Conseil d'Etat, Section, du 18 mars 1983, 31990 35607, publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Recours du garde des sceaux, ministre de la justice, tendant : 1° à l'annulation du jugement du 23 décembre 1980 du tribunal administratif de Nice annulant sa décision du 24 mars 1980, confirmant les termes de sa précédente décision du 17 octobre 1979, refusant à M. Pierre Y... une prolongation d'activité d'une année au titre de l'enfant Angélina X... ; 2° au rejet de la demande de M. Pierre Y... tendant à l'annulation de la décision du 24 mars 1980, confirmant les termes de sa précédente décision du 17 octobre 1979 ;
Requête de M. Y... tendant à : 1° l'annulation du jugement du 5 mai 1981 du tribunal administratif de Nice rejetant sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, du 20 octobre 1980, en tant que par son article 2, cette décision l'a radié des cadres du ministère de la justice à compter du 23 mars 1981 ; 2° l'annulation de l'arrêté du Garde des sceaux du 20 octobre 1980 ; Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; le code des tribunaux administratifs ; la loi du 18 août 1936 ; le code de la sécurité sociale ; la loi du 30 décembre 1977 ;
Considérant ... Jonction ; Sur l'intervention du syndicat autonome des fonctionnaires des cours et des tribunaux : Cons. que le syndicat autonome des fonctionnaires des cours et des tribunaux a intérêt, d'une part, au maintien du jugement du tribunal administratif du 23 décembre 1980 annulant le rejet opposé à la demande de prolongation d'activité présentée par M. Y... et, d'autre part, à l'annulation du jugement du même tribunal du 5 mai 1981 rejetant la demande de M. Y... tendant à l'annulation de l'arrêté ministériel du 20 octobre 1980 radiant l'intéressé des cadres du ministère de la justice ; qu'ainsi, son intervention est recevable ;
En ce qui concerne le recours du Garde des Sceaux, ministre de la justice contre le jugement du 23 décembre 1980 : Cons. qu'aux termes de l'article 4, alinéa 1er, de la loi du 18 août 1936, relative aux mises à la retraite des fonctionnaires et employés civils de l'Etat, "les limites d'âge seront reculées d'une année par enfant à charge, sans que la prolongation d'activité puisse être supérieure à trois ans, étant entendu que la notion d'enfant à charge est celle qui est définie par les lois et règlements en vigueur" ;
Sur la recevabilité de la demande de M. Y... au tribunal administratif : Cons. que si ces dispositions ne peuvent recevoir application qu'au jour où la limite d'âge normal de l'emploi est atteinte, le fonctionnaire intéressé est en droit de demander à l'autorité administrative, préalablement à cette date, à partir du moment où sa situation au jour de la limite d'âge peut être utilement appréciée, de se prononcer sur son droit à bénéficier des dispositions précitées ; qu'en statuant sur une telle demande, l'autorité administrative ne se borne pas à donner un avis, mais prend une décision qui fait grief, bien qu'elle soit prise sous la condition que les éléments de droit et de fait sur lesquels elle se fonde n'auront pas changé à la date de la limite d'âge ;
Cons. qu'il ressort des pièces du dossier que M. Y... qui atteignait la limite d'âge normale de son emploi de secrétaire greffier du tribunal d'instance de Bastia le 23 mars 1980 et devait, au bénéfice d'une prolongation d'activité non contestée d'une année, être admis à la retraite le 23 mars 1981 a demandé au Garde des Sceaux le 31 juillet 1979 que la durée de prolongation soit portée à 2 années à compter du 23 mars 1980 et qu'à la suite de la réponse négative qui lui a été adressée le 19 octobre 1979, il a présenté aux mêmes fins le 4 décembre 1980 un recours gracieux qui a été rejeté par une lettre du Garde des Sceaux du 24 mars 1981 ; qu'il résulte de ce qui est dit ci-dessus que ces réponses des 19 octobre 1979 et 24 mars 1981 constituaient des décisions faisant grief, susceptibles d'être contestées par la voie du recours pour excès de pouvoir et que c'est par suite à bon droit, contrairement à ce que soutient le ministre, que le tribunal administratif a jugé recevable la demande de M. Y... tendant à en obtenir l'annulation ;
Sur la légalité des décisions du Garde des Sceaux en date du 19 octobre 1979 et 24 mars 1981 : Cons. que "les lois et règlements en vigueur" auxquels se réfèrent les dispositions précitées de l'article 4 de la loi du 18 août 1936 pour la définition de la notion d'enfant à charge ouvrant droit à une prolongation d'activité, doivent s'entendre des lois et règlements qui régissent l'attribution des prestations familiales aux agents de l'Etat au moment où les intéressés atteignent la limite d'âge de leur emploi ; qu'aux termes de l'article L. 525 du code de la sécurité sociale les allocations familiales " sont versées à la personne qui assume, dans quelque condition que ce soit, la charge effective et permanente de l'enfant" ;
Cons. qu'il ressort des pièces du dossier que M. Y..., secrétaire greffier du tribunal d'instance de Bastia qui avait à son foyer sa propre fille, y a reçu en 1978 sa nièce et filleule, la jeune Angélina X... ; que ses affirmations suivant lesquelles il entendait pourvoir à l'éducation de sa nièce et assumer entièrement son entretien tant dans l'intérêt de la jeune fille que de la famille X... qui ne disposait que de ressources modestes, sont corroborées notamment par la délégation de l'autorité parentale à lui consentie par les époux X... en vertu d'une décision judiciaire, par des témoignages et par les documents relatifs à la situation fiscale de l'intéressé ; qu'ainsi, M. Y..., à qui l'administration de la justice a alloué en 1980 les allocations familiales au titre d'un second enfant à charge, devait être regardé, lorsqu'il a été répondu à ses demandes, comme ayant au regard des lois et règlements qui régissent les prestations familiales, la charge effective et permanente de deux enfants ; qu'il ne résulte pas des pièces du dossier que l'intéressé n'aurait recueilli et pris en charge sa nièce qu'à la seule fin de bénéficier d'une année supplémentaire d'activité ; que la fraude à la loi alléguée de ce chef par le ministre n'est donc pas établie ;
Cons. qu'il résulte de ce qui précède que le Garde des Sceaux n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé ses décisions refusant à M. Y... la prolongation d'activité qu'il demandait ;
En ce qui concerene la requête de M. Y... contre le jugement du 5 mai 1981 rejetant sa demande d'annulation de l'arrêté du Garde des Sceaux en date du 20 octobre 1980 : Cons. qu'il ressort des termes de la demande présentée par M. Y... au tribunal administratif que ses conclusions, ne faisaient aucune distinction entre l'article 1er de cet arrêté qui admettait M. Y... à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 23 mars 1981 et l'article 2 de cet arrêté le radiant des cadres du ministère de la justice à compter du même jour ; que lesdites conclusions étaient dirigées contre l'ensemble des dispositions de l'arrêté du 20 octobre 1980 ; que c'est, par suite, à tort que le tribunal administratif interprétant ces conclusions comme dirigées exclusivement contre l'article 2 de l'arrêté les a déclarées irrecevables par le motif que la radiation des cadres ne constituait pas, en elle-même, une décision détachable susceptible d'être attaquée indépendamment de la décision de mise à la retraite ; qu'ainsi le jugement du tribunal administratif de Nice en date du 5 mai 1981 doit être annulé ;
Cons. que dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. Pierre Y... devant le tribunal administratif ;
Cons. qu'il ressort des pièces du dossier que les éléments de droit et de fait invoqués par M. Y... à l'appui de ses demandes de prolongation d'activité des 31 juillet 1979 et 4 décembre 1980 et sur lesquels le ministre s'est fondé pour leur opposer un refus étaient inchangés tant à la date de limite d'âge normale de l'emploi, le 23 mars 1980, qu'à celle du 23 mars 1981, à laquelle la mise à la retraite et la radiation des cadres prononcées par l'arrêté attaqué ont pris effet ; qu'ainsi il résulte de ce qui est dit ci-dessus, en ce qui concerne le recours du ministre, que M. Y... est fondé à soutenir que ledit arrêté est entaché d'illégalité et doit être annulé ;
Intervention admise ; rejet du recours ; annulation du jugement du 5 mai 1981 et de l'arrêté du 20 octobre 1980.
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