Conseil d'Etat, 8 / 3 SSR, du 22 mai 2002, 224591, mentionné aux tables du recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 août 2000 et 2 janvier 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Gilbert X..., demeurant ... ; M. et Mme X... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 27 juin 2000 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'ordonnance de référé fiscal du 16 mai 2000 dudit tribunal rejetant leur demande tendant à ce que les garanties qu'ils ont offertes au trésorier de Suresnes à l'appui de leur demande de sursis de paiement des cotisations d'impôt sur le revenu mises à leur charge au titre des années 1994 et 1995 soient jugées propres à assurer le recouvrement de la créance du Trésor et acceptées par le comptable ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 3 049 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vallée, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Hemery, avocat de M. et Mme X...,

- les conclusions de Mme Mignon, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 279 du livre des procédures fiscales : "En matière d'impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires, lorsque les garanties offertes par le contribuable ont été refusées, celui-ci peut, dans les quinze jours de la réception de la lettre recommandée qui lui a été adressée par le comptable, porter la contestation, par simple demande écrite, devant le juge du référé administratif, qui est un membre du tribunal administratif désigné par le président de ce tribunal. Cette demande n'est recevable que si le redevable a consigné auprès du comptable, à un compte d'attente, une somme égale au dixième des impôts contestés. Une caution bancaire ou la remise de valeurs mobilières cotées en bourse peut tenir lieu de consignation. Le juge des référés décide dans le délai d'un mois ... si les garanties offertes ... doivent ou non être acceptées par le comptable. Il peut également, dans le même délai, décider de dispenser le redevable de garanties autres que celles déjà constituées. Dans les huit jours suivant la décision du juge ou l'expiration du délai laissé à ce dernier pour statuer, le redevable et le comptable peuvent, par simple demande écrite, faire appel devant le tribunal administratif. Celui-ci, dans le délai d'un mois, décide si les garanties doivent être acceptées ... à défaut de décision dans ce délai, la décision intervenue au premier degré est réputée confirmée ... Lorsque le juge du référé estime suffisantes les garanties initialement offertes, les sommes consignées sont restituées. Dans le cas contraire, les garanties supplémentaires à présenter sont diminuées à due concurrence" ; que M. X... défère au Conseil d'Etat, par la voie du recours en cassation, le jugement du 27 juin 2000 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté son appel dirigé contre l'ordonnance du 16 mai 2000 du juge du référé fiscal du même tribunal rejetant sa demande tendant à ce que les garanties qu'il a proposées au trésorier de Suresnes à l'appui de sa demande de sursis de paiement des cotisations d'impôt sur le revenu qui lui sont réclamées à hauteur de 735 426 F soient jugées propres à assurer le recouvrement de la créance du Trésor et acceptées par le comptable ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales : "Le contribuable qui conteste le bien-fondé ou le montant des impositions mises à sa charge peut, s'il en a expressément formulé la demande dans sa réclamation et précisé le montant ou les bases de dégrèvement auquel il estime avoir droit, être autorisé à différer le paiement de la partie contestée de ces impositions et des pénalités y afférentes. Le sursis de paiement ne peut être refusé au contribuable que s'il n'a pas constitué auprès du comptable les garanties propres à assurer le recouvrement de la créance du Trésor. Lorsque l'administration a fait application des majorations prévues à l'article 1729 du code général des impôts, les garanties demandées ne peuvent excéder le montant des pénalités de retard qui seraient exigibles si la bonne foi n'avait pas été mise en cause. A défaut de constitution de garanties ou si les garanties offertes sont insuffisantes, le comptable peut prendre des mesures conservatoires pour les impôts contestés, jusqu'à la saisie inclusivement. Mais la vente ne peut être effectuée ou la contrainte par corps ne peut être exercée jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été prise sur la réclamation soit par l'administration, soit par le tribunal compétent" ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le contribuable qui en fait expressément la demande dans sa réclamation a droit au sursis de paiement sur la totalité des impôts qu'il conteste, à la seule condition qu'il réunisse les garanties appropriées ; que ce droit ne peut être restreint par les mesures de recouvrement prises par le comptable avant la demande de sursis ;

Considérant que, dès lors que le contribuable a régulièrement déposé une demande de sursis, l'exigibilité de l'impôt est suspendue au moins jusqu'à la notification par le comptable du refus des garanties et le comptable du Trésor ne peut recourir à des mesures d'exécution avant qu'une décision définitive ait été prise sur le bien-fondé de l'imposition litigieuse, soit par l'administration, soit par le tribunal compétent ; que lorsque le fisc a diligenté des mesures d'exécution avant que le contribuable ait demandé le sursis de paiement, les sommes et les biens ainsi entrés dans le patrimoine de l'Etat doivent, nonobstant l'effet attributif des mesures d'exécution pratiquées, être regardés, à hauteur des montants saisis, comme valant consignation au sens de l'article L. 279 du livre des procédures fiscales, à charge pour le juge du référé fiscal de statuer sur la valeur des garanties proposées en complément ou en substitution des sommes ou des biens saisis et, pour l'administration, d'en restituer la propriété au contribuable au cas où les garanties proposées seraient jugées insuffisantes ; qu'il suit de là qu'en jugeant que la requête de M. X... devait être écartée comme irrecevable en l'absence de la consignation prévue à l'article L. 279 du livre des procédures fiscales, sans rechercher si les saisies pratiquées sur ses biens mobiliers par le trésorier de Suresnes avaient mis ce dernier en possession de sommes ou de valeurs mobilières cotées en bourse pour un montant égal au dixième de l'imposition contestée, le tribunal administratif de Paris a méconnu les dispositions des articles L. 277 et L. 279 du livre des procédures fiscales ; que le jugement attaqué doit, dès lors, pour ce motif, être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la procédure de référé engagée en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 279 du livre des procédures fiscales que l'ordonnance du juge du référé en matière fiscale est rendue à la suite d'une procédure particulière adaptée à la nature de la demande et à la nécessité d'assurer une décision rapide ; que le juge du référé n'était ainsi pas tenu de communiquer à M. X... les observations en défense de l'administration ; que l'intéressé n'est par suite pas fondé à soutenir que l'ordonnance attaquée a été rendue au terme d'une procédure irrégulière ;

Considérant que le juge du référé fiscal, dont l'office se borne à apprécier si les garanties proposées par le contribuable en vue de bénéficier du sursis de paiement prévu à l'article L. 277 du livre des procédures fiscales permettent d'assurer le recouvrement des impositions contestées, ne se prononce pas sur une accusation en matière pénale et ne tranche pas des contestations sur des droits et obligations de caractère civil ; que le moyen tiré de la méconnaissance par le juge du référé fiscal de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est, par suite, inopérant ;

Considérant qu'il est constant que, préalablement à la saisine du juge du référé, M. X... n'avait ni consigné la somme exigée par les dispositions de l'article L. 279 du livre des procédures fiscales, ni fourni une caution bancaire ou remis des valeurs mobilières cotées en bourse d'un montant équivalent ; que M. X... expose toutefois qu'il n'y a pas lieu de l'astreindre à ladite consignation dès lors que, d'une part, le trésorier de Suresnes a pratiqué le 5 février 1999 et le 8 février 2000 des saisies sur ses biens mobiliers, que, d'autre part, le même trésorier a fait procéder, le 16 août 1999, à la publication au greffe du tribunal de commerce de Nanterre du privilège du Trésor et, qu'enfin, il a offert en garantie le nantissement de parts non cotées en bourse de la SARL Ocher, qui exploite des appartements en meublés et qu'il détient en usufruit ;

Considérant, sur le premier point, que M. X... évalue lui-même les saisies susmentionnées à 60 000 F ; qu'elles n'ont donc pas mis le comptable du Trésor en possession de sommes ou de valeurs mobilières pour un montant égal au dixième de l'imposition contestée ;

Considérant, sur le deuxième point, que l'inscription du privilège du Trésor ne peut tenir lieu de consignation pour l'application de l'article L. 279 du livre des procédures fiscales, sans qu'y fasse obstacle la circonstance, à la supposer établie, que l'inscription du privilège du Trésor ait empêché M. X... d'obtenir une caution bancaire ;

Considérant, enfin, qu'il est constant que M. X... n'a pas accompagné l'offre en garantie du nantissement des parts de la société non cotée susmentionnée d'une caution bancaire garantissant le paiement intégral des impôts dus, dans l'hypothèse où, en cas de cession ultérieure des titres aux fins de règlement de la dette fiscale, le prix obtenu se révèlerait inférieur au montant des garanties ; que, dès lors, il n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que cette offre était de nature à le dispenser de l'obligation de consignation prévue par l'article L. 279 du livre des procédures fiscales ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, que M. X... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, le juge du référé fiscal a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions de M. X... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à M. X... la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 27 juin 2000 est annulé.
Article 2 : La requête de M. et Mme X... devant le tribunal administratif de Paris et le surplus des conclusions de M. et Mme X... présentées devant le Conseil d'Etat sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Gilbert X... et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
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