Conseil d'Etat, 9 / 8 SSR, du 28 novembre 1997, 165287, inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 février 1995 et 2 juin 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE S.A.T.A.I.C., dont le siège est ... ; la SOCIETE S.A.T.A.I.C. demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 24 novembre 1994 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté sa requête dirigée contre le jugement du tribunal administratif de Nantes du 20 novembre 1993, rejetant sa demande en décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie, au titre des années 1982 et 1983 ;

2°) de condamner l'Etat à lui payer les sommes qu'elle avait réclamées devant les juges du fond, sur le fondement de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu la loi n° 86-824 du 11 juillet 1986 ;

Vu le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. Dulong, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Coutard, Mayer, avocat de la SOCIETE S.A.T.A.I.C.,

- les conclusions de M. Loloum, Commissaire du gouvernement ;

En ce qui concerne la prescription alléguée de l'imposition établie au titre de l'année 1982 :

Considérant que le I de l'article 18 de la loi n° 86-824 du 11 juillet 1986, portant loi de finances rectificative pour 1986, dont les dispositions ayant trait à l'impôt sur le revenu et à l'impôt sur les sociétés ont été reprises à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, a fixé à la fin de la troisième année, et non plus, comme précédemment, de la quatrième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due, le terme du délai dans lequel l'administration fiscale peut réparer les omissions totales ou partielles constatées dans l'assiette de l'un ou de l'autre de ces impôts, ainsi que les insuffisances, inexactitudes ou erreurs d'imposition ; que le IV du même article 18 de la loi du 11 juillet 1986, dont les dispositions ont été, sur ce point, reprises au 1° de l'article L. 168 A du livre des procédures fiscales, a cependant maintenu la possibilité pour l'administration d'exercer son droit de reprise jusqu'à la fin de la quatrième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due, à l'égard des contribuables ayant fait l'objet d'une vérification de comptabilité ou d'une vérification approfondie de situation fiscale d'ensemble en vue de laquelle l'envoi ou la remise de l'avis de vérification prévu par l'article L. 47 du même livre, a été effectué à une date antérieure au 2 juillet 1986 ; que le ministre a néanmoins indiqué, dans sa réponse du 3 novembre 1986 à une question posée par M. X..., député, qu'il avait donné instruction à ses services d'appliquer le nouveau délai de reprise limité à trois ans "aux opérations qui auront effectivement commencé après le 1er juillet 1986, bien que l'avis de vérification ait été adressé au contribuable avant cette date" ; qu'une instruction du 4 mai 1987, publiée au Bulletin officiel des impôts sous la référence 13 L-2-87, a fixé les conditions et modalités de mise en oeuvre de cette "mesure d'adaptation de l'entrée en vigueur effective du nouveau délai de reprise", en précisant notamment que, pour l'application de celle-ci, le début effectif des opérations de contrôle "s'apprécierait, en ce qui concerne les vérifications de comptabilité, à la date de la première intervention sur place ou à celle qui avait été initialement prévue par le vérificateur et mentionnée sur l'avis de vérification, lorsque le contribuable a demandé et obtenu le report de cette intervention" ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour contester le bien-fondé du supplément d'impôt sur les sociétés, mis en recouvrement le 15 juin 1988, auquel elle a été assujettie au titre de l'année 1982, après avoir fait l'objet, notamment pour cette année, d'une vérification de comptabilité, au motif que cette imposition était prescrite, la SOCIETE S.A.T.A.I.C., venant aux droits de la société "Pays de Loire etBretagne Prestations" (PLBP), qu'elle a absorbée en 1984, s'est prévalue, sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, selon lequel : "Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration", des termes de la réponse ministérielle du 30 novembre 1986 et de l'instruction administrative du 4 mai 1987, précitées, en faisant valoir qu'à la date du 31 octobre 1986, à laquelle le redressement dont procède cette imposition, lui a été notifié, le délai de reprise de l'administration, ramené à trois ans du fait que la vérification de sa comptabilité, précédée de l'envoi d'un avis de vérification daté du 2 juin 1986, n'avait commencé que le 26 juillet 1986, était expiré ;

Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué de la cour administrative d'appel de Nantes que l'avis de vérification de comptabilité du 2 juin 1986 avait fixé au 26 juin 1986 la date de la première intervention du vérificateur, mais que celui-ci a accepté, par lettre du 25 juin 1986, de reporter cette date, à la demande de la société, au 26 juillet 1986 ; que la Cour en a déduit que le début effectif des opérations de vérification devait s'apprécier, au regard des termes, ci-dessus rappelés, de l'instruction du 4 mai 1987, à la date initialement prévue par l'avis de vérification, c'est-à-dire au 26 juin 1986, de sorte que la SOCIETE S.A.T.A.I.C. ne pouvait utilement invoquer la réponse ministérielle du 30 novembre 1986 et l'instruction du 4 mai 1987, pour prétendre que l'imposition supplémentaire mise à sa charge au titre de l'année 1982 était prescrite ; qu'en jugeant ainsi, d'une part, implicitement, que des instructions administratives ou réponses ministérielles relatives à la prescription du droit de reprise de l'administration sont susceptibles, lorsqu'elles contiennent, en cette matière, une "interprétation du texte fiscal", d'être invoquées par les contribuables sur le fondement du premier alinéa, précité, de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, mais d'autre part, que la SOCIETE S.A.T.A.I.C. n'entrait pas dans les prévisions de l'interprétation dont elle se prévalait et ne pouvait donc bénéficier de la garantie prévue par cette disposition législative, la cour administrative d'appel de Bordeaux a fait de cette dernière une exacte application ;

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

Considérant, en premier lieu, qu'en énonçant que les vices qui peuvent entacher la décision de rejet d'une réclamation sont sans influence sur la régularité ou le bien-fondé de l'imposition contestée et en en déduisant que le moyen tiré par la SOCIETE S.A.T.A.I.C. de ce que la décision du 21 août 1989 qui avait rejeté sa réclamation aurait été prise par une autorité incompétente était inopérant, la cour administrative d'appel n'a commis aucune erreur de droit ; qu'elle a pu aussi écarter pour le même motif d'inopérance, qu'elle a suffisamment explicité, les moyens tirés par la société de ce que, en raison de l'incompétence alléguée de l'auteur de la décision du 21 août 1989, précitée, elle aurait été privée d'une garantie de procédure et du bénéfice du principe d'égalité des citoyens devant l'impôt et devant la justice ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par lettre du 25 juin 1986, le vérificateur a accepté, sur la demande de la SOCIETE S.A.T.A.I.C., de retarder la date et de modifier le lieu de la vérification de sa comptabilité, qui avaient été prévus par l'avis de vérification du 2 juin 1986 ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne prescrit à l'administration, lorsqu'elle fait droit à une demande de report de la date qui avait été prévue pour la première intervention sur place du vérificateur, d'envoyer ou de remettre au contribuable un avis de vérification rectificatif ; que la cour administrative d'appel n'a donc pas commis d'erreur de droit en jugeant que la lettre duvérificateur du 25 juin 1986 n'avait pas le caractère d'un tel avis rectificatif et en rejetant, par voie de conséquence, le moyen tiré par la société de ce que cette lettre ne comportait pas les mentions requises par l'article L. 47 du livre des procédures fiscales ; qu'en estimant que l'instruction n° 13 L 1311, n° 15 du 15 décembre 1983, qui recommande aux services, lorsqu'ils acceptent de reporter la date de début d'une vérification, d'expédier au contribuable, quinze jours avant la nouvelle date prévue, un avis de vérification rectificatif, a institué une formalité non prévue par le livre des procédures fiscales et était ainsi contraire aux lois et règlements, au sens de l'article 1er du décret du 28 novembre 1983, la cour administrative d'appel a fait une application exacte et suffisamment motivée de ce texte, qui s'opposait à ce que la société pût utilement se prévaloir de l'instruction précitée ;

Considérant, enfin, qu'en estimant que la notification de redressements du 31 octobre 1986 et la réponse faite par l'administration aux observations en réponse de la société étaient suffisamment motivées, la cour administrative d'appel a porté sur ces documents, sans les dénaturer, une appréciation souveraine qui ne peut être discutée devant le juge de cassation ;

En ce qui concerne le bien-fondé des redressements apportés aux résultats imposables des exercices clos en 1982 et 1983 de la société PLBP :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société PLBP a déduit de ses résultats des exercices clos 1982 et 1983 le montant des redevances qu'elle avait versées à la société ITS en contrepartie du droit exclusif, prévu par un contrat de franchise, d'utiliser la marque "Interim 2000", ainsi que le savoir-faire et l'expérience de la société ITS en matière de fourniture de travail temporaire ; que la cour administrative d'appel a relevé que la société n'apportait aucun commencement de preuve de la réalité et de l'importance des contreparties qu'elle invoquait et que, de son côté, le ministre faisait valoir, sans être sérieusement contredit, que la société ITS, à vocation financière, était dépourvue de savoir-faire dans le domaine du travail temporaire, tandis que la société PLBP disposait d'une solide expérience en la matière et disposait de moyens en personnel et en matériel suffisants pour assurer son fonctionnement, sans être contrainte de recourir aux services de la société ITS, que les variations constatées dans les taux des redevances calculées en pourcentage du chiffre d'affaires étaient demeurées inexpliquées, que le contrat de franchise recouvrait, en fait, une concession de marque et d'enseigne et que les redevances correspondantes, normalement dues, n'avaient pas excédé 60 000 F en 1982 et 75 000 F en 1983 ; que de ces faits, qu'elle a souverainement appréciés et exactement qualifiés, la cour administrative d'appel a pu déduire, sans commettre d'erreur de droit sur la dévolution de la charge de la preuve, ni entacher son arrêt d'une motivation insuffisante, que le ministre établissait que le versement par la société PLBP à la société ITS de redevances excédant les montants ci-dessus indiqués était révélateur d'un acte de gestion commerciale anormal et justifiait, dans cette mesure, du bien-fondé de la réintégration de ces redevances dans les résultats imposables de la société PLBP ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE S.A.T.A.I.C. n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Sur les conclusions de la SOCIETE S.A.T.A.I.C. qui tendent à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, dans la présente instance, soit condamné à payer à la SOCIETE S.A.T.A.I.C. la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête de la SOCIETE S.A.T.A.I.C. est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE S.A.T.A.I.C. et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
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