Conseil d'Etat, 8 / 9 SSR, du 13 octobre 1999, 193195, publié au recueil Lebon
Conseil d'Etat, 8 / 9 SSR, du 13 octobre 1999, 193195, publié au recueil Lebon
Conseil d'Etat - 8 / 9 SSR
statuant
au contentieux
- N° 193195
- Publié au recueil Lebon
Lecture du
mercredi
13 octobre 1999
- Président
- M. Genevois
- Rapporteur
- Mme Belliard
- Avocat(s)
- Me Cossa, SCP Piwnica, Molinié, Avocat
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu 1°) sous le n° 193195, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 13 janvier 1998, sur renvoi du Président du tribunal administratif de Paris par ordonnance n° 9767709/7 du 7 janvier 1998, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au greffe du tribunal les 7 mai et 3 juillet 1997, présentés pour la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE, dont le siège est ... à Roissy-Charles de Gaulle (95747) cedex, représentée par ses dirigeants en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège ; la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE demande : 1°) l'annulation de la décision implicite par laquelle l'établissement public Aéroports de Paris a rejeté sa demande tendant au remboursement de la somme de 70 049 299 F sous réserve d'actualisation, en réparation du préjudice subi à la suite d'un excédent de facturation opéré par ledit établissement sur les taxes aéroportuaires au titre des années 1992, 1993, 1994, 1995 et 1996 ; 2°) la condamnation de l'établissement public Aéroports de Paris à lui verser la somme de 70 049 299 F avec intérêts à compter du 27 décembre 1992, capitalisés, ainsi que la somme de 50 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; Vu 2°) sous le n° 193196, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 13 janvier 1998, sur renvoi du Président du tribunal administratif de Paris parordonnance n° 9609915/7 du 7 janvier 1998, la requête, enregistrée au greffe du tribunal le 9 juillet 1996, présentée pour la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE, dont le siège est situé ... à Roissy-Charles de Gaulle (95747) cedex, représentée par ses dirigeants en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège ; la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE demande : 1°) l'annulation de la décision implicite par laquelle l'établissement public Aéroports de Paris a rejeté sa demande tendant au retrait de la décision fixant, au titre de l'année 1996, les taux des redevances aéroportuaires appliqués aux avions cargos utilisant l'une des trois plates-formes ADP de : Orly (Val-de-Marne), Charles de Gaulle (Val-d'Oise) et Le Bourget (Seine-Saint-Denis) ; 2°) l'annulation de ladite décision ; 2°) la condamnation d'Aéroports de Paris à lui verser 50 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; Vu 3°) sous le n° 193197, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 13 janvier 1998, sur renvoi du Président du tribunal administratif de Paris par ordonnance n° 9772685/7 du 7 janvier 1998, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au greffe du tribunal les 21 février et 3 juillet 1997, présentés pour la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE, dont le siège est ... à Roissy-Charles de Gaulle (95747) cedex, représentée par ses dirigeants en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège ; la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE demande : 1°) l'annulation de la décision du 28 novembre 1996 par laquelle le conseil d'administration de l'établissement public Aéroports de Paris a fixé, au titre de l'année 1997, le taux de la redevance d'atterrissage pour les avions cargos utilisant l'une des trois platesformes ADP de : Orly (Val-de-Marne), Charles de Gaulle (Val-d'Oise) et Le Bourget (SeineSaint-Denis) ;
2°) la condamnation d'Aéroports de Paris à lui verser 10 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; Vu 4°) sous le n° 193412, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 20 janvier 1998, la requête présentée pour la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE, dont le siège est ... à Roissy-Charles de Gaulle (95747) cedex, représentée par ses dirigeants en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège ; la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE demande l'annulation de la décision du 20 novembre 1997 par laquelle le conseil d'administration de l'établissement public Aéroports de Paris a fixé, au titre de l'année 1998, le taux des redevances aéroportuaires appliqué aux avions cargos utilisant les plates-formes aéroportuaires d'Orly, de Roissy-Charles de Gaulle et du Bourget ; Vu les autres pièces des dossiers ; Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, devenue la Communauté européenne ; Vu le code de l'aviation civile ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, modifiée ; Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ; Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de Mme Belliard, Conseiller d'Etat, - les observations de Me Cossa, avocat de la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE et de la SCP Piwnica, Molinié, avocat des Aéroports de Paris, - les conclusions de M. Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par les requêtes enregistrées sous le n°s 193196, 193197 et 193412, la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE demande l'annulation, respectivement, de la décision par laquelle Aéroports de Paris a rejeté sa demande tendant au retrait de la délibération du conseil d'administration de cet établissement ayant fixé pour l'année 1996 les taux des redevances d'atterrissage des avions cargos et des délibérations des 28 novembre 1996 et 20 novembre 1997 ayant arrêté les taux de ces mêmes redevances pour les années 1997 et 1998 ; que, par la requête enregistrée sous le n° 193195, la société requérante demande qu'Aéroports de Paris soit condamné à lui verser une somme de 70 049 299 F en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait des modalités de calcul des redevances d'atterrissage des avions cargos de 1992 à 1996 ; que ces requêtes présentent à juger des questions semblables ou connexes ; qu'il y a lieu de les joindre et de statuer par une seule décision ; Sur les conclusions en annulation : En ce qui concerne la recevabilité des requêtes n°s 193196 et 193197 : Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er du décret n° 65-29 du 11 janvier 1965 relatif aux délais de recours contentieux en matière administrative : " ... Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet ... Les intéressés disposent pour se pourvoir contre cette décision implicite d'un délai de 2 mois à compter de l'expiration de la période de quatre mois susmentionnée ... Toutefois l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet ... 2°) Dans le contentieux de l'excès de pouvoir si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autresorganismes collégiaux" ... ; Considérant que la mesure de retrait de la délibération du conseil d'administration d'Aéroports de Paris ayant arrêté pour l'année 1996 les taux des redevances d'atterrissage des avions cargos ne pouvait être prise que par cette instance ; que la demande présentée à cette fin par la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE n'a fait l'objet d'aucune décision expresse ; que, par suite et en application des dispositions précitées du 2°) de l'article 1er du décret du 11 janvier 1965, aucune forclusion ne peut être opposée aux conclusions de la requête n° 193196 tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet par Aéroports de Paris de la demande en date du 26 octobre 1995 de la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE ;
Considérant, en second lieu, que les délibérations par lesquelles le conseil d'administration d'Aéroports de Paris fixe les taux des redevances d'atterrissage présentent un caractère réglementaire ; que, par suite, le délai de recours contre ces décisions ne court qu'à compter de leur publication ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la délibération du 28 novembre 1996 ayant fixé les taux des redevances aéroportuaires pour 1997 ait fait l'objet d'une mesure de publication, seule susceptible de faire courir le délai du recours pour excès de pouvoir ; qu'ainsi Aéroports de Paris n'est pas fondé à soutenir que les conclusions de la requête n° 193197, dirigées contre cette délibération du 28 novembre 1996, seraient tardives ; En ce qui concerne la légalité des décisions attaquées : Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens des requêtes : Considérant qu'aux termes de l'article L. 251-2 du code de l'aviation civile, Aéroports de Paris "est chargé d'aménager, d'exploiter et de développer l'ensemble des installations de transport civil aérien ayant leur centre dans la région parisienne et qui ont pour objet de faciliter l'arrivée et le départ des aéronefs, de guider la navigation, d'assurer l'embarquement, le débarquement et l'acheminement à terre des voyageurs, des marchandises et du courrier transporté par air, ainsi que toutes installations annexes" ; qu'aux termes de l'article R. 224-1 du même code, "Sur tout aérodrome ouvert à la circulation aérienne publique, les services rendus aux usagers et au public donnent lieu à une rémunération, sous forme de redevances perçues au profit de la personne qui fournit le service, notamment à l'occasion des opérations suivantes : -atterrissage des aéronefs ... Les redevances devront être appropriées aux services rendus" ; qu'aux termes de l'article R.224-2 du même code, "Les conditions d'établissement et de perception des redevances pour : - atterrissage des aéronefs de six tonnes et plus ... sont déterminées par arrêté interministériel après avis du conseil supérieur de l'aviation marchande ... Les taux ... sont fixés ... -pour Aéroports de Paris par son conseil d'administration" ; que l'article R. 224-2 prévoit en outre que la décision du conseil d'administration d'Aéroports de Paris fixant le taux de la redevance doit faire l'objet d'une approbation expresse ou tacite de la part des ministres chargés de l'aviation civile et de l'économie ; qu'aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 25 janvier 1956 relatif aux conditions d'établissement et de perception des redevances d'atterrissage et d'usage des dispositifs d'éclairage à percevoir sur les aérodromes ouverts à la circulation aérienne publique, "des réductions sur les taux de la redevance peuvent être accordées par l'exploitant de l'aéroport avec l'accord du ministre chargé de l'aviation marchande, si les conditions particulières du transport ou du travail aérien le justifient, sans que lesdites réductions puissent comporter une discrimination entre les entreprises de transport ou de travail aérien" ;
Considérant qu'en application des dispositions précitées, le conseil d'administration d'Aéroports de Paris fixe chaque année les taux des redevances d'atterrissage des aéronefs sur les plates formes d'Orly, de X... Charles de Gaulle et du Bourget, perçues encontrepartie de la mise à disposition des compagnies des pistes, voies de circulation et aires de trafic nécessaires aux mouvements de leurs avions ; que ce taux est déterminé en fonction du poids maximum au décollage de l'aéronef ; qu'en 1990, le conseil d'administration d'Aéroports de Paris a décidé d'opérer un abattement de 50 % sur les redevances d'atterrissage des avions cargos en dessous d'un seuil de 60 000 tonnes de jauge atterrie annuelle par compagnie ; qu'en 1994, le seuil en-dessous duquel s'applique l'abattement de 50 % a été relevé à 150 000 tonnes de jauge atterrie annuelle par compagnie ; qu'il a été en outre décidé d'appliquer un second abattement, fixé à 25 %, sur la tranche de jauge atterrie annuelle comprise entre 150 000 et 300 000 tonnes ; que les délibérations contestées ayant arrêté les taux des redevances d'atterrissage des avions cargos pour 1996, 1997 et 1998 ont reconduit ces modalités ; Considérant que la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE, dont le tonnage de jauge atterrie annuelle par avion cargo sur les aérodromes de la région parisienne dépasse 800 000 tonnes, contre moins de 300 000 tonnes pour le 2ème transporteur de fret au départ des mêmes aérodromes, et qui, en conséquence, tout en bénéficiant des abattements de 50 % et 25 % susindiqués, supporte un taux moyen de redevance par tonne atterrie supérieur de près de 50 % à celui de ce dernier, fait valoir que les modalités d'abattement retenues par Aéroports de Paris pour calculer les taux des redevances d'atterrissage des avions cargos conduisent ainsi à des différences de traitement entre les compagnies contraires au principe d'égalité entre les usagers d'un même service public ; Considérant que la fixation de tarifs différents applicables, pour un même service rendu, aux usagers d'un service ou d'un ouvrage public implique, à moins qu'elle ne soit la conséquence nécessaire d'une loi, soit qu'il existe entre ces usagers des différences de situation appréciables, soit qu'une considération d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service ou de l'ouvrage commande cette mesure ; Considérant que si Aéroports de Paris invoque, au soutien des décisions contestées, l'intérêt qui s'attache au développement des aérodromes parisiens comme plate-forme de fret international et à un élargissement de l'offre de fret aérien au départ de ces aérodromes et, s'il est vrai qu'en conséquence une modulation des redevances d'atterrissage des avions cargos peut s'avérer justifiée, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les modalités de modulation de ces redevances retenues en 1994 par Aéroports de Paris induisent des écarts de charges entre les compagnies concernées au regard du service rendu, qui, en raison de leur ampleur, ne peuvent être regardées comme limitées à ce que permettait, eu égard aux exigences du principe d'égalité, la prise en compte des considérations d'intérêt général invoquées ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE est fondée à demander l'annulation des décisions attaquées ; Sur les conclusions à fin d'indemnités : En ce qui concerne la compétence du Conseil d'Etat : Considérant, qu'eu égard à la connexité existant entre les conclusions en annulation présentées sous le n° 193196 par la compagnie requérante et ses conclusions tendant à la réparation du préjudice résultant de la décision contestée relative à la fixation des taxes d'atterrissage des avions cargos pour 1996, le Conseil d'Etat est compétent, en application de l'article 2 bis du décret du 30 septembre 1953 modifié, pour connaître en premier ressort de ces dernières conclusions ; qu'en revanche, en l'absence de toute conclusion dirigée par la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE contre les décisions d'Aéroports de Paris ayantfixé les taux des redevances d'atterrissage des avions cargos pour les années 1992, 1993, 1994 et 1995, le Conseil d'Etat n'est pas compétent pour connaître des conclusions à fin d'indemnités de la requérante en tant qu'elles portent sur lesdites années ; qu'il y a lieu de transmettre le jugement desdites conclusions au tribunal administratif de Paris ; En ce qui concerne la recevabilité : Considérant qu'il résulte des dispositions du 1°) de l'article 1er du décret précité du 11 janvier 1965 qu'"en matière de plein contentieux ... l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet" ; qu'il est constant qu'à la suite de la demande d'indemnité que lui a adressée la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE, l'établissement public Aéroports de Paris n'a notifié à cette dernière aucune décision expresse de rejet ; qu'Aéroports de Paris n'est par suite pas fondé à soutenir que la requête de la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE serait tardive ; Au fond : Considérant que la fixation, selon les modalités précédemment indiquées, des taux des redevances d'atterrissage des avions cargos pour l'année 1996 est entachée d'excès de pouvoir ; que cette illégalité est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement public Aéroports de Paris pour autant qu'il en résulte un préjudice ; Considérant que l'état du dossier ne permet d'apprécier ni l'existence ni l'importance du préjudice indemnisable ; qu'il y a lieu de procéder sur ce point à un supplément d'instruction et d'ordonner à Aéroports de Paris de faire connaître au Conseil d'Etat le montant des redevances d'atterrissage d'avions cargos effectivement supportées tant par Air France que par les autres compagnies aériennes au titre de l'année 1996, de lui fournir tous éléments permettant de déterminer, sur la base du produit total des redevances d'atterrissage des avions cargos perçues au titre de la même année et des tonnages de jauge atterrie par avions cargos des différentes compagnies, le montant de redevances qui eût été à la charge de ces compagnies, si aucun abattement n'avait été appliqué ainsi que dans l'hypothèse où auraient été reconduites les modalités d'abattement fixées en 1990 ; Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991 et de condamner Aéroports de Paris à payer à la Compagnie Air-France une somme de 20 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer à l'établissement public Aéroports de Paris la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La décision implicite par laquelle Aéroports de Paris a rejeté la demande de la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE tendant au retrait de la décision fixant, pour l'année 1996, les taux des redevances d'atterrissage des avions cargos, ainsi que les décisionsdes 28 novembre 1996 et 20 novembre 1997 fixant ces taux, respectivement, pour les années 1997 et 1998, sont annulées.
Article 2 : Le jugement des conclusions de la requête à fin d'indemnité de la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE enregistrée sous le n° 193195, en tant qu'elles portent sur les années 1992 à 1995, est attribué au tribunal administratif de Paris.
Article 3 : Il est, avant-dire droit sur les conclusions de la requête n° 193195 en tant qu'elles portent sur l'année 1996, ordonné à Aéroports de Paris de faire connaître au Conseil d'Etat, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, d'une part, le montant total des taxes d'atterrissage effectivement supporté par Air France et les autres compagnies aériennes au titre de cette année 1996 pour leurs avions cargos, d'autre part, les éléments permettant de déterminer sur la base du produit total des taxes d'atterrissage des avions cargos perçues par Aéroports de Paris et des tonnages de jauge atterrie par avions cargos des différentes compagnies, les montants de redevance qui auraient été respectivement exigés de ces compagnies, si aucun abattement ne s'était appliqué et dans l'hypothèse où auraient été seulement appliquées les modalités d'abattement fixées en 1990 ;
Article 4 : Aéroports de Paris versera à la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE une somme de 20 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE, à l'établissement public Aéroports de Paris, au ministre de l'équipement, des transports et du logement et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
2°) la condamnation d'Aéroports de Paris à lui verser 10 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; Vu 4°) sous le n° 193412, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 20 janvier 1998, la requête présentée pour la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE, dont le siège est ... à Roissy-Charles de Gaulle (95747) cedex, représentée par ses dirigeants en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège ; la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE demande l'annulation de la décision du 20 novembre 1997 par laquelle le conseil d'administration de l'établissement public Aéroports de Paris a fixé, au titre de l'année 1998, le taux des redevances aéroportuaires appliqué aux avions cargos utilisant les plates-formes aéroportuaires d'Orly, de Roissy-Charles de Gaulle et du Bourget ; Vu les autres pièces des dossiers ; Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, devenue la Communauté européenne ; Vu le code de l'aviation civile ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, modifiée ; Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ; Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de Mme Belliard, Conseiller d'Etat, - les observations de Me Cossa, avocat de la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE et de la SCP Piwnica, Molinié, avocat des Aéroports de Paris, - les conclusions de M. Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par les requêtes enregistrées sous le n°s 193196, 193197 et 193412, la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE demande l'annulation, respectivement, de la décision par laquelle Aéroports de Paris a rejeté sa demande tendant au retrait de la délibération du conseil d'administration de cet établissement ayant fixé pour l'année 1996 les taux des redevances d'atterrissage des avions cargos et des délibérations des 28 novembre 1996 et 20 novembre 1997 ayant arrêté les taux de ces mêmes redevances pour les années 1997 et 1998 ; que, par la requête enregistrée sous le n° 193195, la société requérante demande qu'Aéroports de Paris soit condamné à lui verser une somme de 70 049 299 F en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait des modalités de calcul des redevances d'atterrissage des avions cargos de 1992 à 1996 ; que ces requêtes présentent à juger des questions semblables ou connexes ; qu'il y a lieu de les joindre et de statuer par une seule décision ; Sur les conclusions en annulation : En ce qui concerne la recevabilité des requêtes n°s 193196 et 193197 : Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er du décret n° 65-29 du 11 janvier 1965 relatif aux délais de recours contentieux en matière administrative : " ... Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet ... Les intéressés disposent pour se pourvoir contre cette décision implicite d'un délai de 2 mois à compter de l'expiration de la période de quatre mois susmentionnée ... Toutefois l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet ... 2°) Dans le contentieux de l'excès de pouvoir si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autresorganismes collégiaux" ... ; Considérant que la mesure de retrait de la délibération du conseil d'administration d'Aéroports de Paris ayant arrêté pour l'année 1996 les taux des redevances d'atterrissage des avions cargos ne pouvait être prise que par cette instance ; que la demande présentée à cette fin par la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE n'a fait l'objet d'aucune décision expresse ; que, par suite et en application des dispositions précitées du 2°) de l'article 1er du décret du 11 janvier 1965, aucune forclusion ne peut être opposée aux conclusions de la requête n° 193196 tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet par Aéroports de Paris de la demande en date du 26 octobre 1995 de la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE ;
Considérant, en second lieu, que les délibérations par lesquelles le conseil d'administration d'Aéroports de Paris fixe les taux des redevances d'atterrissage présentent un caractère réglementaire ; que, par suite, le délai de recours contre ces décisions ne court qu'à compter de leur publication ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la délibération du 28 novembre 1996 ayant fixé les taux des redevances aéroportuaires pour 1997 ait fait l'objet d'une mesure de publication, seule susceptible de faire courir le délai du recours pour excès de pouvoir ; qu'ainsi Aéroports de Paris n'est pas fondé à soutenir que les conclusions de la requête n° 193197, dirigées contre cette délibération du 28 novembre 1996, seraient tardives ; En ce qui concerne la légalité des décisions attaquées : Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens des requêtes : Considérant qu'aux termes de l'article L. 251-2 du code de l'aviation civile, Aéroports de Paris "est chargé d'aménager, d'exploiter et de développer l'ensemble des installations de transport civil aérien ayant leur centre dans la région parisienne et qui ont pour objet de faciliter l'arrivée et le départ des aéronefs, de guider la navigation, d'assurer l'embarquement, le débarquement et l'acheminement à terre des voyageurs, des marchandises et du courrier transporté par air, ainsi que toutes installations annexes" ; qu'aux termes de l'article R. 224-1 du même code, "Sur tout aérodrome ouvert à la circulation aérienne publique, les services rendus aux usagers et au public donnent lieu à une rémunération, sous forme de redevances perçues au profit de la personne qui fournit le service, notamment à l'occasion des opérations suivantes : -atterrissage des aéronefs ... Les redevances devront être appropriées aux services rendus" ; qu'aux termes de l'article R.224-2 du même code, "Les conditions d'établissement et de perception des redevances pour : - atterrissage des aéronefs de six tonnes et plus ... sont déterminées par arrêté interministériel après avis du conseil supérieur de l'aviation marchande ... Les taux ... sont fixés ... -pour Aéroports de Paris par son conseil d'administration" ; que l'article R. 224-2 prévoit en outre que la décision du conseil d'administration d'Aéroports de Paris fixant le taux de la redevance doit faire l'objet d'une approbation expresse ou tacite de la part des ministres chargés de l'aviation civile et de l'économie ; qu'aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 25 janvier 1956 relatif aux conditions d'établissement et de perception des redevances d'atterrissage et d'usage des dispositifs d'éclairage à percevoir sur les aérodromes ouverts à la circulation aérienne publique, "des réductions sur les taux de la redevance peuvent être accordées par l'exploitant de l'aéroport avec l'accord du ministre chargé de l'aviation marchande, si les conditions particulières du transport ou du travail aérien le justifient, sans que lesdites réductions puissent comporter une discrimination entre les entreprises de transport ou de travail aérien" ;
Considérant qu'en application des dispositions précitées, le conseil d'administration d'Aéroports de Paris fixe chaque année les taux des redevances d'atterrissage des aéronefs sur les plates formes d'Orly, de X... Charles de Gaulle et du Bourget, perçues encontrepartie de la mise à disposition des compagnies des pistes, voies de circulation et aires de trafic nécessaires aux mouvements de leurs avions ; que ce taux est déterminé en fonction du poids maximum au décollage de l'aéronef ; qu'en 1990, le conseil d'administration d'Aéroports de Paris a décidé d'opérer un abattement de 50 % sur les redevances d'atterrissage des avions cargos en dessous d'un seuil de 60 000 tonnes de jauge atterrie annuelle par compagnie ; qu'en 1994, le seuil en-dessous duquel s'applique l'abattement de 50 % a été relevé à 150 000 tonnes de jauge atterrie annuelle par compagnie ; qu'il a été en outre décidé d'appliquer un second abattement, fixé à 25 %, sur la tranche de jauge atterrie annuelle comprise entre 150 000 et 300 000 tonnes ; que les délibérations contestées ayant arrêté les taux des redevances d'atterrissage des avions cargos pour 1996, 1997 et 1998 ont reconduit ces modalités ; Considérant que la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE, dont le tonnage de jauge atterrie annuelle par avion cargo sur les aérodromes de la région parisienne dépasse 800 000 tonnes, contre moins de 300 000 tonnes pour le 2ème transporteur de fret au départ des mêmes aérodromes, et qui, en conséquence, tout en bénéficiant des abattements de 50 % et 25 % susindiqués, supporte un taux moyen de redevance par tonne atterrie supérieur de près de 50 % à celui de ce dernier, fait valoir que les modalités d'abattement retenues par Aéroports de Paris pour calculer les taux des redevances d'atterrissage des avions cargos conduisent ainsi à des différences de traitement entre les compagnies contraires au principe d'égalité entre les usagers d'un même service public ; Considérant que la fixation de tarifs différents applicables, pour un même service rendu, aux usagers d'un service ou d'un ouvrage public implique, à moins qu'elle ne soit la conséquence nécessaire d'une loi, soit qu'il existe entre ces usagers des différences de situation appréciables, soit qu'une considération d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service ou de l'ouvrage commande cette mesure ; Considérant que si Aéroports de Paris invoque, au soutien des décisions contestées, l'intérêt qui s'attache au développement des aérodromes parisiens comme plate-forme de fret international et à un élargissement de l'offre de fret aérien au départ de ces aérodromes et, s'il est vrai qu'en conséquence une modulation des redevances d'atterrissage des avions cargos peut s'avérer justifiée, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les modalités de modulation de ces redevances retenues en 1994 par Aéroports de Paris induisent des écarts de charges entre les compagnies concernées au regard du service rendu, qui, en raison de leur ampleur, ne peuvent être regardées comme limitées à ce que permettait, eu égard aux exigences du principe d'égalité, la prise en compte des considérations d'intérêt général invoquées ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE est fondée à demander l'annulation des décisions attaquées ; Sur les conclusions à fin d'indemnités : En ce qui concerne la compétence du Conseil d'Etat : Considérant, qu'eu égard à la connexité existant entre les conclusions en annulation présentées sous le n° 193196 par la compagnie requérante et ses conclusions tendant à la réparation du préjudice résultant de la décision contestée relative à la fixation des taxes d'atterrissage des avions cargos pour 1996, le Conseil d'Etat est compétent, en application de l'article 2 bis du décret du 30 septembre 1953 modifié, pour connaître en premier ressort de ces dernières conclusions ; qu'en revanche, en l'absence de toute conclusion dirigée par la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE contre les décisions d'Aéroports de Paris ayantfixé les taux des redevances d'atterrissage des avions cargos pour les années 1992, 1993, 1994 et 1995, le Conseil d'Etat n'est pas compétent pour connaître des conclusions à fin d'indemnités de la requérante en tant qu'elles portent sur lesdites années ; qu'il y a lieu de transmettre le jugement desdites conclusions au tribunal administratif de Paris ; En ce qui concerne la recevabilité : Considérant qu'il résulte des dispositions du 1°) de l'article 1er du décret précité du 11 janvier 1965 qu'"en matière de plein contentieux ... l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet" ; qu'il est constant qu'à la suite de la demande d'indemnité que lui a adressée la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE, l'établissement public Aéroports de Paris n'a notifié à cette dernière aucune décision expresse de rejet ; qu'Aéroports de Paris n'est par suite pas fondé à soutenir que la requête de la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE serait tardive ; Au fond : Considérant que la fixation, selon les modalités précédemment indiquées, des taux des redevances d'atterrissage des avions cargos pour l'année 1996 est entachée d'excès de pouvoir ; que cette illégalité est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement public Aéroports de Paris pour autant qu'il en résulte un préjudice ; Considérant que l'état du dossier ne permet d'apprécier ni l'existence ni l'importance du préjudice indemnisable ; qu'il y a lieu de procéder sur ce point à un supplément d'instruction et d'ordonner à Aéroports de Paris de faire connaître au Conseil d'Etat le montant des redevances d'atterrissage d'avions cargos effectivement supportées tant par Air France que par les autres compagnies aériennes au titre de l'année 1996, de lui fournir tous éléments permettant de déterminer, sur la base du produit total des redevances d'atterrissage des avions cargos perçues au titre de la même année et des tonnages de jauge atterrie par avions cargos des différentes compagnies, le montant de redevances qui eût été à la charge de ces compagnies, si aucun abattement n'avait été appliqué ainsi que dans l'hypothèse où auraient été reconduites les modalités d'abattement fixées en 1990 ; Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991 et de condamner Aéroports de Paris à payer à la Compagnie Air-France une somme de 20 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer à l'établissement public Aéroports de Paris la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La décision implicite par laquelle Aéroports de Paris a rejeté la demande de la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE tendant au retrait de la décision fixant, pour l'année 1996, les taux des redevances d'atterrissage des avions cargos, ainsi que les décisionsdes 28 novembre 1996 et 20 novembre 1997 fixant ces taux, respectivement, pour les années 1997 et 1998, sont annulées.
Article 2 : Le jugement des conclusions de la requête à fin d'indemnité de la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE enregistrée sous le n° 193195, en tant qu'elles portent sur les années 1992 à 1995, est attribué au tribunal administratif de Paris.
Article 3 : Il est, avant-dire droit sur les conclusions de la requête n° 193195 en tant qu'elles portent sur l'année 1996, ordonné à Aéroports de Paris de faire connaître au Conseil d'Etat, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, d'une part, le montant total des taxes d'atterrissage effectivement supporté par Air France et les autres compagnies aériennes au titre de cette année 1996 pour leurs avions cargos, d'autre part, les éléments permettant de déterminer sur la base du produit total des taxes d'atterrissage des avions cargos perçues par Aéroports de Paris et des tonnages de jauge atterrie par avions cargos des différentes compagnies, les montants de redevance qui auraient été respectivement exigés de ces compagnies, si aucun abattement ne s'était appliqué et dans l'hypothèse où auraient été seulement appliquées les modalités d'abattement fixées en 1990 ;
Article 4 : Aéroports de Paris versera à la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE une somme de 20 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE, à l'établissement public Aéroports de Paris, au ministre de l'équipement, des transports et du logement et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.