Conseil d'Etat, 9 / 8 SSR, du 25 janvier 1989, 49847, inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 avril 1983 et 8 août 1983 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société "HEMPEL PEINTURES MARINE FRANCE", société anonyme dont le siège social est à Saint-Crépin Ibouvillers (60149), représentée par ses dirigeants en exercice, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :

1°- annule le jugement du 8 février 1983 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande qui tendait à la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1976 et 1977 dans les rôles de la commune de Saint-Crépin,

2°- lui accorde la décharge, en droits et pénalités, des impositions contestées,

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des tribunaux administratifs ;

Vu le code général des impôts ;

Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;

Vu la loi du 30 décembre 1977 ;

Vu l'article 81-III de la loi n° 86-1317 du 30 décembre 1986 modifié par l'article 93 de la loi n° 87-1060 du 30 décembre 1987 ;

Après avoir entendu :

- le rapport de M. Dulong, Maître des requêtes,

- les observations de la S.C.P. Delaporte, Briard, avocat de la société anonyme "HEMPEL PEINTURES MARINE FRANCE",

- les conclusions de M. X.... Martin, Commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

Considérant qu'il ressort de l'examen du dossier de première instance que la société anonyme "HEMPEL PEINTURES MARINE FRANCE" n'a pas présenté, à l'appui de ses conclusions, de moyens relatifs à la procédure d'imposition ; que si, devant le tribunal administratif, elle a soutenu que, "la commission départementale n'ayant pas été saisie, c'est à l'administration qu'incombe la charge de la preuve", elle n'a pas, ce faisant, contesté la régularité de la procédure appliquée pour établir les impositions contestées mais seulement fait valoir un moyen qui, touchant à la charge de la preuve, se rattache au bien-fondé de l'imposition ; que, dès lors, les moyens relatifs à la régularité de la procédure d'imposition qu'elle développe devant le Conseil d'Etat sont présentés pour la première fois en appel ; qu'en invoquant ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public et reposent sur une cause juridique distincte de celle sur laquelle se fondaient les moyens articulés devant les premiers juges, la requérante a émis des prétentions qui constituent une demande nouvelle, laquelle n'est pas recevable en appel ;

Sur le bien-fondé des impositions :

Considérant que les suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels la société "HEMPEL PEINTURE MARINE FRANCE" a été assujettie au titre de 1976 et 1977 résultent de la réintégration dans ses résultats des exercices clos au cours desdites années de sommes, s'élevant respectivement à 126 314 F et 249 408 F, qu'elle en a déduites comme redevances versées à la socité "Hempel's Marine Paints" dont le siège est au Danemark ;

Considérant qu'aux termes de l'article 238 A du code général des impôts : "Les ... redevances de cession et de concession de licence d'exploitation, de brevets d'invention, de marques de fabriques, procédés et formules de fabrication et autres droits analogues ou les rémunérations de services payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ... et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré. - Pour l'application de l'alinéa qui précède, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ... considéré ... si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement moins élevés qu'en France" ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsqu'elle s'en prévaut pour écarter la déduction de certaines dépenses, l'administration fiscale doit justifier que le bénéficiaire des sommes versées est soumis, hors de France, à un "régime fiscal privilégié" ;

Considérant qu'en se bornant à faire valoir qu'au Danemark le taux de l'impôt sur les sociétés serait de 37 %, le ministre chargé du budget ne justifie pas que la société "Hempel's Marine Paints" est soumise à un "régime fiscal privilégié" ; que, dans ces conditions, la société "HEMPEL PEINTURES MARINE FRANCE" est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens qu'elle soulève quant à l'applicabilité des dispositions de l'article 238-A, à soutenir que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, les redevances qu'elle a payées à la société danoise n'entraient pas dans le champ d'application de cet article et qu'ainsi c'est à tort que les impositions contestées ont été fondées sur ses dispositions ;

Considérant, toutefois, que, devant le Conseil d'Etat, pour justifier le bien-fondé des impositions, le ministre chargé du budget soutient, à titre subsidiaire, que les impositions litigieuses sont légalement fondées en vertu des dispositions de l'article 57 du code général des impôts ; qu'il est en droit de le faire, dès lors que cette substitution de base légale peut être opérée sans priver le contribuable des garanties de la procédure d'imposition, ce qui est le cas en l'espèce ;

Considérant qu'aux termes de l'article 57, applicable, en matière d'impôt sur le sociétés en vertu de l'article 209 du code : "Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités ..." ; que ces dispositions, sous réserve que l'administration ait établi l'existence d'un lien de dépendance entre l'entreprise située en France et l'entreprise située hors de France ainsi que des majorations ou minorations du prix ou des moyens analogues de transfert de bénéfices, instituent une présomption pesant sur l'entreprise passible de l'impôt sur les sociétés, laquelle ne peut obtenir, par la voie contentieuse, la décharge ou la réduction de l'imposition établie en conséquence qu'en apportant la preuve des faits dont elle se prévaut pour démontrer qu'il n'y a pas eu transfert de bénéfices ;

Considérant que le ministre soutient en l'espèce, sans être contredit, que le capital de la société "HEMPEL PEINTURES MARINE FRANCE" est détenu indirectement à 98 % par le groupe Hempel dont le principal dirigeant est membre de son conseil d'administration ; qu'il résulte de l'instruction que la convention conclue en 1964 entre la société danoise et la société française à l'effet de conférer à celle-ci l'exclusivité de la fabrication et de la vente en France des peintures et vernis marins conçus selon les formules et techniques fournis par le laboratoire de la société danoise lui impose de soumettre au contrôle de cette dernière ses produits, les prix pratiqués ainsi que sa comptabilité ; que la circonstance que la société française aurait néanmoins conservé en fait une totale liberté commerciale et financière ne fait pas obstacle à ce que l'administration soit regardée comme ayant apporté, par les éléments dont elle se prévaut, la preuve de l'existence d'un lien de dépendance entre la société française et la société danoise ;

Considérant que l'administration a admis en l'espèce que les redevances, calculées sur la base de 3 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé dans le secteur des peintures marines par la société française, en application de la convention de 1964, avaient une contrepartie qui justifiait leur versement à la société danoise ; que les impositions contestées procèdent seulement de la réintégration de la fraction des redevances versées qui correspond à la part du chiffre d'affaires hors taxes que la société française a réalisé dans son secteur de peintures industrielles ; que l'administration établit, à due concurrence, l'existence d'un versement constituant un transfert au sens de l'article 57 précité ;

Considérant que la société "HEMPEL PEINTURES MARINE FRANCE" ne conteste pas que ce secteur a été créé par elle seule et en dehors des prévisions de la convention de 1964 ; que, si elle soutient qu'elle n'aurait pu pénétrer le marché correspondant sans le préjugé favorable que lui assurait la marque "Hempel" et que les résultats obtenus dans son secteur des peintures industrielles sont le fait de l'aide technique que la société danoise lui aurait assurée, elle ne fournit pas, à l'appui de ses allégations, de précisions suffisantes pour que celles-ci puissent être retenues ; que, dès lors, elle n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, que la partie des redevances dont l'administration a refusé la déduction a été versée dans son propre intérêt commercial ; qu'il suit de là que les réintégrations opérées ont un fondement légal ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société "HEMPEL PEINTURES MARINE FRANCE" n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande ;
Article 1er : La requête de la société "HEMPEL PEINTURES MARINE FRANCE" est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société "HEMPEL PEINTURES MARINE FRANCE" et au ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget.


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