Conseil d'Etat, 7 / 8 SSR, du 24 février 1988, 65430, mentionné aux tables du recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête enregistrée le 19 janvier 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la société GOBINET & CIE, société à responsabilité limitée dont le siège est ... (Gard), représentée par son gérant en exercice et tendant à ce que le Conseil d'Etat :

°1) annule le jugement du 15 novembre 1984 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1976 et 1977 ;

°2) lui accorde la réduction de l'imposition contestée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code des tribunaux administratifs ;

Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;

Vu la loi du 30 décembre 1977 ;

Après avoir entendu :

- le rapport de Mme Denis-Linton, Maître des requêtes,

- les conclusions de M. Fouquet, Commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

Considérant qu'aux termes de l'article 223 du code général des impôts : "1. Les personnes morales et associations passibles de l'impôt sur les sociétés sont tenues de souscrire les déclarations prévues pour l'assiette de l'impôt sur le revenu en ce qui concerne les bénéfices industriels et commerciaux ... - Toutefois, la déclaration du bénéfice ou du déficit est faite dans les trois mois de la clôture de l'exercice ... En cas d'absence de déclaration ou de déclaration tardive, la liquidation de l'impôt dû à raison des résultats de la période d'imposition est faite d'office ..." ;

Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que l'administration a enregistré, respectivement, le 5 mai 1977 et le 3 mai 1978 les déclarations de la société à responsabilité limitée GOBINET ET COMPAGNIE relatives aux résultats des exercices qu'elle a clos les 31 décembre 1976 et 31 décembre 1977 ; qu'à ces dates, le délai prévu par les dispositions précitées de l'article 223 du code, augmenté du mois supplémentaire accordé par décision ministérielle, était expiré ; que la société n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, que ses déclarations seraient, en réalité, parvenues au service avant les 1er mai des années 1977 et 1978 ;

Considérant, d'autre part, qu'aucune disposition législative, avant l'entrée en vigueur des dispositions du II de l'article 81 de la loi du 30 décembre 1986, ne subordonnait l'application de la procédure de liquidation d'office de l'impôt prévue par l'article 223 à l'envoi préalable par l'administration d'une mise en demeure invitant le contribuable à régulariser sa situation ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société GOBINET ET COMPAGNIE, qui ne peut utilement invoquer l'existence de simples tolérances administratives, n'est pas fondée à soutenir que les suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie d'office ont été établis selon une proédure irrégulière ;

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 38 du code général des impôts, dans la rédaction applicable aux années 1976 et 1977, la créance acquise sur un tiers par une entreprise passible de l'impôt sur les sociétés doit être rattachée aux résultats de l'exercice au cours duquel cette créance est devenue certaine dans son principe et dans son montant ; que, dans le cas où elle se rapporte à la fourniture d'une prestation de service, il en est ainsi à la date d'achèvement de la prestation ;

Considérant que la société GOBINET ET COMPAGNIE, qui a pour objet "toutes opérations de courtages et commissions pour les vins et dérivés", comptabilisait selon la date de leur encaissement les courtages et les commissions qu'elle perçoit en contrepartie des prestations de services qu'elle fournit à sa clientèle en sa qualité d'intermédiaire ; que les redressements qu'elle conteste procèdent de ce que l'administration a rattaché les produits qu'elle tire de ses activités aux exercices au cours desquelles les prestations de services correspondantes se sont trouvées achevées, l'administration ayant retenu, pour les créances résultant d'opérations de courtages entre acheteurs et vendeurs de vins français, les dates des accords conclus entre ces derniers, telles qu'elles sont mentionnées sur les registres de la société GOBINET, et, pour les créances correspondant aux commissions perçues à l'occasion d'importations de vins italiens, les dates d'achèvement des formalités douanières dont la requérante avait contractuellement la charge ; que, si la société GOBINET ET COMPAGNIE soutient que, conformément à l'article 1587 du code civil, ses prestations ne sont pas achevées tant que l'acheteur n'a pas goûté et agréé le vin, elle ne fournit pas d'indications sur les dates d'agréage qui permettent de remettre en cause les dates de rattachement retenues par l'administration ; qu'il suit de là qu'elle n'est pas fondée à contester les redressements ainsi opérés ;

En ce qui concerne l'interprétation de la loi fiscale qui aurait été donnée par l'administration :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 1649 quinquies E du code général des impôts repris au premier alinéa de l'article L. 80-A du livre des procédures fiscales : "Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration" ;

Considérant que, si la société requérante se prévaut, sur le fondement des dispositions précitées, de ce que, lors d'une vérification de comptabilité antérieure, portant sur les années 1971 à 1974, l'inspecteur, tout en notifiant divers redressements, s'est abstenu, sciemment selon elle, de remettre en cause le système de rattachement des créances dont la société requérante faisait application et qui était le même que celui qu'elle a appliqué pour les années 1976 et 1977, cette attitude du vérificateur de l'époque ne peut être regardée comme une interprétation formellement admise par l'administration au sens des dispositions précitées ;

Considérant, il est vrai, que la société requérante se prévaut également des dispositions de l'article L. 80-B du livre des procédures fiscales, aux termes duquel : "La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80-A est applicable lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal" ; que, toutefois, ces dispositions ne sont, en tout état de cause, pas applicables en l'espèce, dès lors que l'attitude adoptée par l'agent vérificateur pour les années 1971 à 1974 ne peut être regardée comme une prise de position formelle par l'administration sur l'appréciation d'une situation de fait ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande ;
Article 1er : La requête de la société GOBINET ET CIE est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société GOBINET et au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la privatisation, chargé du budget.


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