Conseil d'Etat, 9 / 8 SSR, du 2 février 1996, 140426, inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le recours sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 14 août 1992 et 11 décembre 1992, présentés par le MINISTRE DU BUDGET ; le ministre demande que le Conseil d'Etat annule l'article 3 de l'arrêt du 24 juin 1992 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a accordé à M. Yves X... (Fils) la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1978 à 1981, à raison de la part lui revenant dans les bénéfices de la société de fait X... Père et Fils ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. Verclytte, Auditeur,

- les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, avocat de M. Yves X... (fils),

- les conclusions de M. Loloum, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, si l'administration est en droit d'examiner, à l'occasion d'une vérification approfondie de la situation fiscale d'ensemble d'un contribuable les comptes bancaires qui retracent à la fois les opérations privées et les opérations professionnelles qu'il a effectuées, elle ne peut pour contrôler et, le cas échéant redresser les bénéfices retirés par l'intéressé de son activité professionnelle, se fonder sur les données qu'elle a pu recueillir en prenant connaissance des éléments des comptes bancaires qui, se rapportant à l'exercice de cette activité, ont le caractère de documents comptables, sans avoir procédé, préalablement, à une vérification de comptabilité en respectant les garanties prévues par la loi pour ce type de contrôle ; que le fait que le contribuable se soit placé dans une situation qui autorise l'administration à évaluer d'office ses bénéfices professionnels n'a pas pour effet de couvrir le vice résultant de l'absence d'une vérification de comptabilité régulière, dès lors que cette situation n'a été révélée que par les investigations conduites au cours de la vérification approfondie de situation fiscale d'ensemble ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumises au juge du fond que l'administration, procédant, simultanément à la vérification approfondie des situations fiscales d'ensemble de M. Yves X..., de son père et de son frère, exploitants agricoles individuellement imposés selon le régime de forfait, a examiné leurs comptes bancaires, qui retraçaient à la fois des opérations d'ordre privé et des opérations d'ordre professionnel ; qu'elle a déduit de cet examen que les trois contribuables exerçaient, en réalité, leur activité professionnelle en société de fait ; qu'ayant constaté que les bénéfices réalisés par cette société devaient, compte tenu du montant des recettes encaissées de celle-ci, être imposés selon le régime de bénéfice réel, et qu'ils n'avaient fait l'objet d'aucune déclaration, elle les a évalués d'office, les a répartis entre les trois associés et a mis à la charge de chacun d'eux le supplément d'impôt sur le revenu correspondants ;

Considérant que la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir estimé, à juste titre, que les contrôles dont les activités professionnelles de M. Yves X..., de son père et de son frère avaient fait l'objet à l'occasion de la vérification approfondie de leurs situations fiscales d'ensemble respectives, s'étaient traduits par une vérification de la comptabilité de la société de fait, a pu en déduire, sans erreur de droit, que l'irrégularité de cette vérification avait vicié la procédure de redressement suivie à l'égard de la société, et ce, en dépit de ce que cette dernière s'était placée dans une situation autorisant l'administration à évaluer d'office ses bénéfices, dès lors que cette situation n'avait été révélée que par la vérification irrégulièrement opérée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DU BUDGET n'est pas fondé à demander l'annulation de l'article 3 de l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel a, en raison de cette irrégularité de la procédure d'imposition, déchargé M. Yves X..., des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il restait assujetti au titre des années 1978 à 1991, après avoir bénéficié d'un dégrèvement partiel ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à payer à M. Yves X... la somme de 8 000 F qu'il demande, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le recours du MINISTRE DU BUDGET est rejeté.
Article 2 : L'Etat paiera à M. Yves X... une somme de 8 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à M. Yves X....
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