Conseil d'Etat, 7 / 9 SSR, du 29 mars 1989, 81836, mentionné aux tables du recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 8 septembre 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par les héritiers de M. François X... de l'ESTOILLE, élisant domicile au cabinet de Maître Frankel, avocat à la Cour, ..., et tendant à ce que le Conseil d'Etat :

1°) annule un jugement du 3 juin 1986 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté leur demande en décharge des cotisations supplémentaires et en réduction des cotisations primitives d'impôt sur le revenu qui ont été assignées à M. François X... de l'ESTOILLE au titre des années 1976 et 1977 ;

2°) prononce la décharge et la réduction demandées ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Vu la loi n° 77-1468 du 30 décembre 1977 ;

Après avoir entendu :

- le rapport de M. Fourré, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Fouquet, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'à l'appui de leur demande en décharge des cotisations supplémentaires et en réduction des cotisations primitives d'impôt sur le revenu qui ont été assignées à M. X... de l'ESTOILLE au titre des années 1976 et 1977, ses héritiers soutiennent qu'il y avait lieu de déduire des revenus fonciers, d'une part, une indemnité d'éviction de 85 000 F versée par M. X... de l'ESTOILLE pour obtenir la libération de locaux, sis ..., qui faisaient l'objet d'un bail commercial et, d'autre part, des dépenses correspondant à l'exécution de travaux dans les mêmes locaux ;

Sur la déductibilité de l'indemnité d'éviction :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 13 du code général des impôts : "1. Le ... revenu imposable est constitué par l'excédent du produit brut ... sur les dépenses effectuées en vue de l'acquisition et de la conservation du revenu ..." ; que l'article 28 du même code dispose que : "le revenu net foncier est égal à la différence entre le montant du revenu brut et le total des charges de la propriété", et que, selon l'article 31 dudit code : "Les charges de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net foncier comprennent : 1) Pour les propriétés urbaines : a) les dépenses de réparation et d'entretien, les frais de gérance et de rémunération des gardes et concierges ..., b) les dépenses d'amélioration afférentes aux locaux d'habitation ..., c) Les impositions ... perçues à raison desdites propriétés ..., d) Les intérêts des dettes contractées pour la conservation, l'acquisition, la construction, la réparation ou l'amélioration des propriétés ; e) Une déduction forfaitaire ... représentant les frais de gestion, l'assurance et l'amortissement ..." ;

Considérant, d'un part, que l'indemnité d'éviction versée, en cas de non-renouvellement du bail, au locataire commerçant en application de la législation relative aux baux commerciaux n'entre pas dans les charges de la propriété énumérées aux a), b), c) et d) de l'article 31-1 précité ; que, d'autre part, pour déterminer si une telle indemnité trouve sa contrepartie dans un accroissement du capital immobilier du bailleur ou doit être regardée comme une dépense effectuée par lui en vue de l'acquisition ou de la conservation du revenu, au sens de l'article 13 du code général des impôts, ou encore si ladite indemnité entre, le cas échéant, dans l'une et l'autre de ces catégories selon des proportions à fixer, il y a lieu de tenir compte des circonstances de l'espèce ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'après le départ du locataire auquel l'indemnité susmentionnée de 85 000 F a été payée, les locaux appartenant à M. X... de l'ESTOILLE ont, pour partie, fait l'objet d'un bail à usage d'habitation, conclu le 15 octobre 1976, pour un loyer supérieur à celui qui était stipulé dans le bail commercial consenti au précédent occupant et, pour le surplus, été rattachés à un appartement contigu dont M. X... de l'ESTOILLE a conservé la disposition ; qu'eu égard à la superficie de la partie des locaux qui a été louée à usage d'habitation, telle qu'elle ressort des plans produits par les requérants, l'indemnité d'éviction versée doit, à concurrence de 40 000 F, être regardée comme une dépense effectuée en vue de l'acquisition ou de la conservation du revenu ; qu'ainsi le redressement opéré sur le revenu foncier déclaré par M. X... de l'ESTOILLE, du chef de cette indemnité d'éviction, au titre de l'année 1976, doit être réduit de 40 000 F ; qu'en revanche, le surplus des prétentions des requérants, sur ce point, ne peut être accueilli ;

Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 1649 quinquies E du code général des impôts : "Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration ..." ;

Considérant que, si le ministre des finances et des affaires économiques a admis, dans les réponses qu'il a faites le 25 février 1961 à des questions écrites posées par MM. Y... et Z..., députés, qu'un propriétaire peut, dans certains cas, déduire de son revenu foncier le montant de l'indemnité d'éviction versée par lui à son locataire commerçant, il a, en même temps, précisé qu'une telle déduction ne peut être effectuée que si l'indemnité a été versée, soit pour permettre au propriétaire de reprendre la disposition des locaux loués, soit pour louer les mêmes locaux à un nouveau locataire commerçant ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté, que M. X... de l'ESTOILLE n'a pas repris la disposition des locaux susmentionnés pour les exploiter lui-même à titre commercial ou pour les louer à nouveau sous le régime des baux commerciaux ; que, dès lors, il ne se trouvait pas dans une situation permettant à ses héritiers d'invoquer utilement l'interprétation administrative susrappelée, sur le fondement de l'article 1649 quinquies E du code général des impôts, repris à l'article L.80-A du livre des procédures fiscales ;

Sur la déductibilité des dépenses de travaux :

Considérant qu'aux termes de l'article 31 du code général des impôts : "I. Les charges de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net comprennent : 1°) Pour les propriétés urbaines : a) les dépenses de réparation et d'entretien ... b) les dépenses d'amélioration afférentes aux locaux d'habitation, à l'exclusion de frais correspondant à des travaux de construction, de reconstruction ou d'agrandissement" ; qu'il résulte de ces dispositions que les dépenses faites pour l'exécution de travaux dans son immeuble sont déductibles de son revenu, sauf si elles correspondent à des travaux de construction, de reconstruction ou d'agrandissement ; que doivent être regardés comme des travaux de construction ou de reconstruction, au sens des dispositions précitées, les travaux comportant la création de nouveaux locaux d'habitation, notamment dans des locaux auparavant affectés à un autre usage, ainsi que les travaux ayant pour effet d'apporter une modification importante au gros oeuvre de locaux d'habitation existants ou les travaux d'aménagement interne qui, par leur importance, équivalent à une reconstruction ;

Considérant qu'en admettant même que toutes les dépenses dont les requérants demandent la déduction au titre des années 1976 et 1977 correspondent à des travaux effectués dans la partie destinée à la location à usage d'habitation des locaux libérés par le paiement de l'indemnité d'éviction susmentionnée, il résulte de l'instruction que les travaux ont eu pour objet de transformer en un logement doté du confort moderne des pièces qui étaient depuis longtemps à usage de bureaux, et non, d'assurer le simple entretien ou la réparation de l'immeuble ; que ces travaux doivent par suite être regardés, en totalité, comme des travaux de construction, au sens des dispositions précitées de l'article 31 du code général des impôts ; que, dès lors, les dépenses correspondantes ne constituaient pas des charges de la propriété déductibles pour l'établissement du revenu net foncier ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les héritiers de M. François X... de l'ESTOILLE sont seulement fondés à soutenir que l'assiette de l'impôt sur le revenu assigné à ce dernier au titre de l'année 1976 doit être réduite de 40 000 F et à solliciter la décharge des impositions correspondantes ;
Article 1er : Pour la détermination du revenu imposable de M. X... de l'ESTOILLE au titre de l'année 1976, son revenu foncier net est réduit de 40 000 F.
Article 2 : Il est accordé à M. X... de l'ESTOILLE, par ses héritiers, décharge de la différence entre le montant de l'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1976 et celui qui résulte de l'article 1er ci-dessus ;
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 3 juin 1986 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête des héritiers de M. X... de l'ESTOILLE est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée aux héritiers de M. François X... de l'ESTOILLE et au ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget.


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