Conseil d'Etat, 9 / 8 SSR, du 21 juin 1995, 144450, publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 19 janvier 1993 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Champel Allaigre Sorets, dont le siège est ... ; la société Champel Allaigre Sorets demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 18 novembre 1992 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a remis à sa charge les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, assorties d'intérêts de retard, auxquelles elle avait été assujettie au titre de chacune des années 1980 à 1983, et dont le tribunal administratif d'Orléans l'avait déchargée par jugement du 20 décembre 1990 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser, au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, la somme de 23 720 F ;

3°) d'ordonner, en tant que de besoin, qu'il soit sursis à l'exécution de l'arrêt déféré ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. Fabre, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Gatineau, avocat de la société Champel Allaigre Sorets,

- les conclusions de M. Ph. Martin, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable pour la détermination de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : "1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant ... notamment : ... 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des évènements en cours rendent probables ..." ; qu'il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut, notamment, porter en provision, et déduire des bénéfices imposables d'un exercice, dans la mesure où se trouvent comptabilisés, au titre de ce même exercice, des produits qui leur correspondent, le montant de charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces charges soient nettement précisées quant à leur nature, qu'elles soient susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante et qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel que la société Champel Allaigre Sorets a, notamment, eu pour activité, durant les exercices clos de 1980 à 1983, la gestion et l'entretien d'installations de chauffage ; qu'elle concluait, avec certains de ses clients, des contrats de longue durée dits de "garantie totale des installations", par lesquels elle s'engagait, en contrepartie de la perception de redevances annuelles d'un montant constant, à assurer le fonctionnement, l'entretien et, si nécessaire au cours de la période couverte par le contrat, le renouvellement des installations qui lui étaient confiées ;

Considérant qu'en application de la règle ci-dessus rappelée, et dès lors qu'en vertu des dispositions de l'article 38-2 bis du code général des impôts, elle était tenu de comptabiliser au titre de l'exercice de son échéance chaque redevance annuelle dans la mesure où elle rémunérait une prestation continue de garantie, la société Champel Allaigre Sorets était en droit, lorsqu'il apparaissait probable qu'elle aurait à supporter, au cours de la période restant à courir de la durée d'un contrat de "garantie totale", la charge de renouveler les installations couvertes par ce contrat, de constituer à la clôture de chaque exercice antérieur à la réalisation de cet évènement, une provision en vue de faire face à la charge de caractère exceptionnel ainsi prévue dans la limite des produits lui correspondant comptabilisés à cette date ; que, si le nombre des contrats de ce type en cause le justifiait, elle avait, en outre, la faculté de déterminer le montant global net des provisions pouvant figurer, à ce titre, au passif de son bilan, à la clôture de chaque exercice, en recourant à une méthode statistique appropriée, déduite du principe susénoncé ;

Considérant qu'il suit de là que la société Champel Allaigre Sorets est fondée à soutenir que la cour administrative d'appel a fait une inexacte application des dispositions précitées du 1-5° de l'article 39 du code général des impôts, en jugeant qu'elle n'était en droit de constituer aucune provision pour charge au titre des contrats dont il s'agit ; que l'arrêt attaqué doit, par suite, être annulé ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987, de renvoyer l'affaire devant la cour administrative d'appel de Nantes ;

Sur les conclusions de la requête tendant à l'application du I de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant qu'en application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, il y a lieu d'accorder à la société Champel Allaigre Sorets, en remboursement des frais exposés par elle dans la présente instance et non compris dans les dépens, une allocation de 20 000 F ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 18 novembre 1992 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : L'Etat versera à la société Champel Allaigre Sorets, au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, la somme de 20 000 F.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Champel Allaigre Sorets et au ministre de l'économie et des finances.
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