrance et d'emploi d'appâts empoisonnés ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu, 2° sous le n° 260442, la requête enregistrée le 22 septembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'association FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT, dont le siège est au Muséum national d'histoire naturelle, Pavillon Chevreuil, ... (75231 cedex 05), représentée par M. Olivier Laurent ; l'association demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, à l'exception de son article 11, l'arrêté interministériel du 8 juillet 2003 relatif à la lutte contre le ragondin et le rat musqué et en particulier aux conditions de délivrance et d'emploi d'appâts empoisonnés ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la directive n° 92/43/CEE, du Conseil, du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que la faune et la flore sauvage ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code rural ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Henrard, Auditeur,

- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;


Considérant que les requêtes de l'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX SAUVAGES et de l'association FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT tendent à l'annulation pour excès de pouvoir du même arrêté interministériel du 8 juillet 2003, relatif à la lutte contre le ragondin et le rat musqué, en particulier aux conditions de délivrance et d'emploi d'appâts empoisonnés et qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la recevabilité de la requête de l'association FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT et sur l'intervention de la ligue pour la préservation de la faune sauvage et la défense des non-chasseurs, dite ROC :

Considérant que l'association FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté attaqué à l'exception de son article 11 ; que le juge administratif, lorsqu'il est saisi de conclusions tendant à l'annulation partielle d'un acte dont les dispositions forment un ensemble indivisible, est tenu de rejeter ces conclusions ; que l'arrêté attaqué a pour objet, notamment, de définir les nouvelles conditions dans lesquelles les préfets pourront autoriser l'utilisation d'appâts empoisonnés dans le cadre des luttes collectives contre certains animaux nuisibles et qu'il se substitue, sur ce point, à l'arrêté du 12 juillet 1979 du ministre chargé de la chasse, réglementant la vente et l'emploi de bromadiolone pour lutter contre le ragondin et le campagnol terrestre ; que, dès lors, son article 11, qui abroge l'arrêté ministériel du 12 juillet 1979, est indivisible de ses autres dispositions qui encadrent l'utilisation d'appâts empoisonnés dans les luttes collectives contre les nuisibles ; qu'il suit de là que la requête de l'association FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT est irrecevable et que l'intervention de la ligue pour la préservation de la faune sauvage et la défense des non-chasseurs, dite ROC, au soutien de cette requête, ne peut, en conséquence, être admise ;

Sur le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation :

Considérant que l'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX SAUVAGES soutient que, compte tenu des risques que présente, pour des espèces non-cibles, l'emploi de rodenticides pour lutter contre les ragondins et rats musqués, l'arrêté attaqué, qui autorise l'utilisation de bromadiolone et de scilliroside contre le ragondin et de chlorophacinone contre le rat musqué, est entaché d'erreur manifeste d'appréciation, au regard notamment du principe de précaution posé par l'article L. 110-1 du code de l'environnement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que sont découverts chaque année les cadavres de plusieurs centaines d'animaux sauvages appartenant à des espèces non-cibles, dont l'analyse révèle la présence d'anticoagulants et notamment de bromadiolone, rodenticide autorisé par l'arrêté attaqué pour lutter contre les ragondins ; que, toutefois, les études produites par l'association ne contiennent d'éléments probants, ni sur le caractère déterminant de ces substances dans le décès des animaux, ni sur le rôle que pourraient jouer, dans ces intoxications, les appâts utilisés pour lutter contre les ragondins, qui sont disposés sur des radeaux au milieu des cours d'eau de façon à en limiter la consommation par les espèces non-cibles, par rapport aux appâts utilisés pour lutter contre d'autres nuisibles comme le campagnol, qui sont déposés en plein champ ; qu'en outre l'arrêté attaqué prévoit, pour la délivrance et l'emploi des appâts empoisonnés destinés à la lutte contre le ragondin et le rat musqué, de nombreuses mesures de précaution qui ne figuraient pas dans l'arrêté ministériel du 12 juillet 1979 qu'il abroge et remplace ; qu'il suit de là que l'arrêté attaqué, eu égard notamment à l'intérêt public qui s'attache à la lutte contre le ragondin et le rat musqué, tant du point de vue de la santé humaine que de la préservation des cultures et des digues et ouvrages hydrauliques, n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation et que ce moyen doit être écarté ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance des objectifs de la directive Habitats :

Considérant que si l'article 12 de la directive n°92/43/CEE, du Conseil, du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que la faune et la flore sauvage prévoit que : Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a) ... interdisant : a. toute forme de capture et de mise à mort intentionnelle ... b. La perturbation intentionnelle de ces espèces... , ni le ragondin ni le rat musqué ne figurent sur la liste des espèces énumérées à l'annexe IV ; que si l'article 15 de la même directive interdit pour la capture et la mise à mort des espèces de faune sauvage énumérées à l'annexe V point a) et dans les cas où ... des dérogations sont appliquées pour ... la mise à mort des espèces énumérées à l'annexe IV point a) ... l'utilisation de tous les moyens susceptibles d'entraîner localement la disparition ou de troubler gravement la tranquillité des populations d'une espèce en particulier : a) l'utilisation des moyens de capture et de mise à mort énumérés à l'annexe VI point a) et que parmi les moyens de capture et de mise à mort de l'annexe VI figurent les poisons et appâts empoisonnés ou anesthésiques , ni le ragondin ni le rat musqué n'appartient à la liste des espèces énumérées à l'annexe V ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait méconnu les objectifs de la directive n'est pas fondé et doit être écarté ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande l'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX SAUVAGES au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;


D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de l'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX SAUVAGES et de l'association FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT sont rejetées.

Article 2 : L'intervention de la ligue pour la préservation de la faune sauvage et la défense des non-chasseurs, dite ROC, n'est pas admise.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX SAUVAGES, à l'association FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT, à la ligue pour la préservation de la faune sauvage et la défense des non-chasseurs, dite ROC, au ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité, au ministre de l'écologie et du développement durable et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


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