Conseil d'Etat, 8 / 9 SSR, du 26 octobre 1994, 116175, publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 18 avril 1990 et 27 juillet 1990 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Paul X... demeurant ... ; M. X... demande que le Conseil d'Etat :

1°) annule sans renvoi l'arrêt en date du 6 février 1990 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 12 avril 1989 lui accordant la décharge du supplément d'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1984 et rejeté ses conclusions tendant à l'allocation de frais non compris dans les dépens ;

2°) accorde la décharge de l'imposition restant en litige et le remboursement des frais exposés, soit 10 000 francs ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984 ;

Vu la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le livre des procédures fiscales ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. Struillou, Auditeur,

- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. Paul X...,

- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans la déclaration de ses revenus de l'année 1984, le Dr X..., médecin conventionné, a appliqué à ses revenus professionnels les déductions forfaitaires pour frais professionnels instituées en faveur des médecins conventionnés qui relevaient, comme le requérant, du régime de la déclaration contrôlée, par une instruction ministérielle en date du 7 février 1972, et a déduit en outre, de ces mêmes revenus, l'abattement de 20 % prévu en faveur des membres des professions libérales adhérant à une association de gestion agréée ; que l'administration, qui n'a pas admis le cumul opéré par le requérant de ces déductions et de cet abattement, a réintégré celles-ci dans les bases de l'imposition à l'impôt sur le revenu établie au titre de l'année 1984 ; que, pour remettre à la charge du redevable les cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu dont le tribunal administratif avait accordé la décharge, la cour administrative d'appel a estimé que la circonstance que l'article 89 de la loi de finances du 29 décembre 1984 n'ait pas repris l'interdiction de cumul entre ces deux avantages fiscaux antérieurement prévue par l'article 158-4 ter du code général des impôts, ne faisait pas obstacle à ce que l'administration oppose au contribuable une instruction du 14 février 1985 prévoyant une telle interdiction pour l'imposition des revenus de l'année 1984 ; que le requérant conteste l'application qui lui a été faite de cette instruction ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient l'administration qui, d'ailleurs, ne peut légalement établir une imposition sur le fondement d'une instruction ministérielle, l'instruction du 3 février 1978 qui restreignait, par l'interdiction du cumul qu'elle édictait, le champ d'application de la note du 7 février 1972, est devenue caduque du fait des dispositions de l'article 89 de la loi du 29 décembre 1984 ; que le requérant était, par suite, en droit de se prévaloir, sur le fondement du second alinéa de l'article L.80-A du livre des procédures fiscales, de la note du 7 février 1972 dont la portée n'avait pas été restreinte par l'instruction du 14 février 1985 à la date du fait générateur de l'impôt sur le revenu dû au titre de l'année 1984 ; qu'ainsi, la cour a fait une inexacte application des dispositions de l'article L.80-A du livre des procédures fiscales ; que le requérant est ainsi fondé à demander l'annulation des articles 1, 2 et 4 de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision de la juridiction administrative statuant en dernier ressort, pour "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le tribunal administratif a, par les mêmes motifs que ceux ci-dessus exposés, jugé que le Dr. X... était fondé à se prévaloir, sur le fondement du second alinéa de l'article L.80-A du livre des procédures fiscales, de l'instruction ministérielle du 7 février 1972, et qu'il a, en conséquence, prononcé la décharge du supplément de droits réclamé à l'intéressé ; qu'il y a lieu, par suite, de rejeter le recours du ministre dirigé contre ce jugement ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat, qui a la qualité de partie perdante tant en appel que devant le juge de cassation, à verser à M. X... la somme de 10 000 F qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Les articles 1, 2 et 4 de l'arrêt du 6 février 1990 de la cour administrative d'appel de Bordeaux sont annulés.
Article 2 : Le recours du ministre du budget devant la cour administrative d'appel de Bordeaux est rejeté.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser 10 000 F à M. X... au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X... est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au Dr. Paul X... et au ministre du budget.
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