Conseil d'Etat, Section, du 25 avril 2001, 213460, publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 octobre 1999 et 15 février 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE PARFIVAL, dont le siège est ... ; la SOCIETE PARFIVAL demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 13 août 1999 par lequel le tribunal administratif de Paris, après avoir annulé l'ordonnance de référé fiscal du 2 juillet 1999, a rejeté sa demande présentée devant le juge du référé tendant à faire constater que les garanties qu'elle a proposées au trésorier principal du huitième arrondissement de Paris (2ème division) étaient suffisantes pour lui permettre de bénéficier du sursis de paiement de cotisations d'impôt sur les sociétés dues au titre de l'année 1993 pour un montant de 157 430 889 F ainsi que de la majoration de 10 % pour paiement tardif ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 35 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ratifiée par la France en vertu de la loi du 31 décembre 1973 et publiée au Journal officiel de la République française le 4 mai 1974 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. Mahé, Auditeur,

- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de la SOCIETE PARFIVAL,

- les conclusions de M. Courtial, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, lorsque le comptable du Trésor refuse les garanties offertes par le contribuable pour bénéficier du sursis de paiement prévu à l'article L. 277 du livre des procédures fiscales, celui-ci peut porter la contestation devant le juge du référé administratif ; qu'aux termes de l'article L. 279 du même livre : " ... Cette demande n'est recevable que si le redevable a consigné auprès du comptable, à un compte d'attente, une somme égale au dixième des impôts contestés. Une caution bancaire ou la remise de valeurs mobilières cotées en bourse peut tenir lieu de consignation. Le juge du référé décide ... si les garanties offertes ... doivent être ou non acceptées par le comptable. Il peut également, dans le même délai, décider de dispenser le redevable de garanties autres que celles déjà constituées ... Lorsque le juge du référé estime suffisantes les garanties initialement offertes, les sommes consignées sont restituées. Dans le cas contraire, les garanties supplémentaires à présenter sont diminuées à due concurrence" ; que la SOCIETE PARFIVAL défère au Conseil d'Etat, par la voie du recours en cassation, le jugement du 13 août 1999 par lequel le tribunal administratif de Paris, après avoir annulé l'ordonnance du 2 juillet 1999 rendue par le juge du référé fiscal en première instance, a jugé irrecevable, en l'absence de consignation du dixième des impositions contestées, sa demande tendant à faire reconnaître que le nantissement d'actions non cotées en bourse de sa filiale Cauval Industries représentait une garantie suffisante pour ouvrir droit au sursis de paiement des cotisations d'impôt sur les sociétés et des pénalités qui lui sont réclamées à hauteur de 173 173 977 F et devait, de ce fait, être accepté par le trésorier principal du huitième arrondissement de Paris ;

Considérant que la société requérante soutient que la consignation du dixième des impositions contestées, à laquelle l'article L. 279 du livre des procédures fiscales subordonne la saisine du juge du référé fiscal, la prive du droit à un procès équitable prévu par l'article 6 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et méconnaît l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, du 20 mars 1952, relatif à la protection du droit de propriété ;

Considérant que si, aux termes de l'article 6 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle", le juge du référé fiscal, dont l'office se borne à apprécier si les garanties proposées par le contribuable en vue de bénéficier du sursis de paiement prévu à l'article L. 277 du livre des procédures fiscales permettent d'assurer le recouvrement des impositions contestées, ne se prononce pas sur une accusation en matière pénale et ne tranche pas des contestations sur des droits et obligations de caractère civil, quand bien même les montants dont le recouvrement doit être garanti incluraient des pénalités ; que le tribunal administratif n'a donc pas commis d'erreur de droit ni entaché son jugement d'insuffisance de motivation en écartant comme inopérant, sans rechercher si les sommes mises à la charge de la société requérante avaient pour partie le caractère de pénalités, le moyen tiré de ce que la consignation du dixième des impositions contestées à laquelle l'article L. 279 du livre des procédures fiscales subordonne la saisine du juge du référé fiscal priverait le contribuable du droit au procès équitable prévu par l'article 6 1 de la convention européenne desauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes" ; qu'il résulte toutefois des termes de cet article que le droit au respect de ses biens reconnu à toute personne physique ou morale ne porte pas atteinte au droit des Etats de mettre en oeuvre les lois qu'ils jugent nécessaires pour assurer le paiement des impôts ; qu'en l'espèce, compte tenu de l'objectif et de la portée des articles L. 277 et L. 279 du livre des procédures fiscales, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'application de ces articles ne portait pas atteinte au respect des biens de la société requérante au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel ;

Considérant, toutefois, que la SOCIETE PARFIVAL expose à titre subsidiaire qu'il n'y a pas lieu de l'astreindre à la consignation prévue par l'article L. 279 du livre des procédures fiscales dès lors que le comptable du Trésor a déjà saisi sur ses comptes des sommes et des titres d'un montant supérieur au dixième de l'impôt contesté ;

Considérant qu'il ressort des pièces soumises au juge du fond que le comptable du Trésor a, antérieurement à la mise en recouvrement du rôle, obtenu du juge de l'exécution, sur la base de la notification de redressements adressée à la SOCIETE PARFIVAL, l'autorisation de saisir à titre conservatoire parmi les actifs de celle-ci des titres et des sommes d'un montant global de 36 201 005 F ; que ces mesures conservatoires ayant été converties en saisie-attribution le 1er avril 1999, par notification de l'avis d'imposition aux tiers saisis, les titres et sommes appréhendés sont devenus propriété de l'Etat avant que la société n'ait eu la faculté de demander le bénéfice du sursis de paiement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales : "Le contribuable qui conteste le bien-fondé ou le montant des impositions mises à sa charge peut, s'il en a expressément formulé la demande dans sa réclamation et précisé le montant ou les bases du dégrèvement auquel il estime avoir droit, être autorisé à différer le paiement de la partie contestée de ces impositions et des pénalités y afférentes. Le sursis de paiement ne peut être refusé au contribuable que s'il n'a pas constitué auprès du comptable les garanties propres à assurer le recouvrement de la créance du Trésor. Lorsque l'administration a fait application des majorations prévues à l'article 1729 du code général des impôts, les garanties demandées ne peuvent excéder le montant des pénalités de retard qui seraient exigibles si la bonne foi n'avait pas été mise en cause. A défaut de constitution de garanties ou si les garanties offertes sont insuffisantes, le comptable peut prendre des mesures conservatoires pour les impôts contestés, jusqu'à la saisie inclusivement. Mais la vente ne peut être effectuée ou la contrainte par corps ne peut être exercée jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été prise sur la réclamation soit par l'administration, soit par le tribunal compétent" ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le contribuable qui en fait expressément la demande dans sa réclamation a droit au sursis de paiement sur la totalité des impôts qu'il conteste, à la seule condition qu'il réunisse les garanties appropriées ; que ce droit ne peut être restreint par les mesures de recouvrement prises par le comptable avant la demande de sursis ;

Considérant que, dès lors que le contribuable a régulièrement déposé une demande de sursis, l'exigibilité de l'impôt est suspendue au moins jusqu'à la notification par le comptable durefus des garanties et le comptable du Trésor ne peut recourir à des mesures d'exécution avant qu'une décision définitive ait été prise sur le bien-fondé de l'imposition litigieuse, soit par l'administration, soit par le tribunal compétent ; que lorsque le fisc a diligenté des mesures d'exécution avant que le contribuable ait demandé le sursis de paiement, les sommes et les biens ainsi entrés dans le patrimoine de l'Etat doivent, nonobstant l'effet attributif des mesures d'exécution pratiquées, être regardés, à hauteur des montants saisis, comme valant consignation au sens de l'article L. 279 du livre des procédures fiscales, à charge pour le juge du référé fiscal de statuer sur la valeur des garanties proposées en complément ou en substitution des sommes ou des biens saisis et, pour l'administration, d'en restituer la propriété au contribuable au cas où les garanties proposées seraient jugées suffisantes ; qu'il suit de là qu'en estimant que la requête de la SOCIETE PARFIVAL devait être écartée comme irrecevable en l'absence de la consignation prévue à l'article L. 279 du livre des procédures fiscales, alors que les saisies-attributions pratiquées par le comptable du Trésor sur le patrimoine de la société avaient mis celui-ci en possession de sommes ou de valeurs mobilières cotées en bourse pour un montant supérieur au dixième de l'imposition contestée, le tribunal administratif de Paris a méconnu les dispositions des articles L. 277 et L. 279 du livre des procédures fiscales ; que les articles 2 et 3 du jugement attaqué, par lesquels le tribunal a statué après annulation de l'ordonnance du 2 juillet 1999, doivent, pour ce motif, être annulés ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la procédure de référé engagée en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur les conclusions tendant à obtenir le sursis de paiement des impositions contestées :

Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales que la "créance du Trésor" dont il peut être exigé que le recouvrement soit préservé par la constitution de garanties s'entend des seuls droits et majorations d'assiette, limitées au montant des "pénalités de retard", dont le dégrèvement constitue l'objet de la réclamation formée par le contribuable, à l'exclusion de toute pénalité de recouvrement ; que la SOCIETE PARFIVAL est donc fondée à soutenir que le comptable du Trésor ne pouvait lui demander d'offrir des garanties pour un montant supérieur à celui des impositions, assorties d'intérêts de retard, mises en recouvrement le 31 mars 1999, soit 157 430 889 F ;

Considérant, toutefois, que l'article R. 277-6 du livre des procédures fiscales renvoie à un arrêté du ministre chargé des finances le soin de déterminer les conditions dans lesquelles les valeurs mobilières peuvent être constituées en garantie par le contribuable qui demande à différer le paiement des impôts qu'il conteste ; qu'aux termes de l'article A. 277-9 du même livre, pris pour l'application de ces dispositions : "Les valeurs mobilières qui ne sont pas cotées à une bourse française ... ne peuvent être admises que si elles sont accompagnées d'une caution bancaire souscrite pour la différence entre le montant de l'évaluation des titres et le montant des impôts contestés" ; qu'à l'appui de sa demande de sursis de paiement, la SOCIETE PARFIVAL a offert en garantie le nantissement de titres non cotés en bourse de sa filiale, la SA Cauval Industries ; qu'il résulte des dispositions précitées de l'article A. 277-9 du livre des procédures fiscales que les valeurs mobilières françaises non cotées en bourse et les valeurs mobilières étrangères ne peuvent être admises en garantie qu'accompagnées d'une caution bancaire garantissant le paiement intégral des impôts dus, dans l'hypothèse où, en cas de cession ultérieure des titres aux fins de règlement de la dette fiscale, le prix obtenu se révélerait inférieur au montant des impôts garantis ; qu'en édictant cette règle, le ministre chargé des finances n'a ni excédé les limites de la délégation qui lui est attribuée par l'article R. 277-6 du livre des procédures fiscales, ni porté atteinte au principe d'égalité, qui ne fait pas obstacle à ce qu'il soit tenu compte de la différence de situation entre sociétés cotées en bourse et sociétés non cotées pour déterminer les conditions dans lesquelles leurs titres peuventêtre admis en garantie ; que la SOCIETE PARFIVAL n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que le trésorier principal du huitième arrondissement de Paris a estimé que les titres non cotés dont elle proposait le nantissement ne constituaient pas, faute d'être assortis de la caution bancaire exigée par l'article A. 277-9 précité, une garantie propre à assurer le recouvrement de la créance du Trésor ;

Sur les conclusions subsidiaires tendant à ce que la SOCIETE PARFIVAL soit dispensée des garanties autres que celles qu'elle a constituées :

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de dispenser la SOCIETE PARFIVAL de constituer d'autres garanties que celles qu'elle a déjà proposées en vue d'être autorisée à différer le paiement des impôts qu'elle conteste ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant, d'une part, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la SOCIETE PARFIVAL les sommes qu'elle a demandées tant devant les juges du fond que devant le Conseil d'Etat au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Considérant, d'autre part, qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner la SOCIETE PARFIVAL à payer à l'Etat les sommes qu'il a demandées tant devant les juges du fond que devant le Conseil d'Etat au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement du 13 août 1999 du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par la SOCIETE PARFIVAL devant le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la SOCIETE PARFIVAL devant le Conseil d'Etat est rejeté.
Article 4 : Les conclusions du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE PARFIVAL et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
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